Le Papeete Olympique Échecs reçoit ces jours-ci Samy Shoker, grand-maître international déjà passé par le fenua il y a quelques mois. Objectif de cette invitation : aider les joueurs locaux à monter en niveau, mais surtout aller à la rencontre des élèves et des enseignants de primaire et de collège, pour promouvoir le « roi des jeux ». Plus que ses apports cérébraux ou mathématiques, ce sont les bienfaits humains de la discipline qui sont mises en avant.
Les échecs, c’est avant tout « un sport de rencontre ». Jean-Pierre Cayrou le sait, et après 30 ans à promouvoir la pratique en Polynésie, il s’efforce toujours d’y faire venir des joueurs de haut-niveau. C’est le cas de Samy Shoker, grand maître international – le plus haut titre qui peut être accordé par la Fédération internationale des échecs (Fide) – venu pour la première fois au fenua en avril dernier. Le Franco-égyptien, qui affiche à son CV des titres de champion de France ou d’Afrique de partie rapide et plusieurs victoires dans des opens internationaux, avait été marqué par l’accueil de la « famille des échecs polynésienne », et, depuis la Nouvelle-Calédonie où il s’est installé en 2019, n’a « pas hésité » à répondre de nouveau à l’invitation.
« Un plaisir, même si on se prend quelques raclées »
Samedi, le trentenaire était déjà à l’œuvre, dans la salle du club à Fariipiti, enchainant les simultanés avec des joueurs locaux, des plus jeunes aux plus expérimentés. « C’est important, parce que ça créé une émulation, c’est une remise en question de notre façon de jouer, et c’est toujours un plaisir, même si on se prend quelques raclées, de se mesurer à une pointure, reprend Jean-Pierre Cayrou. Je le disais aux élèves ce matin : je n’ai jamais eu la chance étant petit de rencontrer un joueur de ce niveau en France. Et eux, c’est pratiquement chaque année qu’ils ont un grand-maître qui vient ici, qui fait office d’entraineur et qui à la fois leur ouvre de nouveaux horizons ».
Faire réfléchir et faire rêver les jeunes joueurs, et au passage « faire comprendre que si on veut un résultat, il faut travailler ». Pas question de réserver ces bienfaits aux seuls adhérents du club. Si Samy Shoker a traversé le Pacifique pour une quinzaine de jours, c’est avant tout pour intervenir en milieu scolaire. Les échecs sont déjà pratiqués dans les écoles et collèges de Polynésie : reconnue comme « activité hautement éducative », la discipline est proposée, en initiation ou en pratique régulière, à plusieurs milliers d’élèves chaque année. Mais pour les promoteurs locaux du « roi des jeux », comme pour le grand-maître, d’ailleurs lui-même enseignant, le potentiel pédagogique des échecs est encore largement sous-utilisé localement. « Apprendre à comprendre », développer ses capacités d’analyse, de synthèse, de résolution de problème… Les échecs sont bien sûr un outil très apprécié des classes de mathématiques, « mais pas seulement », insiste Jean-Pierre Cayrou.
Analyse, réflexion et estime de soi
Dans des milieux où les jeunes « manquent parfois de fierté, de perspectives », « c’est un sport qui apprend aux jeunes à se respecter », détaille le président du club. À se respecter eux-mêmes – le parcours de Samy peut l’attester, « même si on vient d’un milieu pas facile, avec le travail, un environnement positif, on peut aspirer aux meilleurs résultats » – et respecter l’autre. « Aux échecs, si on veut progresser, il faut considérer son adversaire, sans tenir compte de sa couleur de peau, son milieu d’origine… » précise le pédagogue. Se comprendre voire se rapprocher autour d’un échiquier ? C’est ce qui se passe « à chaque fois », assure le grand-maître qui parle d’un jeu « universel » et met en avant la devise de la fédération internationale : Gens una sumus, « Nous sommes une seule famille ».
Au collège de Papara, et dans plusieurs écoles primaires de Tahiti, Samy Shoker aura donc à cœur de casser certaines images des échecs – celui d’une discipline élitiste notamment – et de montrer comment les valeurs du jeu peuvent se traduire dans la vie. Par exemple sur l’analyse systématique des parties, enseignée dès les premières années. « Quand on fait une erreur on essaie de revoir ce qui a pas marché pour pouvoir évoluer, note le grand-maître international. C’est vraiment se servir des défaites pour avancer ».
Jean-Pierre Cayrou et la « famille des échecs » de Polynésie, à laquelle Samy Shoker semble bien s’intégrer, ont bien d’autres projets. Notamment celui d’aller former, en début d’année prochaine, des enseignement d’écoles et du collège de Rangiroa, à leur demande. Là aussi, il s’agit « non pas pour lutter contre le fiu, mais pour leur montrer qu’ils sont tous capables, de réfléchir de calculer ». Sans oublier de s’amuser.