L’historienne Mililani Ganivet a mis au jour, dans les archives de la Smithsonian Institution de Washington DC, des travaux de l’anthropologue Robert Levy, sur les habitants de Haapu à Huahine au début des années 60. Des notes détaillées, des enregistrements d’une grande richesse linguistique et des photographies qu’une délégation du village va découvrir le mois prochain. Avec la réalisatrice Marie-Hélène Villierme , la chercheuse prépare un documentaire intitulé « Son nom était Ropati », pour aborder le thème plus large du retour des biens culturels aux communautés originelles.
« En 2022, lors d’un stage au Smithsonian, je suis tombée sur les archives de l’anthropologue Robert Lévy, qui est connu pour son livre Tahitians. Il avait fait une étude psychologique d’habitants de Haapu, à Huahine, entre 1961 et 1964. Il y avait une série d’interviews en tahitien, parce que Robert Lévy parlait tahitien. Donc on a des heures d’enregistrement qui sont d’une richesse linguistique extraordinaire », résume Mililani Ganivet depuis Londres, où elle poursuit son doctorat sur les collections polynésiennes du British Museum.
Ayant rencontré quelques mois plus tôt deux membres du conseil municipal passionnés par l’histoire de leur île, Mililani leur explique ce qu’elle a découvert dans la capitale américaine, leur montre les photos sur lesquelles les deux hommes reconnaissent leurs grands-parents. Ils la mettent en rapport avec Mamie Tara, 76 ans, seul témoin direct encore en vie : elle a connu Robert Lévy, un ami de son père, mais seulement sous le nom de Ropati, sans rien savoir de son activité de chercheur. Sans savoir non plus qu’il avait publié un livre en 1973, dans lequel les noms des personnes et du village avaient été anonymisés. Apprendre qu’il était là pour les étudier a d’ailleurs jeté un trouble, dit Mililani Ganivet.
Un « projet de recherche, mais aussi un projet de cœur »
Un seul des enregistrements, faits sur des bandes en cire difficiles à reproduire, a été numérisé pour l’instant. L’ensemble représente une trentaine d’heures d’entretiens. Mais à travers son programme « Recovering Voices » (retrouver les voix), le Smithsonian sponsorise des projets de recherche des communautés d’origine dont le patrimoine se trouve au musée. Mililani, dont tout le travail d’historienne est orienté vers le patrimoine culturel polynésien dispersé dans le monde, a soumis avec les habitants de Haapu une candidature à ce programme très sélectif, qui a été acceptée. « C’est la première fois que le Smithsonian accueillera une délégation de Polynésie française, la première fois également qu’une communauté locale est sélectionnée par ce type de programme et sponsorisée par un des plus grands musées du monde », dit Mililani Ganivet qui veut « poser dans l’espace public » la question de la restitution du patrimoine matériel et immatériel de la Polynésie.
Même si à l’échelle de l’Histoire, le travail de Robert Lévy à Huahine se situe dans le passé proche, Mililani souligne qu’il existe assez peu d’enregistrements en tahitien datant d’avant le CEP et la politique de francisation qui a suivi son installation au fenua : « Il y a des enregistrements qui abordent certains concepts clés en tahitien, il y a un vrai développement, un approfondissement de ces concepts. »
La communauté aura son mot à dire
Cinq personnes de Huahine vont donc se rendre à Washington DC avant la fin de l’année, avec Mililani Ganivet, Marie-Hélène Villierme et un caméraman, pour découvrir le contenu de ces archives et commencer le tournage de Son nom était Ropati, le documentaire de 52 minutes que les deux femmes portent dans le cadre de ce projet de recherche. Le film retracera la genèse de la démarche, le voyage aux États-Unis et l’après, lorsque la délégation partagera ses impressions à son retour.
Les documents contiennent « des informations de type généalogique, ethnographique et familial, et constituent de ce fait une véritable mine d’or pour les descendants de cette communauté », dit Mililani Ganivet. lLs questions de Robert Lévy, qui était aussi psychologue et psychiatre, étaient parfois assez personnelles, et lui-même aurait eu un enfant à Huahine. Ce sera aux représentants de la communauté de décider ce qui, dans ces documents, ressort de la compréhension historique et culturelle, et ce qui est du domaine intime.
Le Smithsonian et la commune de Huahine participent au financement du voyage, mais Mililani Ganivet et Marie-Hélène Villierme doivent encore boucler le financement du documentaire.