Le Rassemblement National a diffusé un programme pour la Polynésie en vue des élections européennes du 8 juin prochain. Énergie thermique des mers, stations d’épuration, cargos à voile ou « université de la mer »… La liste menée par Jordan Bardella, et où figure Éric Minardi en 41e position, s’engage sur des grands projets « finançables par l’UE » selon eux. Notamment une route traversière Faa’a – Presqu’île passant par le centre de l’île grâce à des pylônes et tunnels. Un vieux projet qu’Oscar Temaru avait déjà remis sur la table en 2015.
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Éric Minardi ne sera plus député européen d’ici un mois. Le patron du Te Nati – Rassemblement National Polynésie, qui figurait en 25e position de la liste RN aux élections de 2019, avait obtenu un siège à Strasbourg en 2022, à la faveur de l’élection de plusieurs de ses colistiers à l’Assemblée nationale. La nouvelle liste du parti, de nouveau menée par Jordan Bardella, l’inscrit cette fois en 41e position. Une place qui n’est pas directement éligible – le Rassemblement National, arrivé premier aux européennes de 2019, avait obtenu 23 sièges – mais que l’entrepreneur de Tahiti aurait lui-même choisi. « J’ai demandé à Jordan de ne pas me mettre dans la shortlist, assure-t-il. Travailler à Bruxelles et à Strasbourg, ça demande un temps plein, et mes affaires ici en ont souffert ».
Reste que c’est bien le député sortant qui mène la campagne locale du RN en vue de ce scrutin organisé le 8 juin en Polynésie, et le 9 en métropole. Le président du Te Nati peut pour cela s’appuyer sur le programme national du parti d’extrême-droite, donné largement vainqueur dans les sondages à un mois de l’élection. Mais le document de 18 pages n’accorde que deux alinéas aux collectivités ultramarines, en leur promettant une « Agence européenne de la mer » et une « adaptation des politiques économiques aux spécificités de chaque territoire ». Il est toutefois complété, depuis lundi, par un « programme pour la Polynésie française » qui tient en huit points et autant de projets à faire financer par l’Union européenne.
Énergies renouvelable, nouvelle université, cargos… Et route à pylônes
Le RN s’engage ainsi à obtenir des financements pour des moyens de production énergétique (en matière d’Énergie thermique des mers, technologie toujours expérimentale, de Swac et de champs solaires), pour des stations d’épuration et de potabilisation, comme l’UE en a déjà financé par le passé, pour le développement du secteur primaire, la création d’une « Université internationale de la mer » (déjà mise en avant en 2019), des programme d’études sur le changements climatiques et la montée des eaux, eux aussi déjà lancés dans le Pacifique par l’Europe… Et même pour « la construction de navires de fret à voile ». Mais c’est la première ligne de ces engagements qui retiendra sans nul doute l’attention : le parti de Marine Le Pen se dit « Pour la construction d’une route traversière permettant de fluidifier le réseau routier » de Tahiti.
Il ne s’agirait pas de bitumer la traversière existante entre Papenoo – Mataeia, un projet régulièrement annoncé mais jamais concrétisé, ni de relier la vallée de Papenoo à celle de Punaruu, tracé qui avait fait l’objet de relevés héliportés dès les années 60… L’idée est bien de construire une nouvelle route qui, comme le précise Éric Minardi, « partirait de Faa’a pour arriver à Taiarapu -Est », à proximité de Taravao. « C’est une route qui doit permettre à nos enfants de la Presqu’îles de venir faire leurs études à Papeete sans partir à trois heures du matin, précise le chef d’entreprise actif dans l’immobilier et le bâtiment. Bien entendu, ça dégage des terrains, ça dégage aussi des possibilités de logements sociaux, ça donne du travail à tout le monde… Je ferais cela sur des pylônes comme à Hawaii et ça permettrait de ne pas toucher au terrain naturel ».
Vu les crêtes à passer et les vallées à enjamber pour relier les deux côtés de Tahiti, des tunnels sont aussi envisagés. Le coût ? Trop tôt pour le dire, mais « beaucoup moins », d’après l’élu, que les 12 kilomètres de route à 2,5 milliards d’euros (300 milliards de francs) financés par l’UE à la Réunion, qui en tant que département d’outre-mer, a accès à beaucoup plus de financements européens. Éric Minardi précise en outre que le passage par le centre de l’île permet de rester, essentiellement, sur du domaine public, et donc d’éviter les expropriations qui ont créé le « clash » autour de la Route du Sud.
Dans le sillon d’Oscar Temaru… Et Tearii Alpha
Si le projet éveille quelques souvenirs, c’est parce qu’il avait déjà été mis – ou plutôt remis – sur la table en 2015 par Oscar Temaru qui voulait profiter de la route du Mont Marau pour lancer le tracé de cette future traversière d’une trentaine de kilomètres au bas mot. Accompagné d’une délégation d’officiels chinois promettant de potentiels investissements, le tavana de Faa’a avait même présenté l’idée à ses homologues de la Presqu’île, parlant d’une opportunité pour le désenclavement de Taravao autant que pour le tourisme tahitien, le développement agricole, la construction d’un nouveau golf… Quelques mois plus tard, en 2016, Tony Géros avait précisé à l’assemblée que si investissements chinois il y a avait, il faudrait songer à installer des péages sur la route pour rendre le projet « rentable ». De nouveau évoqué en 2022 au détour d’une interview télévisée d’Oscar Temaru – qui parle aussi, au passage, de construire une nouvelle piste aérienne « en montagne », voire même une « nouvelle ville »- l’idée ne figure pas dans le programme de campagne 2023 du Tavini.
Au RN, on explique que le projet avait aussi eu des soutiens chez les autonomistes. « Tearii Alpha me l’a transmis au moment où je suis entré au Parlement européen, où je l’ai porté, précise Éric Minardi. Les choses ont fait que le Tapura a perdu les élections, et le fait est que le Tavini, avec Moetai Brotherson, ne m’a pas donné de caution pour continuer le projet, ce qui est dommage ». D’autres possibilités de financement seraient bloquées, d’après lui, par un manque de coopération avec le Pays. L’appel est donc lancé : « Je suis prêt à travailler avec n’importe qui », précise l’eurodéputé sortant. À condition, donc, de se tourner vers l’Europe plutôt que vers la Chine.
Les investissements européens très cadrés en Polynésie
« C’est un projet finançable par l’Union européenne », insiste Éric Minardi. Comme d’ailleurs, d’après l’élu, les sept autres points du programme polynésien du RN. Sauf que l’intervention de l’Europe au fenua n’est pas si facile. Si les Polynésiens ont, comme tous les français, la citoyenneté et un passeport européen, l’UE ne considère pas les collectivités françaises du Pacifique comme partie intégrante de son territoire, contrairement aux départements et régions d’outre mer comme les Antilles, la Guyane, Mayotte, ou la Réunion. L’Union intervient tout de même financièrement dans les « PTOM » français du Pacifique. Au travers de programmes thématiques régionaux – comme le projet « Protege » sur le développement durable et résilient, débuté en 2018 et qui s’achève cette année, les appels à projets Best, plan de « verdissement et bleuissement des systèmes alimentaires » qui doit démarrer en 2025… – mais surtout de programmes pluriannuels de financement répartis entre les différentes collectivités après des négociations avec l’Etat et les gouvernements locaux. Jusqu’à 2020, il s’agissait du FED, fonds européen de développement qui a historiquement soutenu le développement touristique ou agricole, de nouvelles classes d’école, des programme d’éradication des nonos, de la recherche sur la perle ou la vanille… Ou, de façon plus ancienne, des tronçons de route. Après onze FED, c’est un fonds dédié aux PTOM – ceux de tous les pays membres, en comptant les territoires néerlandais des Antilles ou le Groenland, rattaché au Danemark – qui a pris le relais.
Sa première intervention, négociée à partir de 2018 et effectivement lancée en 2023, est chiffré, pour la Polynésie à 3,7 milliards de francs, dont 700 millions ont déjà été débloqués. Il a été orienté vers la gestion durable de l’eau et plusieurs infrastructures, dont le raccordement de Pirae et Arue au réseau d’assainissement de Papeete, devraient en profiter jusqu’à 2027. L’idée serait donc, pour le RN, d’orienter le programme pluriannuel suivant sur la construction routière ? Possible, même si c’est surtout du côté du Pays et de l’État que se passeront les négociations. Mais il sera difficile, dans ce cas, d’inclure les autres projets énergétiques, marins, d’enseignement ou d’assainissement dans la même enveloppe. Éric Minardi assure que d’autres aides peuvent être débloquées sans passer par cet instrument financier, en « portant les dossiers dans les commissions », en mobilisant des « financements transversaux qui ne sont pas aujourd’hui utilisés ». Pourquoi ? Par manque de portage des dossiers, assure l’eurodéputé dont le groupe parlementaire compte actuellement 59 des 705 élus de Strasbourg. Difficile, tout de même, de croire que l’intervention de l’UE en Polynésie va soudainement – et massivement – augmenter après le scrutin du 8 et 9 juin. « Mais si un seul de ces huit projets est accepté, je suis preneur, lance le président du Te Nati – RNP. Si la route traversière est validée par le gouvernement locale et ensuite financé par l’Union européenne, je serai déjà content d’avoir été élu ».