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Économie : Standard & Poor’s donne un « A » à la Polynésie

Les experts de S&P avaient rencontré le ministre Tevaiti Pomare et Warren Dexter le 30 mai dernier. ©Presidence

L’agence de notation Standard & Poor’s Global Ratings, qui succède à Moody’s pour évaluer la santé financière et budgétaire du Pays, et a rendu son verdict sur le profil de crédit la Polynésie, après une mission effectuée au mois de juin : la collectivité récolte un « A/A1 », un cran au-dessus de la note attribuée par Moody’s en 2023. S&P base son analyse, destinée à éclairer les bailleurs de fonds, sur les réserves budgétaires et l’appui continu de la France. Mais note aussi que les réformes structurelles annoncées – établissements publics, fiscalité, et surtout protection sociale généralisée – doivent être menées pour répondre au risque financier important que posent ces secteurs à long terme.

Bonne nouvelle ce vendredi pour le ministère de l’Économie, des Finances et du Budget : Standard & Poor’s, qui revient en Polynésie après six ans de notation financière et budgétaire par Moody’s, lui attribue un profil de crédit noté « A » à long terme et « A1 » à court terme : c’est, si l’on compare les deux échelles utilisées par ces deux agences de notation, un cran au-dessus du A3 attribué par Moody’s en octobre dernier, et toujours globalement dans la « qualité moyenne supérieure », avec une « perspective stable». La meilleure note obtenue depuis le début des années 2000, note-t-on avec satisfaction au ministère. Le maintien d’un matelas de sécurité – les réserves budgétaires – et l’appui continu de la métropole dont les transferts comptent pour un tiers du produit intérieur brut sont de nature à rassurer les bailleurs de fonds, un peu plus d’un an après l’arrivée au pouvoir du gouvernement Brotherson.

« L’économie locale a un secteur touristique important, mais pas surdimensionné, qui a montré une solide récupération après la pandémie. Cela a contribué à la croissance de son économie qui, avec le soutien fort de l’État français, a produit une bonne performance budgétaire, une dette en recul, et de fortes liquidités », constate S&P.

« Nous pensons que la performance budgétaire de ce territoire d’outre-mer restera saine dans la période 2024-2025. Son solde de fonctionnement devrait être de 5% supérieur à ses recettes de fonctionnement. Cela, à notre sens, va permettre à la Polynésie française de limiter ses déficits en dépit de dépenses d’investissement soutenues. » S&P table sur des dépenses annuelle d’investissement à 38 milliards de Fcfp de 2024 à 2026, notamment dans le cadre de la préparation des Jeux du Pacifique de 2027, « une hausse marquée par rapport à la période pré-pandémie ».  Mais il est aussi noté une « haute l’exposition aux risques climatiques pèse sur la capacité d’investissement » – traduire :  les catastrophes naturelles pourraient coûter cher au budget du Pays. Au final, l’agence de notation table sur un déficit budgétaire « proche de 5,7% en moyenne sur 2024-2026 ».

Des constats connus…

Toutefois, S&P note que malgré une « excellente position en liquidités et un fardeau modéré de la dette », la Polynésie souffre aussu d’une « exposition des établissements publics et semi-publics du Pays » dont le contrôle est fait « en aval » et non en amont, et « une dynamique potentiellement négative de son système de sécurité sociale, au vu du vieillissement de la population et de la pression sur le secteur de la santé publique. »  S&P identifie là, particulièrement avec l’OPH, la CPS et le CHPF, un besoin « exceptionnel mais récurrent » de transferts financiers qui pèsent sur l’exécution du budget. « Le déséquilibre à long terme des systèmes de santé et de retraite pose un risque financier s’il n’est pas contrôlé », conclut S&P. Mais il ne le sera pas tout de suite : il y aura « des transferts significatifs » en 2024 et 2025 à ces entités, et ils ne baisseront que graduellement par la suite, les déficits étant partiellement « structurels, vu le faible rendement des établissements du Pays. »

Pour son retour au fenua, S&P fait preuve de diplomatie. Comme Moody’s l’an dernier, S&P rappelle que le PIB par habitant est de 23 000USD, mais sans le comparer noir sur blanc à celui de la France  – presque le double – comme l’avait fait Moody’s. S&P ne parle pas non plus de « dépendance au tourisme » comme d’un « risque supplémentaire », préférant mettre en avant que les transferts de la métropole, à presque 200 milliards de Fcfp par an, représentent un tiers du PIB, et que le secteur public représente, lui, un tiers de la valeur ajoutée. S&P note la différence des taux de chômage (8,7% contre 7,2%) sans s’étendre comme l’avait fait Moody’s sur le taux de population active, en retrait de plus de 10 points en Polynésie par rapport à l’ensemble français. Mais l’agence de notation mentionne tout de même les écarts de l’Index de développement humain et de l’Indice de Gini qui compare les inégalités.

Le bon point pour la Polynésie : ses grosses réserves de cash (qui avaient atteint 38 milliards de Fcfp fin 2023), les financements déjà sécurisés avec la Caisse des dépôts et consignations, très bien notée par S&P, et son « accès privilégié aux trois banques locales » et à l’AFD qui détient plus de 50% de sa dette.

Un bon management de la dette

S&P explique avoir « une vision favorable du management de sa dette et de ses liquidités par la Polynésie française. Elle maintient une exposition limitée aux taux d’intérêt variables et n’a pas de dette à court terme, ce qui la met à l’abri de hausses rapides après la hausse des taux directeurs par l’IEOM. Dans le même temps, les autorités cherchent à conserver suffisamment de liquidités pour couvrir les décaissements, notamment le service de la dette. » Le « profil de la dette » est donc « sain, avec plus de 90% du stock à taux fixe et maturité longue. Ainsi, le service de la dette (les intérêts, ndr) devrait rester contenu en-dessous de 5% des recettes de fonctionnement. »

… et le bénéfice du doute

L’agence de notation trouve des raisons d’espérer dans « la majorité confortable qui permet (au gouvernement) de mettre en œuvre des réformes » et déroule ce qui peut sembler aux observateurs locaux un rappel du programme électoral de 2023 : « Nous notons que le gouvernement entend débuter une ambitieuse réforme des finances publiques, y compris le rééquilibrage des contributions indirectes et directes en faveur de ces dernières, l’amélioration de la transparence (notamment sur la défiscalisation), l’amélioration de la visibilité budgétaire à travers un plan sur trois ans approuvé par l’assemblée locale, la réforme de la sécurité sociale, et le renforcement du contrôle des établissements publics. » Et S&P donne au gouvernement le bénéfice du doute : « À ce stade l’impact financier global de ces réformes n’est pas clair, mais nous pensons qu’elles ne porteront leurs fruits que dans les prochaines années. De plus, le territoire prévoit de stabiliser son endettement au cours des deux prochaines années. »

Les prévisions de S&P

C’est comme toujours vers le secteur privé, moteur de la croissance et donc des recettes du Pays, qu’il faut se tourner pour achever ce tour d’horizon. L’agence de notation prédit une croissance qui va décélérer à 1,6% en 2025-2026, notamment en raison de l’industrie touristique où le manque d’hébergement et de projets ne permet pas d’anticiper de bond en avant, et d’un secteur industriel qui ne représente que 8% du PIB. L’inflation est prévue à 1% en moyenne annuelle entre 2024 et 2026.