Avec l’appui de la Marine Nationale, des scientifiques du Muséum national d’histoire naturelle ont équipé en balise GPS une cinquantaine d’oiseaux migrateurs, afin d’étudier leur capacité d’anticipation des cyclones et tsunamis. Mais l’équipe de cette mission baptisée Kivi Kuaka a aussi noté une chute dans la population de certaines espèces.
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Tout avait démarré par une une intuition, celle d’un capitaine de vaisseau de la Marine, un temps basé dans le Pacifique. Et si les oiseaux migrateurs, si prompts à quitter les zones qui vont être touchées par des cyclones ou des tsunamis, pouvaient nous aider à anticiper les catastrophes naturelles ? Une hypothèse que le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) a documentée, étudiée, et a commencé à tester, grâce à une quinzaine de jours de mission dans les Tuamotu qui viennent de se terminer. Le groupe de chercheurs, accompagnés entre autres par un représentant de la Société d’ornithologie de Polynésie Manu, a fait escale sur cinq atolls inhabités des Tuamotu. À l’aide de piège à filets tendus pendant la nuit, ils avaient pour mission d’équiper certains oiseaux de petites balises GPS. Uriri, kivi, torea… Des grands migrateurs choisis « parce qu’ils sont très sensibles aux infrasons que produisent les vortex de cyclone ou les vagues de tsunamis » rappelle Frédéric Jiguet, professeur au MNHN et responsable de l’expédition. S’est ajouté, en cours de mission, le Kaveka (sterne fuligineuse).« L’idée ça serait de voir avec quelle anticipation ces oiseaux détectent les infrasons, explique l’ornithologue. Et donc comment ils pourraient servir dans les systèmes d’alerte précoce des catastrophes naturelles ».
Deux fois moins d’individus qu’en 2003
Jeudi, le professeur du muséum parisien était dans les bureaux du commandement supérieur des forces armées pour « débriefer » cette expédition menée à bord et avec l’appui du Bougainville, un bâtiment multi-mission de la marine. Une mission « réussie », avec toutefois un gros bémol. « On a rencontré beaucoup moins d’oiseaux à ce à quoi qu’on s’attendait », reprend Frédéric Jiguet. Une étude américaine de 2003 avait fait un recensement de différentes espèces sur les atolls visités (Tahanea, Haraiki, Reitoru, Tekokota, Tikei). L’équipe de Kivi Kuaka a trouvé des populations au moins deux fois moindre. « Cette chute de la population pose des questions sur leur état de conservation » reprend Frédéric Jiguet. Les informations recueillies pourraient donc aller dans le sens d’une meilleure protection de ces espèces fragiles, qui fréquentent les îles du Pacifique jusqu’au mois d’avril avant de parcourir jusqu’à 12 000 kilomètres pour aller nicher Alaska. Si le Kivi (courlis d’Alaska) est déjà considéré comme vulnérable par l’UICN, le pluvier fauve (torea) et le chevalier errant (uriri), ne sont pour l’heure pas classés comme menacés, mais sont très mal connus.
Un partenariat qui continue avec l’Armée
Les balises, malgré leur 5 grammes, devraient communiquer des données de déplacement et de météo pendant au moins un an, et peut-être jusqu’à trois ans, comme l’espèrent les scientifiques. Des données récoltées à chaque passage de la station spatiale internationale et qui seront traitées à Paris. De quoi analyser les vols des oiseaux à l’approche d’évènements catastrophiques, ou valider certains modèles météorologiques. Des objectifs « parfaitement cohérent avec nos missions », pointe le commandant du Bougainville, Gabriel Isnard. Le B2M a l’habitude des missions de surveillance de la zone maritime, mais se tient aussi prêt en permanence pour l’assistance aux populations en cas de cyclone ou de tsunami. « Si on peut avoir des sentinelles avancées comme ces oiseaux migrateurs, ça peut nous permettre d’anticiper, reprend le lieutenant de vaisseau. Ca peut nous permettre de prépositionner nos forces, de planifier comment on va déployer nos moyens ».
Même enthousiasme du côté du contre-amiral Jean-Mathieu Rey, qui note que les missions alliant des objectifs navals et scientifiques ne datent pas d’hier. « Bougainville avait déjà fait ça en son temps » appuie le commandant supérieur des forces armées de Polynésie, qui est aussi commandant des zones maritimes françaises du Pacifique. Pas question pour lui d’arrêter le partenariat entre l’Armée et le Museum d’histoire naturelle sur Kivi Kuaka. « On est qu’au début de cette mission, il faut obtenir des résultats concrets et on va devoir travailler ensemble pour avoir un système qui nous permettre d’anticiper ces phénomènes », appuie le contre-amiral. Encore une fois ça s’inscrit complètement dans notre mission de protection ».
À noter que le Youtuber et vulgarisateur scientifique Léo Grasset, qui anime la chaîne Dirty Biology faisait lui aussi partie de la mission, dont il a déjà posté quelques photos sur les réseaux sociaux. Il devrait d’ici quelques semaines, publier des vidéos sur cette expérience aux Tuamotu.