Radio1 Tahiti

Dialogue de sourds autour de la loi fiscale


Le nouveau projet de loi fiscale, similaire au texte voté en décembre et annulé par le Conseil d’État, a été présenté en commission de l’assemblée ce mardi. Une séance qui n’ pas permis à l’opposition d’en savoir plus sur l’impact budgétaire de cette situation, ni sur les amendements évoqués par Moetai Brotherson. Tony Géros, visiblement pas plus informé de l’action du gouvernement, juge que les « 400 millions » de manque à gagner fiscal ne sont qu’une « goutte d’eau » face aux besoins de renflouement de l’OPH, l’OPT, du CHPF et d’autres « satellites » du Pays. Le président de l’assemblée attend surtout, de plus en plus impatiemment, les « vraies » réformes promises pendant la campagne du Tavini.

Peu d’informations et peu de réponses pour les élus de l’assemblée, ce mardi. Beaucoup espéraient pourtant que la réunion de la commission de l’Économie soit l’occasion d’en savoir plus sur les conséquences de l’annulation, par le Conseil d’État, de la loi fiscale votée en décembre. Le gouvernement n’avait pas perdu de temps : dès la publications des conclusions du rapporteur public, un nouveau projet de loi avait été mis dans les tuyaux… Et était donc étudié en commission ce mardi. Les déclarations de Moetai Brotherson, depuis Singapour hier, avaient laissé planer le doute sur d’éventuelles modifications du texte par le gouvernement. Il n’en a rien été, ou presque. L’ordre des avocats, à l’origine d’un recours au fond non étudié par le Conseil d’État qui a basé sa décision sur la seule forme, a obtenu une correction à la marge. Le titre du projet a aussi été modifié, suite à des remarques d’élus d’opposition, pour ne plus faire référence à « l’exercice 2024 ». Mais les critiques – nombreuses – adressées aux diverses mesures rectifiant la fiscalité de l’immobilier, de certaines sociétés, de l’hôtellerie, des véhicules électriques, ou aux nouvelles dispositions concernant la défiscalisation locale, n’ont pas été adressées.

« De la navigation à vue totale »

Les élus d’opposition n’auront pas de réponses, pendant la commission, sur les intentions du ministre des Finances Tevaiti Pomare, qui pourrait encore faire déposer des amendements en séance plénière. « Il semble être en attente des dispositions que le président du Pays va lui indiquer », analyse Nuihau Laurey, élu non inscrit et chef de file de A Here ia Porinetia. « On a en face de nous un ministre qui dénigre presque les élus et qui dévalorise la décision du Conseil d’État, s’agace Tepuaraurii Teriitahi, représentante du groupe Tapura. Il a l’air de dire ‘ok on nous embête avec la procédure, s’il y a a que ça, on remet le même texte dans les tuyaux, tout va bien vous allez revoter la loi avec rien de changé’. Voilà on avait ce comportement en face de nous. »

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Surtout, les élus d’opposition n’auront pas de réponse sur les conséquences budgétaires exactes de ce texte. Ni sur les moyens que compte mettre le Pays pour rééquilibrer le budget 2024 abondé, entre autres, par les recettes engendrées par cette loi. « Le budget devient mécaniquement insincère, on pensait que simultanément un collectif allait être présenté, il n’y en a pas eu, reprend Nuihau Laurey. On n’a même pas d’indication sur la date à laquelle ce collectif va être présenté, pendant la session administrative probablement (qui démarre le 11 avril, ndr). Mais c’est de la navigation à vue totale. »

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400 à 500 millions de manque à gagner, « une goutte d’eau »

Hors de la salle de commission, le président de l’assemblée Tony Géros avance le chiffre de 400 millions de francs de manque à gagner fiscal, qu’il tiendrait « des services du Pays ». Dans leurs conclusions devant le Conseil d’État, les avocats du Pays avait pourtant avancé la somme plus impressionnante de 1,7 milliard de francs qu’il faudrait rembourser à des contribuables en cas d’annulation de la loi. Mais il s’agissait là d’un calcul sur une année pleine, et qui ne compte pas les plus de 400 millions de francs que le Pays pourrait « redresser » auprès de contribuables qui auraient pris avantage de la loi annulée.

Sur trois mois – en admettant que le nouveau projet soit revoté rapidement – le manque à gagner « net » se situerait donc bien entre 400 et 500 millions de francs. Pas de quoi inquiéter le chef de la majorité Tavini à l’assemblée qui pense plutôt aux besoins – bien plus importants – de renflouement de l’OPH, l’OPT, ou du CHPF entre autres. « Je pense qu’au prochain collectif, au regard de la nécessité d’équilibrer obligatoirement les situations difficiles qui se passent actuellement au sein des satellites du Pays, ces 400 millions vont représenter une goutte d’eau dans les finances qu’on va devoir avoir d’ici là. »

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La majorité Tavini perd patience

Tony Géros, après avoir confié sa « perplexité » devant la décision du Conseil d’État – qui, selon lui, laisse plus d’interrogations que de réponses -, rappelle surtout que cette loi n’est en rien la réforme fiscale attendue par son groupe. « Notre positionnement, c’est d’apporter des réponses à la complainte qui s’est exprimée lors des élections de 2023, explique le maire de Paea. Ça consiste à interpeller le gouvernement sur les mesures à mettre en œuvre pour impacter la cherté de la vie et retrouver de l’équilibre sur la protection sociale généralisée. » Qu’importe donc, si ce sont ses propres décisions procédurales, en tant que président de l’assemblée, qui ont provoqué l’annulation de la loi fiscale, puisque ce texte n’apporte pas de solutions.

Tony Géros, qui ne manque pas de préciser que Moetai Brotherson était un « arbitre absent » lors des premiers débats sur cette loi en décembre, cache de moins en moins son impatience de voir l’exécutif développer le programme de campagne du Tavini. En l’absence, encore une fois, de son président, toujours à Singapour, Tevaiti Pomare n’a pu que promettre, en réponse, une nouvelle « journée prospective de l’économie ».