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Des victimes « par ricochet » des essais nucléaires veulent être reconnues

Veuves ou orphelins, des victimes « par ricochet » des essais nucléaires français, en Polynésie et en Algérie, espèrent être reconnues et indemnisées pour le préjudice causé par le décès de leurs proches : saisi de trois dossiers, le tribunal administratif de Strasbourg doit rendre sa décision en cette fin de semaine. Avec notre partenaire Outremers360.
La France a procédé à 17 essais nucléaires dans le Sahara algérien entre 1960 et 1966, puis 193 essais en Polynésie française pendant 30 ans, jusqu’en 1996. Si la loi du 5 janvier 2010 permet la reconnaissance et l’indemnisation des victimes directes de ces essais nucléaires, en revanche, leurs proches ne peuvent obtenir l’indemnisation de leurs préjudices propres, aussi appelés préjudices « par ricochet ».

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« La loi ne prévoit pas la réparation des préjudices subis par la veuve et les enfants : le préjudice moral, le préjudice d’accompagnement, c’est-à-dire le fait d’avoir accompagné leurs proches dans la maladie, le bouleversement que ça a pu induire dans leur vie et pour certains, le préjudice économique important », a expliqué à l’AFP Me Cécile Labrunie, qui défend ces trois dossiers.

Plusieurs parlementaires ont interpellé le ministre des Armées sur la question de ces victimes oubliées. En juillet, le secrétaire d’État a répondu en séance publique au Sénat qu’elles pouvaient solliciter une réparation selon les règles de droit commun. C’est ce qu’a fait Me Labrunie. Lors d’une audience début octobre, elle a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner l’État à indemniser trois veuves et leurs enfants, avançant que l’État a manqué de protéger leurs proches exposés aux rayonnements ionisants.

Parmi les requérantes, Lilli Wolff, 80 ans, dont le mari avait été affecté sur les sites d’expérimentations nucléaires dans le Sahara, du 29 août 1961 au 28 juin 1962. Victime d’une leucémie diagnostiquée en 1986, il est décédé l’année suivante à 47 ans. Lilli Wolff s’est retrouvée veuve à l’âge de 44 ans avec trois enfants à charge âgés de 21, 18 et 16 ans.

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Prescription quadriennale

Ce combat, « c’est surtout pour mes fils. Ils ont souffert tous les trois », raconte-t-elle à l’AFP. L’un a interrompu ses études pour trouver un emploi, le second a raté son bac et le troisième a vu ses résultats scolaires chuter. Femme au foyer, leur mère a dû trouver un emploi d’aide-ménagère pour subvenir aux besoins de la famille.

Lilli Wolff et ses fils ont fait valoir leur préjudice moral et économique. Mais le Ministère des Armées a rejeté leurs requêtes en pointant du doigt leur tardiveté : leurs demandes d’indemnisation en tant que victimes indirectes datent de décembre 2021 alors que selon le Ministère, les préjudices étaient connus depuis le décès de M. Wolff, en 1987. Le rapporteur public a estimé que l’administration était en droit d’opposer la prescription quadriennale aux requérants.

Mais pour le président de l’association des vétérans des essais nucléaires (Aven), Jean-Louis Camuzat, « le préjudice subi ne s’éteint pas avec le temps ». Parmi les enfants des victimes, « beaucoup n’ont pas pu faire les études qu’ils voulaient ou ne sont pas partis en vacances parce qu’il y avait moins d’argent », décrit Jean-Louis Camuzat à l’AFP. Pour lui, la solution serait d’ « améliorer la loi » de 2010 pour inclure ces victimes indirectes.

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« Un très long combat »

Depuis cette loi, un Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen) a été mis en place. Il a enregistré 2 282 dossiers de demandes d’indemnisation entre janvier 2010 et fin décembre 2022. Avec 328 nouvelles demandes enregistrées, 2022 est la deuxième année en matière de nombre de demandes enregistrées après 2010. Dans 53% des cas, les personnes ont été reconnues comme victimes. Plusieurs pathologies sont indemnisées dont de nombreux types de cancers (cancer du poumon, du sein, leucémie…).

« Au total 150 000 civils et militaires ont été recensés sur les sites d’expérimentation de 1960 à 1996. Pour la plupart, on n’avait pas demandé d’y aller… », insiste Jean-Louis Camuzat, en référence aux appelés du contingent comme lui, qui assista à six tirs nucléaires à Mururoa. Son association s’est battue pour la reconnaissance et l’indemnisation des victimes d’essais nucléaires, avant de se lancer dans la défense des victimes « par ricochet ». Plusieurs décennies d’une pénible lutte : « C’est un très long combat », témoigne Lilli Wolff, « c’est éprouvant ».

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