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Économie : la méthode Raffin

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Le très discret ministre de l’Économie, Yvonnick Raffin, sort de sa réserve pour faire un état des lieux et le point sur le plan de relance 2021-2023. Venu du secteur privé, et chargé de simplifier et moderniser la vie économique, il donne un aperçu de sa vision à plus long terme : pro-entreprises, et contre l’interventionnisme tous azimuts du Pays. Pour créer ces conditions, la rénovation de la fiscalité et la refondation de la protection sociale sont indispensables et inévitables, et son ministère planche sur ces cadrages, sans dirigisme excessif, assure-t-il.  Il veut voir dans la crise que nous vivons l’occasion d’un changement trop longtemps différé.

L’économie polynésienne est au pied du mur, et le ministre du secteur, Yvonnick Raffin, aussi. Il s’exprime avec précaution et une certaine lenteur, cherchant le mot juste, loin de la faconde d’hommes politiques plus chevronnés. « On a beaucoup trop attendu pour réformer, parce qu’il faut avoir quand même du courage… Je ne suis pas là pour gagner le concours de popularité. Si j’ai accepté de venir dans ce gouvernement, c’est bien pour relever tous ces challenges qui me passionnent. C’est bien pour ça que vous me voyez rarement. Faire des annonces, des interviews, courir les plateaux télé, c’est bien, encore faut-il avoir du contenu. Le contenu, on commence à l’avoir, donc je vais commencer à le faire, mais je ne voulais pas brûler les étapes. »

La facture du covid : 32 milliards de Fcfp

Méthodique, il veut d’abord « planter le décor » : « La masse salariale globale a chuté de 17 milliards en 2020 – ce qui correspondait à la perte de 4 000 emplois équivalent temps plein, mais qui en réalité a touché beaucoup plus de monde. Avec des répercussions immédiates sur la Caisse de prévoyance sociale. La perte d’activité se situe essentiellement dans le tourisme, et elle a entraîné une chute du PIB de 10%. Conséquence, les recettes fiscales de la TVA ont chuté de 17%. »

Le plan de sauvegarde présenté en mai 2020 par son prédécesseur, « Cap 2025 » consistait à injecter massivement de l’argent dans l’économie locale pour préserver les emplois. « Bien nous en a pris, parce qu’alors qu’on rouvre les frontières, on s’aperçoit que la machine productive est prête à redémarrer. On n’est pas les seuls, il y a l’État qui a injecté plus de 20 milliards dans l’économie. Un autre chiffre important qu’il faut avoir en tête, c’est le coût de la covid. 32 milliards : c’est le chiffre qui a été arrêté et que j’ai communiqué jeudi à la commission de l’économie de l’assemblée. Dans ces 32 milliards, la CPS représente 17 milliards – 9,6 milliards de prêt et puis le solde du Fades, 7 milliards (…) Et ça continue, donc il faut préparer le second semestre 2021 et 2022. »  

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Le second PGE attendu dans la valise d’Emmanuel Macron

Le plan de relance 2021-2023, chiffré à 78 milliards de Fcfp, a pris le relais du plan de sauvegarde en mars dernier. Son premier comité de pilotage se réunira mi-juillet. D’ici là, Yvonnick Raffin se rendra à Paris, pour parler du second prêt garanti par l’État. « Nous sommes en cours d’échanges avec l’État, parce qu’il nous faut effectivement absolument un deuxième prêt garanti par l’État qui permettrait de venir financer 40% de ce plan de relance. Dans ce prêt sont intégrés aussi les financements qui viendraient au secours d’ATN. Et enfin, une bonne partie de ce prêt fera aussi l’objet d’un second prêt à la CPS, pour 7 milliards. »

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Un nouveau prêt à la CPS, donc, mais « on s’aperçoit que les besoins de la CPS sont moindres que la première fois. On avait tous prédit, en mars-avril 2020, une catastrophe. Bon, ça a été ‘moins pire’ que prévu. C’est un indicateur, à mon sens, que la crise a été bien gérée. L’objectif est de signer ce second prêt avec l’arrivée du président Macron. C’est un objectif commun, nous attendons effectivement de belles annonces. » En revanche, le Pays n’a toujours pas d’indications sur la possibilité évoquée par son homologue parisien, Bruno Le Maire, de transformer certains PGE en subventions, mais si elle se matérialise, « ce sera très ciblé », dit Yvonnick Raffin.

Le cas Air Tahiti Nui

Concernant Air Tahiti Nui, il était question d’une aide directe de l’État par d’autres moyens, mais la réflexion continue, dit le ministre. « Nous attendions un audit, qui a été présenté la semaine dernière par Seabury Solutions. Maintenant, plusieurs cas sont envisagés. Si la reprise est là ce ne sera finalement qu’un accompagnement du Pays, avec certainement une aide de l’État. Ça peut passer par une recapitalisation ou par des améliorations des fonds propres, ou des subventions. » ATN avait 16 milliards de trésorerie au début de la crise. Certains se sont donc étonnés qu’après une avance en compte courant de 2 milliards et un PGE de plus de 7 milliards, la question de son soutien soit encore d’actualité. « C’est effectivement cette belle trésorerie qui leur a permis de tenir. Mais autant, en 2020, le problème d’ATN n’était pas un problème de trésorerie mais un problème de fonds propres, autant en 2021 voire 2022, c’est un problème de capitaux propres et de trésorerie. Parce qu’à ce rythme, les prévisions c’est que la trésorerie devrait se tarir en mars 2022 », explique Yvonnick Raffin. La crainte étant que l’épidémie de Covid ne flambe à nouveau et bloque le tourisme international.

Des aides aux ménages et aux entreprises renforcées au prochain collectif budgétaire

« Mais nous n’avons pas attendu ce 2e PGE pour mettre en œuvre ce plan de relance. Sauf que là, nous avons accéléré le mouvement et inscrit des crédits au budget 2021. J’en veux pour preuve le secteur du bâtiment et des petits artisans : la nouvelle loi sur les aides à l’investissement des ménages version 2021 a généré un effet levier de 6. C’est énorme, et les entrepreneurs ont des commandes jusque fin 2021, voire 2022. Ça a été trop vite consommé, donc j’ai proposé au gouvernement de réinscrire des crédits supplémentaires au mois de juin. Il y a aussi l’accompagnement des entreprises, je pense notamment à la Sofidep, où le Pays a doublé la mise et met 1 milliard de capital investissement pour prendre des participations dans les entreprises fragilisées, non éligibles au PGE. C’est du portage, c’est-à-dire que le but c’est de sortir au bout de 4 à 5 ans en fonction de leur situation. Comme n’importe quel bailleur, on prend des risques. Des risques quand même calculés, et nous avons effectivement du parfois refuser des demandes parce que les entreprises n’étaient pas viables. Nous soutenons aussi l’Adie et Initiative Polynésie, à une plus petite échelle mais qui vient quand même aider l’économie du Pays. »

Investissement : la transition écologique chère au ministre

Autre action, le lancement des appels à projet sur l’énergie, pour 30 milliards. Les offres sont attendues pour le mois de juillet, « ça va générer, in fine, des investissements de l’ordre de 7 à 8 milliards. Le Pays met zéro Franc, mais il met en place des textes réglementaires qui permettent d’augmenter le taux de pénétration des énergies renouvelables de l’ordre de 4 à 5%, pour que la transition énergétique soit une réalité. Sur une trentaine de dossiers retirés nous pensons qu’il y aura une dizaine d’entreprises qui pourront suivre, parce que ce sont quand même de très gros investissements. »

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D’autres appels à projets sont en préparation dans le domaine hydroélectrique. « Il y aura toujours des litiges, des opposants. Moi, ce que je retiens, c’est que la grande majorité souhaite développer les vallées. Il faut passer du temps, expliquer les bénéfices notamment pour l’environnement. Pour l’instant certains projets proposés sont au-dessus de la puissance réglementaire, donc il nous faut modifier les textes. »

Yvonnick Raffin ne veut pas s’en tenir là : « les centrales houlomotrices (non pas sur le récif, mais en pleine mer, précise-t-il), je pense que ça peut fonctionner en Polynésie, mais ça demande un investissement énorme. Mis à part le solaire et le Swac, je pense que le domaine qui va se développer très rapidement c’est l’hydrogène. »

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« Cela dit, il faut évacuer les idées préconçues. Les énergies renouvelables sont toujours plus chères que les énergies fossiles. C’est une réalité. Parce que j’entends souvent dire, on va faire des fermes solaires et ça va faire chuter le prix du kilowatt/heure. Ce n’est pas vrai. Il faut vraiment que tout le monde comprenne que l’énergie renouvelable est propre, certes, mais c’est une énergie qui coûte cher. Il faut l’accepter. Après, charge à nous de mettre en place les conditions de venir équilibrer les équations pour éviter que les tarifs s’envolent. Donc il y a un accompagnement de ces modèles qu’on devra mettre en œuvre à un moment donné. »

Refonte de la fiscalité : pas d’impôt sur le revenu dans les tuyaux

Notre système fiscal a été conçu essentiellement au temps du CEP et, depuis, a été amendé au gré des besoins, rappelle le ministre. Résultat : « C’est un millefeuille, nous avons perdu la vue d’ensemble mais, surtout, ses objectifs majeurs, comme de créer un terreau propice à la croissance de nos entreprises ». Un audit de la fiscalité a commencé la semaine dernière et va se poursuivre jusqu’en juillet. « Ce que je veux, c’est surtout un modèle mathématique qui va nous permettre de mettre en place une fiscalité juste et équitable. Je ferai la présentation au gouvernement en septembre, et je pense qu’on pourra effectivement mettre en place quelques mesures dès 2022. Parce que pour financer notre plan de relance, à un moment donné il va falloir rembourser tous ces prêts donc il faut avoir en face des recettes fiscales.»

« Je veux d’abord balayer ce que j’entends tous les jours : il ne s’agit pas de mettre un impôt sur le revenu », dit Yvonnick Raffin qui explique que l’audit poursuit trois grands objectifs : « encourager l’entreprenariat et l’investissement, réglementer et accompagner la venue d’investisseurs extérieurs, permettre la redistribution de la richesse de manière équitable ; encourager les projets de résilience climatique ; et s’interroger sur les mesures qui permettent un meilleur rendement fiscal. »

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Cette recherche de nouveaux gisements fiscaux ne risque-t-elle pas de susciter quelques mécontentements ? « On ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs, malheureusement, répond le ministre. Il faut faire avec, on n’a pas le choix. Mais par contre, je suis intimement convaincu, on a une belle fenêtre de tir. Si on ne prend pas le virage maintenant, ça va être très compliqué. »

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Refonte de la PSG : les premières propositions seront présentées le 21 juin

Là aussi, Yvonnick Raffin sait que l’omelette se fera en cassant des œufs : « Citez-moi une réforme de fond qui soit plébiscitée par l’ensemble d’un corps social ? Lorsque j’ai pris mes fonctions j’ai créé une task force d’une dizaine de membres, qui se réunit tous les mardis depuis le mois de novembre. Je présenterai le 21 juin au gouvernement les premiers résultats de cette analyse, et en fonction de cette présentation le président me donnera ma 2e feuille de route de manière à poursuivre, ou pas. On s’oriente vers une gestion par branches plutôt que par régime. Après, moi je m’occupe pour l’instant essentiellement de la partie sociale, handicap, maladie, accidents du travail, parce que je ne veux pas empiéter sur le domaine du COSR dont la mission première est de faire des recommandations sur la retraite. »

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« Ensuite on viendra agréger tout ça pour ensuite proposer une véritable réforme par branche. Les partenaires sociaux savent très bien que si on ne fait rien, on va dans le mur. Ils sont tous conscients qu’il faut y aller, mais ils vont discuter sur le curseur, et c’est normal. Mais sur la retraite, ce qui est sur et certain, c’est que si on ne fait rien…. Il y a eu une réforme paramétrique qui a été menée en 2019. Aujourd’hui nous sommes revenus à la situation de 2018, avec cette crise. Donc ça veut dire qu’il faut remettre un gros coup, beaucoup plus violent que celui qu’on a mis en 2019. »

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« Nous, dans les ministères, nous sommes là pour juste accompagner et, si les conditions l’exigent, réguler les choses. C’est un peu comme un agent chargé de faire la circulation. Il ne décide pas de la destination des automobilistes, ni de la taille de leur voiture, il organise le trafic pour que chacun puisse circuler selon des objectifs, des destinations propres à chacun. Voici ma vision du rôle du politique en matière d’économie. »