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Lagoonarium : deux ans avec sursis pour la noyade d’une touriste

Carole Rey, la gérante du lagoonarium de Moorea était convoquée ce mardi devant le tribunal correctionnel pour répondre de l’accusation d’homicide involontaire suite au décès par noyade d’une touriste en novembre 2018 alors qu’elle suivait avec son mari, le parcours aquatique mis en place par le lagoonarium. En son absence pour raison médicale, la gérante a été condamnée à deux ans de prison avec sursis.

Le couple de touristes, tous deux la soixantaine, tous deux équipés de masques de type « panoramique », s’était mis à l’eau vers 9 heures du matin pour suivre le parcours aquatique mis en place par le lagoonarium. Après avoir suivi le tracé, dont la profondeur n’excède pas 1.90m, et qui s’est déroulé sans difficulté, ils prennent un peu de repos sur le motu Ahi, puis décident de refaire le sentier aquatique aux alentours de 10 heures. Mais à environ une centaine de mètres du motu, la femme semble être en difficulté. Selon son compagnon, après avoir enlevé son masque elle aurait tenté de rejoindre la surface, et celui-ci l’aurait saisie pour l’aider alors qu’elle se débattait. Elle perd alors connaissance. Une infirmière qui faisait partie de la clientèle tente alors un massage cardiaque mais rien n’y fait la femme de 67 ans ne réagit pas au premier secours ni à l’intervention des pompiers. Elle décédera dans la nuit au CHPF. Son autopsie révélera qu’elle est morte par noyade et dans son sang, nulle trace d’alcool ni de stupéfiants.

De graves manquements à la sécurité

Son compagnon décide de porter plainte contre le lagoonarium pour « homicide involontaire « . Selon lui, il y aurait eu des manquements à la sécurité comme l’absence de gilets de sauvetage et aussi qu’un seul employé était chargé d’accompagner un groupe de 15 personnes. En outre il déplore le fait que l’accompagnateur les aurait rejoints en kayak, et assure que s’il était arrivé en bateau, le délai d’intervention aurait été plus court et l’embarcation plus stable pour faire un massage cardiaque et sa compagne aurait pu être sauvée. Pour lui, aucun doute : le lagoonarium est responsable du décès.

Vingt ans d’exercice en toute illégalité

Cela fait une vingtaine d’années que le lagoonarium de Moorea est un point de passage quasi obligé pour les touristes se rendant sur l’île sœur, de nombreux reportages lui ont été consacrés ainsi qu’à la famille Pambrun, sorte de « Robinson » des temps modernes. De nombreuses classes de primaire aussi ont visité ce lieu. Mais cela fait aussi près de vingt ans que ce lagoonarium fait parler de lui sur le plan de la justice. Car le motu Ahi où se situe le lagoonarium appartient au domaine public et la famille Pambrun ne dispose d’aucune autorisation pour occuper le lieu et en faire des visites payantes. Entre avis d’expulsion, médiation etc... le lagoonarium a malgré tout continué à fonctionner et accueillir des visiteurs. Il n’a été démantelé qu’en 2021, suite à un avis d’expulsion et surtout après ce drame de 2018 suivi en 2019 par un accident où un enfant avait été mordu par un requin.

Outre cette occupation illégale du motu, c’est surtout de manquement à la sécurité dont il a été question ce jour. Et à ce niveau, c’est un cas d’école. Pas de personnel formé aux premiers secours, pas de maître nageur, ce qui est obligatoire lors d’activités aquatiques payantes, pas de protocole de sécurité et pour couronner le tout, un seul employé pour surveiller une quinzaine de baigneurs qui suivent le parcours. Un parcours qui semble relativement aisé puisqu’il est balisé par des bouées reliées entre elles par un cordage où il suffit de se tracter pour avancer. Il n’est nul besoin de nager, juste flotter.

« On savait que l’on n’aurait jamais eu d’autorisation pour s’installer,  mais on a continué »

À la barre ce mardi, ce n’est pas la gérante Carole Rey qui est présente mais son fils Matahi Pambrun, la trentaine sportive, cogérant du lagoonarium et absent au moment du drame. Visiblement il aimerait être à mille lieues de là. Inquiet, la sueur perlant sur son menton et s’évertuant maladroitement à défendre et à dédouaner ses parents, Teiki Pambrun et Carole Rey. S’il reconnaît que ses parents ont agi dans l’illégalité durant plus de20 ans, c’était parce que « on savait que l’on n’aurait jamais eu d’autorisation pour s’installer, mais on a continué vu ce que l’on avait investi. ». « Mais si vous aviez obtempéré lorsque l’on vous a demandé de partir, vous ne seriez pas ici en ce moment » s’étonne le juge, « faut bien manger » rétorque laconiquement Matahi Pambrun. Concernant le manque de personnel pour surveiller le parcours aquatique, « mettre du monde en plus, cela a un coût et on n’avait pas les moyens. » Sur l’absence de gilets de sauvetage, « il y en avait, mais vous savez quand les gens arrivent sur le motu ils sont euphoriques et ne font pas spécialement attention à ce qu’on leur dit. »

Aucun contrôle de la direction de la jeunesse et des sports

Un cadre de la direction de la jeunesse et des sports, en charge du contrôle des activités nautiques, explique que pour ce type d’activité il faut au minimum un maître nageur sauveteur et une surveillance constante, « et là il n’y avait même pas de bouteille d’oxygène, ce qui est obligatoire. » Une déclaration qui a fait bondir le défenseur du lagoonarium. « Comment expliquez-vous que vous n’ayez jamais contrôlé cette activité qui perdure depuis 20 ans et qui a accueilli des milliers de touristes ? » Hésitation du cadre, « à ma connaissance on a jamais été mandaté pour faire cela, mais je ne suis en poste que depuis 2012 » explique-t-il visiblement satisfait de sa réponse.

«Entre le coté financier et la sécurité Carole Rey a choisi coté financier»

Pour la procureure, cet accident n’est pas le fruit de la fatalité, « mais une somme de négligences coupables qui a mis dans la balance le coté financier et la sécurité des personnes, et Carole Rey a choisi le coté financier. » Et d’enfoncer le clou, « La Polynésie a agi sur le plan administratif pour faire cesser cette activité sur le site, le tribunal administratif leur a demandé de quitter les lieux et durant toutes ces années la SARL a agi en toute illégalité au mépris des décisions administratives. » Après avoir relevé les nombreux manquements à la sécurité, elle réclame à l’encontre de Carole Rey une peine de deux ans de prison avec sursis avec obligation d’indemniser la partie civile et une amende de 8 millions Fcfp pour la SARL Lagoonarium de Moorea.

Du coté de la défense on estime « aberrant que l’on ai laissé cette société exister durant 20 ans, alors qu’il y avait des contentieux. » Pour l’avocat, « c’est l’intrusion de l’eau dans le masque qui a causé la noyade et il faut agir très rapidement. Même s’il y avait eu un maître nageur, l’issue aurait été fatale. » Et de faire remarquer, « visiblement ce type de masque est à l’origine de plusieurs noyades dans le monde. » Il plaide la relaxe.

Après en avoir délibéré, le tribunal a condamné Carole Rey à deux ans de prison avec sursis assorti d’amendes d’un million de francs pour la gérante et de 10 millions de francs pour la SARL.