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« Deux à trois ans » de turbulences : Air Tahiti n’est pas sûre de maintenir toutes ses lignes

Air Tahiti, dont les vols sont suspendus depuis plus d’un mois, sait que la reprise sera très difficile. La compagnie estime qu’elle ne retrouvera que la moitié de son activité d’ici la fin d’année et devra attendre beaucoup plus avant de retrouver son chiffre d’affaire passé. Pour éviter les licenciements, le premier employeur du pays discute d’un « délestage de temps de travail » avec ses salariés, et considère l’arrêt de certaines dessertes non rentables. Son directeur général, Manate Vivish, rappelle la « mission de service public » de la société, et en appelle au soutien des autorités.

Des rapatriements d’élèves ou de touristes, quelques évacuations sanitaires et livraisons urgentes… Depuis le 22 mars, et la suspension de son activité commerciale vers les îles, Air Tahiti, n’est pas à l’arrêt complet, « mais a stoppé l’essentiel de son activité ». Dans leurs dernières annonces, les autorités n’ont pas rouvert, hormis les retours d’îliens bloqués à Tahiti, le trafic inter-îles. Plus d’un mois après le début du confinement, l’horizon de la compagnie domestique polynésienne et de ses quelques 1 400 salariés (le chiffre comprend ses filiales, l’activité d’assistance aéroportuaire, et les travailleurs à temps partiel) est donc loin d’être dégagé.

Une situation que la direction a voulu exposer « avec la plus grande transparence » à ses salariés, explique Manate Vivish, le directeur général de la compagnie. Car, à l’instar  d’ATN au début du mois d’avril, Air Tahiti veut faire aboutir rapidement les discussions avec son personnel sur les conditions de poursuite de l’activité. Les salaires ont été honorés en mars et en avril : « Nous avons priorisé l’engagement des moyens de l’entreprise » plutôt que ceux du Pays, assure le responsable. Mais la problématique est « beaucoup plus profonde que ce qui avait été anticipé ».

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Aujourd’hui Air Tahiti estime qu’elle « ne pourra pas porter seule » sa masse salariale et prévoit à partir de mois de mai, des « mises en congés pour compléter le peu d’activité que le personnel pourra avoir ». L’idée : « répartir la souffrance » entre la compagnie, les salariés… et le Pays. « On espère que dispositif prévu par le Pays sera de nature à vraiment aider ce personnel ».

Les niveaux d’activité de 2019… en 2023 ?

Et les perspectives dressées par la direction n’ont pas de quoi rassurer. « Il a bien fallu réfléchir à des hypothèses de reprise de l’activité, reprend Manate Vivish. Et l’hypothèse que l’on a retenue, c’est que la compagnie se rapprocherait de son niveau d’activité de 2019, en fin 2022 ou le début 2023″. Car quelle que soit la date d’autorisation de circulation aérienne à l’intérieur du fenua, le tourisme extérieur, qui représente près de 45% du chiffre d’affaires de la compagnie, prendra beaucoup plus de temps à se reconstruire. L’activité d’Air Tahiti n’atteindrait en fin d’année que 50% du niveau de fin 2019, toujours d’après les projection de la direction. Il ne s’agit donc pas de passer à une année difficile, mais bien de se préparer à « deux ou trois ans » de turbulences.

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Quels leviers actionner ? Côté recettes, la marge de manœuvre est « quasiment inexistante aujourd’hui », explique le directeur. « Quand l’activité reprendra, on essaiera de redynamiser l’offre », pointe-t-il. Peu de chance que les touristes internationaux, « perdus pour de longs mois et probablement un certain nombre d’années » soient au rendez-vous. « On doit compter sur la clientèle locale de résidents, leur donner l’envie de voyager à nouveau dans les îles », insiste le responsable.

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Mais c’est bien du côté des dépenses qu’il faudra trouver de réelles solutions. « On va allez jusqu’au bout des possibilités d’économies dans tous les domaines de l’entreprise », annonce le directeur général, qui parle de « se replonger dans l’exercice qui a suivi la crise de 2009 », « avec un coefficient de difficulté multiplié par 10 ».

« Pas sûr de maintenir les vols sur toutes les destinations »

La masse salariale, un des premiers postes de dépense pour la compagnie sera quoiqu’il arrive touchée. Manate Vivish martèle pourtant que le personnel, souvent qualifié et formé en interne, est la « principale richesse d’une compagnie ». Si elle veut pouvoir, en temps plus favorable, remonter en puissance, Air Tahiti doit « conserver les liens » avec ces salariés, répartis sur tout le territoire. « Mais nous ne pouvons garantir le temps de travail qu’ils ont pu connaitre », reprend le dirigeant.  Un plan de « délestage » de temps de travail est donc sur la table. La cible : « 30% de réduction de temps de travail », en moyenne pour le « personnel non engagé sur le front opérationnel ». « Pour le personnel opérationnel, les réductions de temps de travail pourront être beaucoup plus impactantes que ça » précise Manate Vivish. Certaines escales pourraient même être privées d’activité : Air Tahiti « n’est même pas sûr de pouvoir maintenir ses vols sur toutes les destinations ».

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La reprise, quoiqu’il arrive se fera « pas à pas », Air Tahiti n’étant « pas en situation de reprendre le niveau d’activité » d’avant-crise. « Il va falloir qu’on se concentre d’abord sur les routes qui nous permettent de couvrir nos coûts variables, et après au fur et à mesure du retour des trafics, envisager l’ouverture ou l’augmentation de fréquence sur d’autres destinations », reprend Manate Vivish, qui insiste sur la « mission de service public » de la compagnie.

Une contribution du Pays contre la reprise des lignes déficitaires ?

Le discours n’est pas neuf : Air Tahiti dessert, sous la pression du Pays qui lui accorde sa licence d’exploitation, plusieurs destinations déficitaires. Elles sont financée « par un système de péréquation interne » : les marges dégagées sur les lignes les plus touristiques financent les lignes les moins fréquentées. Voilà de longues années que la compagnie essaie d’obtenir une compensation financière de la collectivité pour cette mission de « désenclavement des archipels », qui n’est pas reconnue dans la loi ou par contrat. Le débat est régulièrement relancé par la perspective d’une concurrence sur les lignes principales ou par les recours – certains sont encore en cours – menés par Air Tahiti devant les juridictions administratives.

Mais à entendre Manate Vivish, le coronavirus et les difficultés financières à venir remettent à plat la discussion. « J’espère que le Pays souhaite conserver ses liens aériens avec ses îles et contribuera », tranche le directeur général qui pointe, comme souvent, que cet absence de contribution des pouvoirs publics est « un cas unique dans les collectivités d’outre-mer ».

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La compagnie, comme toutes beaucoup d’entreprises touchées par la crise peut quoiqu’il arrive prétendre à un prêt garanti de l’État. Elle demande en outre, comme ATN ou les autres compagnies françaises, une aide de Paris plus directe, proportionnelle à celle accordée au groupe Air France. Les deux compagnies polynésiennes ont des combats communs mais une situation différente, notamment sur le plan du capital. Le Pays, avec seulement 14% des parts d’Air Tahiti, n’est qu’un actionnaire minoritaire. Que se passerait-il s’il ne soutenait pas « suffisamment » le transporteur domestique ? « Je pense qu’Air Tahiti survivra », admet son directeur général. Mais « dans quel format, et par rapport à quelles missions » ? Plus qu’un appel du pied, c’est un appel à se mettre autour de la table que Manate Vivish adresse donc aux pouvoirs publics : « En dehors des lignes rentables, la question est de savoir qui porte ce service public de désenclavement dès lors que la compagnie locale ne peut plus le faire ».

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