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CTC : La Caisse de prévoyance sociale à bout de souffle

C’est le premier rapport sur la Caisse de prévoyance sociale réalisé par la Chambre territoriale des comptes. Il confirme la précarité de la situation financière de la CPS, et l’incapacité de gouvernements successifs, « informés depuis longtemps de tendances défavorables » à modifier son cap. La CTC invite la Caisse à plus de rigueur et de modernité, et à se concentrer sur son cœur de métier, la maladie et la retraite, en redonnant au Pays la gestion des prestations familiales, de handicap et de prévention.

C’est la première fois que la Chambre territoriale des comptes contrôle la Caisse de prévoyance sociale, qui jusque-là ressortait de la Cour des comptes. Elle a produit un rapport étoffé – 191 pages – qui retrace l’activité de la caisse depuis 2016. La CPS assure la gestion d’un budget annuel de 134 milliards de Fcfp, soit l’équivalent du budget de fonctionnement de la Polynésie française. Déjà fragile avant le choc de la crise Covid, la protection sociale polynésienne ne doit sa survie qu’à une perfusion continue du Pays, alimentée par des cotisations qui augmentent, des fonds « ad hoc » aux recettes fléchées et récemment, des prêts garantis par l’État, à hauteur de quasiment 24 milliards sur les deux dernières années.

Ses charges sont « plutôt rigides par nature », elles dépendent de phénomènes de long terme « dont certains sont prévisibles » comme l’état de santé de la population ou les évolutions démographiques. La CPS « doit donc être stratège » et raisonner à « au moins 10 années », or « la CPS s’est contentée pendant trop longtemps de limiter ses analyses à la préparation chaque année de ses budgets », constate la Chambre territoriale des comptes. La CPS a attendu 2013 pour mettre en place des outils statistiques à moyen terme sur la retraite, et 2021 dans le domaine de la santé, et « d’autres sujets comme la pauvreté, la précarité, ou la dépendance restent encore peu ou pas étudiés. »

« Une PSG fondée sur une norme illisible, incomplète et parfois ancienne »

La gouvernance de la CPS a été passée au peigne fin. Paritaire, elle est à bien des égards dominée par l’exécutif polynésien, qui a le dernier mot sur ses budgets. Mais le Pays « est resté trop passif sur la codification du droit de la santé et du droit social » dit la CTC, et « abouti depuis longtemps déjà à une PSG fondée sur une norme illisible, incomplète et parfois ancienne ». Passivité aussi de la part de la CPS elle-même, qui concocte ses recueils juridiques internes pour s’y retrouver, mais n’a jamais adressé de demande formelle au Pays pour codifier le droit de la PSG.

L’usine à gaz toujours plus complexe

La création de l’Agence de régulation sanitaire et sociale (Arass) en 2018 sous l’autorité du ministre de la Santé, chargée de l’expertise médico-économique alors que la CPS est chargée du budget, n’aide pas à la cohérence. Pas plus que « la nomination récente de 3 ministres, contre un seul en 2016, qui ont directement compétence en matière de PSG : un ministre de tutelle, un ministre de la Santé et de la prévention, et une ministre de la Famille et des affaires sociales (…) ».

Pas plus que la CPS elle-même, qui doit « renforcer véritablement sa culture d’expertise de la donnée » et « remettre en cause son propre fonctionnement interne » : malgré des déclarations déjà anciennes, la digitalisation des services n’est toujours pas faite : « 59% des agents de la Caisse effectuent à titre principal des tâches de saisie manuelle et de scanner des pièces papier ». La « culture de la qualité de service » n’est pas au rendez-vous, ni les « contrôles efficaces et à grandes échelle pour lutter contre les abus et les fraudes ».

L’une des recommandations de la CTC est que la CPS se concentre sur ses missions principales – maladie et retraite – et rende au Pays « une bonne fois pour toutes » la compétence sur les prestations familiales, l’action sociale et l’aide au handicap, ainsi que la prévention où ses résultats ne sont guère concluants.

Le gouffre des évacuations sanitaires

Le coût des évacuations sanitaires entre 2016 et 2020 a atteint un total cumulé de 27 milliards de Fcfp – dont 32,6 % pour les opérations inter-îles, avec des modes de gestion différents selon les archipels. Une partie de cette augmentation est due au recours aux moyens militaires face à l’indisponibilité d’Air Archipels (pannes, manque de personnel). La CTC critique d’abord l’absence de convention entre la CPS et Air Tahiti de 2009 à 2019, puis la convention par laquelle Air Tahiti prend pour base le plein tarif public minoré de 5,69% : « La situation actuelle de quasi-monopole de la compagnie Air Tahiti ne peut pas justifier pleinement ni cette situation conventionnelle insuffisante, ni les conditions commerciales observées. » 

Concernant les évasans internationales, note la CTC, « la CPS n’a pas obtenu des conditions tarifaires aménagées, malgré un volume moyen annuel récurrent d’achats en billetterie aérienne de 300 millions de Fcfp, ce qui tend à dénoter, à tout le moins, un portage de la direction insuffisant. Le Pays, actionnaire au capital d’ATN à hauteur de 84,82 %, n’a pas davantage fait son office dans cette affaire. »

Peu de transparence financière

En exemple de l’opacité financière de la CPS, la CTC pointe la dotation de la Caisse au CHPF, qui a augmenté de 17% entre 2016 et 2020, sans compter les financements supplémentaires versés directement par le Pays « que la CPS ne connaît qu’approximativement d‘ailleurs, faute d’un suivi global et réellement partagé » : « La Chambre ne remet pas en cause cette progression mais le fait qu’elle ne soit pas transparente pour le citoyen. » Et si la crise récente « semble avoir provoqué l’émergence d’un cycle de réformes de la part du Pays », ce dont la CTC « prend acte », tout reste à faire en matière de réforme profonde pour « assurer d’une part, la pérennité du système et d’autre part, répondre aux attentes légitimes des citoyens. (…) L’heure n’est plus aux reports, ni aux ajustements modestes. »

Le rapport de la CTC se termine sur la réponse d’Yvonnick Raffin, ancien directeur de la CPS qui  indique que « les axes d’amélioration proposés rejoignent pleinement les orientations précisées dans la lettre de mission 2021-2022 de la direction générale » ; et sur celle du président Fritch pour qui les recommandations de la Chambre « viennent corroborer son diagnostic et les axes de réforme de la PSG qu’il a commencé à mettre en œuvre. » 

Les recommandations de la Chambre territoriale des comptes
  1. Dès 2022, professionnaliser l’attribution, la gestion et le suivi internes de toutes les dotations versées.
  2. Adresser dès 2022 à la collectivité de la Polynésie française une demande formelle afin de codifier le droit de la santé et le droit social.
  3. Dès 2022, suivre des indicateurs qualité de service à partir notamment du traitement des réclamations auprès de tous les types d’usagers (assurés et professionnels).
  4. Développer dès 2022 les contrôles a posteriori en se dotant des capacités informatiques adéquates.
  5. Calculer et pratiquer les taux par risque en toute transparence au juste coût à partir du budget 2023.
  6. S’assurer du respect du niveau des réserves règlementaires.
  7. Réserver les contrats d’objectifs et de moyens aux seules opérations expérimentales nouvelles à partir du budget 2023.
  8. Centraliser la régulation et le contrôle des évacuations sanitaires interîles dès 2022.