Paris (AFP) – Isabelle Dinoire, la première patiente au monde greffée du visage est morte en avril d' »une longue maladie », un peu plus de dix ans après une opération qui reste exceptionnelle et difficile à maîtriser en raison des complications.
En 2005, cette première greffe de la face, réalisée le 27 novembre en France, avait suscité des espoirs dans le monde pour les blessés de la face: accidentés, grands brûlés, victimes d’arme à feu… Et depuis les Etats-Unis, l’Espagne, la Chine, la Belgique, la Pologne et la Turquie se sont lancés dans cette transplantation partielle ou totale.
Malgré l’enthousiasme des débuts, les risques de rejet à court et à long terme de tissus provenant de donneur décédé constituent l’un des défis de cette chirurgie lourde et complexe.
Isabelle Dinoire, défigurée par son chien, avait 38 ans, lorsqu’elle bénéficie pour la première fois d’une greffe partielle du visage (greffe nez-lèvres-menton) réalisée par l’équipe du Pr Bernard Devauchelle, du centre hospitalier d’Amiens, en collaboration avec le Pr Jean-Michel Dubernard de Lyon.
Le Pr Maurice Mimoun, spécialiste de chirurgie reconstructrice (Paris), relevait alors l’aspect émotif du débat, notant que le visage a un « rapport avec l’âme ».
En mars 2010, une équipe espagnole réalise la première greffe totale du visage sur un homme souffrant de difformité suite à un accident, suivie en juin de la même année par l’équipe française d’Henri Mondor à Créteil.
« Tous les patients qu’on a opérés ont fait des rejets, ce qui conduit à augmenter les doses de médicaments et avec, les risques », relève auprès de l’AFP le Dr Jean-Pierre Meningaud de l’équipe de hôpital Henri Mondor (AP-HP, Créteil, région parisienne) qui a réalisé 7 greffes de la face avec le Pr Laurent Lantiéri.
Parmi ces sept patients, deux sont décédés, selon lui.
– Des conséquences un peu lourdes –
Les traitements immunosuppresseurs destinés à empêcher l’organisme du receveur de rejeter organes ou tissus greffés ont dans l’ensemble contribué aux succès des autres greffes. Mais cancers et lymphomes sont devenus plus fréquents chez les transplantés en général.
« Indépendamment des cancers, la facture est un peu lourde: on a des greffons qui vieillissent un peu plus vite que les gens, des problèmes de couleur (de peau), d’hypertension, d’humeur… », égrène le Dr Meningaud. Le visage du greffé ne passe pas inaperçu, contrairement aux espérances du début.
« Ce qui pénalise les patients ce sont les traitements anti-rejets » et « je pense qu’il faut marquer une pause sur cette greffe tant que l’immunologie n’aura pas progressé », dit-il
Pour sa part, le Pr Bernard Devauchelle estimait récemment dans Le Figaro que cette greffe « marche, mais il y a des complications et des problèmes liés au traitement immunosuppresseur ». « Nous n’avons toujours pas résolu la question du rejet chronique, qui conduit la fonctionnalité du greffon à se détériorer avec le temps », admettait-il.
« Il y a eu une bonne trentaine de greffes de face dans le monde. En dix ans, si c’était vraiment fabuleux, on en aurait 500 », lance le Dr Meningaud qui pointe aussi que « depuis, la chirurgie conventionnelle réparatrice a progressé ».
Selon le Pr Olivier Bastien, directeur du prélèvement de la greffe d’organes et des tissus de l’agence de la biomédecine, « il y a eu dix greffes partielles ou plus complètes du visage en France et huit des receveurs sont encore vivants ».
Les difficultés subsistent dans ce type de greffes. Pour les patients, jeunes pour la plupart, « on n’a pas assez de recul ». « On n’est pas pas encore sorti de la phase de recherche », ajoute-t-il.
© AFP/Archives DENIS CHARLET
Isabelle Dinoire, la première femme au monde greffée du visage le 6 février 2006 à Amiens