ACTUS LOCALES

Déchets : Fenua ma s’interroge sur Paihoro et étudie les options à Nivee


Même si le CET de Paihoro semble pouvoir tenir encore une décennie, le syndicat spécialisé dans la gestion des déchets a commencé à étudier la suite. Sur le même site, avec des techniques innovantes, ou sur la côte Est, à Nivee, où une centaine d’hectares pourraient être consacrés à l’enfouissement, l’incinération, la méthanisation ou à des unités de démantèlement. En attendant, Fenua ma continue de développer Motu Uta, espère enfin avancer sur le réseau de déchetteries de Tahiti… et est obligé de mettre des centaines de millions de côté dans le cadre d’un conflit fiscal avec le Pays.

2035. C’est l’horizon actuel de durée de vie du CET de Paihoro. Le centre d’enfouissement technique, qui borde Taravao et la baie de Phaëton, avait été ouvert en 2000 et les premières estimations le voyaient arriver au bout de sa capacité entre 2015 et 2018. « Les hypothèses étaient alors très élevées, on prévoyait une production annuelle de 80 000 tonnes de déchets enfouis par an », rappelle Benoit Layrle, le directeur général de Fenua ma. Un chiffre brièvement atteint, en 2007, avant que la crise ne fasse s’effondrer les tonnages de bac gris.

L’inflation visible dans les poubelles

Car les poubelles des ménages sont des témoins précieux de l’état de l’économie. « À cette époque, nous avons eu une baisse de 15 à 20 % de la production de déchets. Puis depuis 2011, malgré le Covid, nous avions une certaine stabilité autour de 50 000 tonnes de déchets, précise le responsable. Sur les exercices 2022 et 2023 nous constatons une baisse de 3 à 5 % par an, et ce que nous voyons là ce sont très certainement les effets de la crise de l’inflation : les gens consomment moins de produits et en jettent moins. C’est plutôt bien pour nous, parce que ça préserve les installations. Sauf que c’est une réduction qui ne semble pas liée à l’environnement mais plutôt à la situation économique. »

En 2023, 53 000 tonnes de déchets ont donc été enfouies à Paihoro, qui, sur cette trajectoire et dans sa structuration actuelle, peut donc « tenir » un peu plus d’une décennie supplémentaire. Un horizon lointain, mais à la fois très proche, quand on sait combien il peut être complexe d’identifier, de libérer et d’ouvrir un site dédié à l’enfouissement de déchets. Fenua ma, dès son schéma directeur de 2021, a donc ouvert des hypothèses. « Toutes les hypothèses, précise même Benoit Layrle. Nous sommes en train d’étudier en ce moment même la possibilité de faire des massifs différents à Paihoro, d’exploiter différemment le site pour, en gros, gagner en hauteur plutôt que de s’étendre. Ensuite, il y a une réserve foncière très importante à étudier, qui se trouve sur la côte Est de Tahiti et que le territoire a sanctuarisée. »

Une réserve « sanctuarisée » et plusieurs projets étudiés

Cette réserve, c’est celle de Nivee, située au PK21, à la frontière entre Papenoo et Tiarei, et qui accueille déjà un incinérateur à déchets hospitalier géré – tant bien que mal – par la Direction de la santé, et un centre de traitement et d’enfouissement des déchets toxiques, jamais mis en activité. Quoiqu’il advienne de ses deux outils aux bilans financiers peu reluisants, le site de la côte Est offre encore une centaine d’hectares non exploités et loin de toute zone résidentielle qui pourrait limiter l’accueil des déchets. C’est sur cet espace qu’a été lancée il y a quelques mois une analyse détaillée. « Nous sommes en train de faire des études avec la Direction de l’environnement pour savoir comment ce site doit être aménagé, pour garder une réserve foncière d’enfouissement, pour garder une réserve foncière pour un futur incinérateur, garder une réserve foncière pour de la méthanisation, pour faire du démantèlement de ferraille… » liste le directeur. Pas de plan de « Paihoro bis » sur la côte Est : il s’agit de créer à terme, un vrai « complexe de traitement des déchets ».

La méthanisation – qui consiste à dégrader des biodéchets dans un milieu clos pour produire du biogaz, notamment à partir de lisier agricole – et l’incinération – qui peut permettre de produire de l’énergie – sont les deux projets qui éveillent le plus l’intérêt des élus, visiblement pas refroidis par certaines expériences du passé, comme celle de l’usine Tamara Nui. Ces solutions sont bien dans le champ de l’étude, mais Benoit Layrle attire aussi l’attention sur la possibilité de mettre en place, toujours à Nivee, un outil qui permettrait de découper, démanteler et traiter les grosses structures métalliques, impossibles à écraser avec les deux presses à carcasses qui tournent aujourd’hui autour de Tahiti.

Motu Uta gagne 20 ans, les déchetteries perdent quelques mois

L’étude est en cours, donc, mais le flux de camions, lui, ne s’arrête pas à Paihoro, où Fenua ma assure mettre les moyens pour « respecter le cahier des charges ». Capacité de la station d’épuration « quadruplée », système anti-odeurs et vigilance anti-incendie améliorés, analyses régulières des eaux de la baie de Phaëton, qui serait davantage « perturbée » par le développement de Taravao et par l’activité agricole que par le CET… Les arrivées de déchets continuent aussi à Motu ua, autre site capital pour les communes du syndicat, et pour une douzaine d’autres îles, tout juste rejoint par Rangiroa, Tikehau, Mataiva and Makatea, qui y envoient elles aussi du plastique et de l’aluminium. 7 500 tonnes de déchets triés ont ainsi été déposées en 2023, dont 240 pour les Raromatai, et une vingtaine pour les îles éloignées. L’avenir du Centre de recyclage et de transfert, très incertain et très débattu avant le Covid, s’est éclairci avec la signature d’une convention avec le port autonome : le CRT pourra rester sur place « au moins jusqu’en 2043 ».

Fenua ma espère ne pas avoir à attendre jusque-là pour voir sortir de terre le réseau de déchetteries communales, qui doivent permettre aux usagers de déposer eux-mêmes leurs encombrants, déchets verts, déchets électriques et autres ordures qui peuvent être triées. Seul site actif aujourd’hui : celui de Temae, à Moorea, qui connait du succès avec 60 à 150 visiteurs par jours. La deuxième devait voir le jour dès cette année à la Punaruu où un terrain a été depuis longtemps identifié. Mais les difficultés s’accumulent. « Un, au moment des études, nous avons constaté que le sol était instable et donc il fallait construire des massifs beaucoup plus importants que prévu : ça a fait grimper la matière nécessaire à la construction et donc les coûts, reprend Benoit Layrle. Et en plus nous avons eu une inflation, donc les prix ont augmenté et il nous faut plus de béton… Tout ça fait que la note est devenue très salée et qu’aujourd’hui, même si nous sommes allés à la pêche aux subventions et que nous avons eu une garantie d’avoir près de 220 millions de la part de l’Ademe, du Contrat de projet. Le complément, qui est autour de 100 à 150 millions de francs, devra être débloqué par la commune de Punaauia pour que ce projet puisse aboutir. »

En attendant que la mairie de Simplicio Lissant saute le pas – une autre déchetterie devrait naître à Taiarapu Est, à l’entrée du site de Paihoro. « Les travaux commencent, ça devrait être la première déchetterie de Tahiti », pointe le directeur général de Fenua ma. Et pas la dernière : des projets sont en cours de validation à Papeete, Pirae et Mahina.

En plein débat fiscal avec le Pays, le syndicat contraint de thésauriser

Depuis son entrée en opération, le syndicat s’interroge sur la fiscalité qui lui est appliquée et avait même saisi la DICP sur le sujet. La direction des impôts et contributions publiques a lancé en 2015 ce qui devait être un contrôle de formalité, qui a finalement duré deux ans et s’est transformé en véritable épine dans le pied de Fenua ma. En 2018, l’administration a en effet signifié au syndicat un redressement d’environ 300 millions de francs, somme qui a finalement été réduite à 130 millions après recours hiérarchiques et négociations. Reste que le désaccord perdure : les services du Pays considèrent que Fenua ma agit sur un terrain concurrentiel sur une partie de son activité – entre autres parce que l’organisme accepte les déchets d’entreprises à Paihoro, pourtant seul CET de Tahiti. Et doit donc appliquer les mêmes règles fiscales que les sociétés privées.

TVA sur certaines contributions d’adhérents, patentes sur ses divers sites, impôts fonciers, et même impôt sur les sociétés, particulièrement problématique vu les excédents de gestion parfois dégagés sur certaines opérations pour assurer le fonds de roulement… « Incompréhensible » pour les dirigeants de Fenua ma, organisme essentiellement financé par de l’argent public et à qui on demande ainsi de « payer de l’impôt sur de l’impôt ». Le débat s’est donc exporté en justice. À commencer par le tribunal administratif de Papeete, qui a donné raison, dans les grandes lignes, à Fenua ma en 2022. Le Pays, pourtant adhérent et financeur de l’organisme, a fait appel de la décision, et a obtenu un retournement du jugement en appel en septembre dernier. Le syndicat mixte s’est donc pourvu en cassation et attend une décision du Conseil d’État sous « 18 à 24 mois ». En attendant, Fenua ma continue de payer seulement les impôts associés aux structures de service public, mais est tout de même contraint de provisionner des fonds pour faire face à un éventuel rejet, et donc à un redressement salé. 350 à 400 millions sont ainsi mis de côté. De quoi limiter les marges de manœuvre en matière d’investissement.

 

 

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