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L’avenir de la médecine du travail toujours en débat

L’élection de Frédéric Dock à la présidence du Sistra, un des deux services de médecine du travail du pays, pourrait relancer le débat sur l’avenir de ces services, et surtout, leur unification. La CPME, qui gère son propre service, l’AMT, y est farouchement opposée, l’ancien président du Sistra, Georges Tramini, n’y voyait guère d’intérêt. Son successeur, qui est aussi président du Medef, est bien décidé à faire avancer le projet pour « rationaliser » les coûts.

Cela ne pourrait être qu’un message de salutation, mais le communiqué de l’association de la médecine du travail (AMT), diffusée par sa maison-mère la CPME, en dit long sur les débats qui animent le secteur. La présidente de l’AMT y félicite Georges Tramini pour ses 24 ans de service à la tête du Sistra, l’autre structure de médecine du travail du fenua. Ce « service interentreprises de santé au travail » a été fondé par des adhérents du Medef, dont Georges Tramini, qui n’en est plus le président. L’assemblée générale de l’association s’était en effet réunie fin mai, suivi d’un conseil d’administration qui a préféré confier les rênes de l’établissement à Frédéric Dock, directeur général de Cégélec et actuel président du Medef.

Or le dirigeant n’avait pas attendu de prendre les rênes du Sistra pour s’exprimer sur son avenir : il défend l’idée d’unifier les services de médecine du travail du pays. « Les avantages seraient multiples », écrivait-il ainsi dans un courrier de mai 2021 alors qu’une réflexion était en cours pour réformer la médecine du travail. Un suivi centralisé, un interlocuteur unique pour les autorités publiques et la CPS, un volume d’entreprises suffisant pour amortir les investissements, des moyens financiers plus importants… Ce projet d’organisme unique permettrait de garantir une couverture universelle des salariés, résumaient alors nos confrères de Tahiti Infos.

« Comment le Medef et la CPME pourraient tomber d’accord ? »

Mais l’idée est loin d’être partagée par tout le monde. La CPME s’y oppose, et elle pouvait jusqu’à présent compter sur Georges Tramini pour contester lui aussi ce projet de fusion. « Pour qu’un service de médecine du travail fonctionne, il y a deux solutions : soit c’est géré comme une structure privée, soit c’est géré par la CPS comme le souhaitait un moment donné le ministère du Travail, une idée qu’ils ont abandonnée. Mais si c’est géré comme une structure privée, on voit mal comment deux organisations professionnelles souvent antinomiques comme le Medef et la CPME, pourraient tomber d’accord pour pouvoir les fusionner, détaille-t-il. Et je pense qu’il n’y a pas d’économies majeures à faire lorsqu’on réduit à un seul service : à part avoir une seule direction générale au lieu de deux ». Le désormais ex-président alerte aussi sur les problèmes à venir au niveau du personnel : Georges Tramini est persuadé que les résultats sont meilleurs avec une « petite équipe familiale ».

L’entrepreneur, qui a « toujours souhaité un service solidaire, détaché des organismes patronaux afin de ne pas être instrumentalisé », s’inquiète de l’affrontement en train de naître entre les organisations professionnelles sur la santé au travail et espère que « les salariés n’en feront pas les frais ».

Une « insatisfaction » des entreprises du Medef

Du côté du Medef, on joue pour l’instant la prudence : la centrale patronale a son avis – son idée d’acteur unique de la médecine du travail a été développée dans un livre blanc publié, à l’attention des candidats, juste avant les territoriales – mais le Sistra est géré de manière autonome, et la fusion, n’est pas, à l’heure actuelle, à l’ordre du jour. « Ce que le Sistra va conduire aujourd’hui avec sa nouvelle présidence regarde la nouvelle présidence, ce sont deux choses totalement différentes, pointe le vice-président de l’organisation Olivier Kressmann. Le Medef s’est exprimé dans son livre blanc mais chaque organisation a sa façon de regarder les choses et Frédéric Dock aujourd’hui, à la présidence du Sistra, est dans une démarche de le rendre plus performant. »

Et pour beaucoup d’entreprises, le Sistra est loin d’être performant. « Georges Tramini a porté sa méthode de gestion du Sistra qui, malheureusement aujourd’hui, se traduit par une insatisfaction des entrepreneurs du Medef, reprend Olivier Kressmann. Faute d’accéder aux services qu’ils pensaient avoir par leur adhésion, ils sont allés chercher une autre médecine du travail. Ça montre bien qu’il y a une attente différente au sein du Medef et on se rend compte qu’une seule et même médecine, ce serait plus cohérent et efficace ». Pour le vice-président de l’organisation patronale, pas de doute, la Polynésie « est parfaitement capable de le faire avec un seul service. Il faut rationaliser les coûts, il faut rendre plus attractif le service par rapport aux médecins dont on a besoin. Il n’y a pas de sens d’avoir deux médecines différentes ».

« Difficile de remonter la pente »

L’ancien président du Sistra reconnait que l’association a eu une mauvaise passe : « Pendant les 15, 18 premières années, c’était simple, on avait un bon taux de satisfaction de nos adhérents. Nous avons été les premiers, et les seuls encore aujourd’hui, à informatiser le service de manière à ce que les médecins aient des services numériques permanents. Nous étions bien partis et nous avions même décidé d’avoir un siège dans lequel on pourrait adapter enfin des locaux à nos modes de fonctionnement », raconte-t-il. Mais un souci de personnel flanque les projets par terre. L’association doit régler un contentieux avec un médecin qui lui coûte « entre 50 et 60 millions ».

« Ça a été très difficile de remonter la pente, continue Georges Tramini. L’ambiance très compliquée… On a eu 4 ou 5 années pendant lesquelles le service n’a pas été au rendez-vous, nos adhérents avaient toutes les raisons d’être déçus, ça a été une période très pénible. On avait envie de baisser les bras mais nous avons tenu. On a eu la chance de recruter d’autres médecins, qui sont aujourd’hui une équipe extraordinaire. Le projet du siège pour le Sistra est donc revenu dans nos préoccupations. » Le terrain acheté au préalable à Hamuta pour construire le siège du Sistra a, depuis, été revendu et « va donner les moyens à l’association de relocaliser nos bureaux dans des conditions mieux adaptées à notre mission », a écrit Georges Tramini dans un courrier d’aurevoir aux adhérents. Un projet et des moyens qui sont maintenant dans les mains du nouveau président du Sistra Frédéric Dock.

CPME : « Une médecine du travail adaptée à la Polynésie française »

Dans son communiqué la CPME donne également sa vision de la médecine du travail, l’estimant « à l’échelle de la Polynésie française » et surtout « affranchie des différentes réformes nationales » qui ont permis d’avoir des services plus efficaces et moins chers : « Un employeur métropolitain paye l’adhésion pour un salarié à « surveillance ordinaire » en moyenne 11 000 francs. Pendant que l’employeur polynésien débourse une somme moyenne d’environ 8 600 francs. La différence est encore plus grande pour les salariés à ‘surveillance renforcée’ puisqu’un employeur métropolitain paye l’adhésion d’un salarié environ 17 000 francs alors que pour le même salarié, l’employeur polynésien devra débourser une somme moyenne d’environ 8 500 francs. » Après une « pénurie de main d’œuvre », les deux associations AMTCPME et Sistra ont « su s’adapter et évoluer ». « Notre service vient de connaître deux années record en termes de suivi des salariés et mieux encore, constate avec une grande satisfaction que le nombre de médecins du travail postulant pour la Polynésie française connaît une nette augmentation. » Une convention a été passée avec le Pays et l’université de Bordeaux pour accueillir de jeunes médecins du travail. La présence de deux services permet, pour la CPME, « de laisser le choix aux employeurs, mais aussi de maîtriser les coûts des adhésions par une saine concurrence. Concurrence qui d’ailleurs s’arrête à l’aspect financier puisque les deux services poursuivent des objectifs communs et partagent régulièrement leurs expériences ». Le défi des prochaines années sera numérique avec l’intégration de solutions comme la visio dans la médecine du travail. Il n’est donc toujours pas question, pour l’autre centrale patronale du fenua, de fusionner son service avec le Sistra…

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