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En attendant un labo et des locaux, l’Institut du cancer veut « tisser du lien »

Lancé en novembre dernier, l’Institut du cancer de Polynésie française (ICPF) entre peu à peu en opération. Coordination et suivi des patients, fiabilisation des registres, organisation des dépistages, tissage de liens avec le milieu de la recherche.. Le travail est jusqu’à présent très administratif, mais l’ICPF compte bien changer la donne en matière de prise en charge et de prévention des cancers. Une nécessité : le nombre de patients a presque triplé en 20 ans.

Niché temporairement au 1er étage du centre de la mère et de l’enfant, à Pirae, l’ICPF est encore un organisme discret. Et pourtant, avec ses 11 collaborateurs en poste depuis janvier, l’Institut du cancer de Polynésie française, lancé formellement en novembre, est déjà « opérationnel », explique son directeur Christophe Moreau. Pour la Journée internationale de lutte contre le cancer, ce vendredi 4 février, l’ICPF a même mis en ligne sa page Facebook. Elle y rappelle, d’entrée que sa naissance fait suite à un constat sans appel : le cancer gagne du terrain au fenua. Deux fois plus de cas annuels en 20 ans et surtout une file des patients qui s’allonge : en 2020, plus de 6 600 Polynésiens étaient en traitement ou en attente de traitement, soit presque trois fois plus qu’en 2000. Une progression expliquée, entre autres, par le vieillissement de la population, la prévalence des facteurs de risques, dont notamment l’obésité… Et des capacités de prises en charge qui, si elles se sont améliorées, restent limitées.

Aller chercher les « patients perdus de vue »

Ainsi la première mission de l’institut est claire : coordonner les parcours de soins, assurer le suivi des patients, tâche pour laquelle l’hôpital est mal armé. « C’est notre premier objectif », confirme Christophe Moreau, ancien de la direction du budget et des finances. Mettre en réseau tous les acteurs du secteur, des médecins de ville aux associations en passant par les spécialistes hospitaliers, « aller chercher » les patients perdus de vue, échanger avec ceux qui n’adhèrent pas à leur protocole de soins, faire de la pédagogie avec leurs proches… « On est là pour faire le lien », résume le directeur.

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Un travail déjà en cours et qui s’articule avec une autre priorité de l’ICPF : fiabiliser le registres du cancer. Objet de beaucoup de discussions ces dernières années – dans le cadre du débat sur le nucléaire notamment – ce registre, qui existe dans chaque collectivité, existe bel et bien en Polynésie, mais sa tenue, jusque là confiée à la direction de la Santé, a longtemps été erratique. Un regain d’attention avait permis de consolider deux années de registres – 2015 et 2016 – qui restent les seules références fiables pour les décideurs sanitaires ou politiques. L’institut va essayer de boucher les trous dans ce registre, au prix d’un minutieux travail d’enquête. « Aujourd’hui ça n’est pas qu’on y a va à l’aveugle, c’est qu’on a des données qui ne sont pas forcément complètes ou les plus récentes, reprend Christophe Moreau. Notre objectif c’est de pouvoir faire valider des politiques publiques au regard des chiffres les plus récents, de tendances et de profils de cancer tels qu’ils existent aujourd’hui en Polynésie ».

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Un labo, des locaux, mais pas de Rotonde…

Parmi les autres missions que l’institut doit explorer dès cette année, l’organisation du dépistage des cancers. « Beaucoup de choses ont été faites ces dernières années, mais on peut améliorer l’efficacité », reprend le directeur. Appuyer les efforts de sensibilisation sur le cancer du sein, un des plus prévalents au fenua, mais qui reste trop souvent dépisté tardivement, développer cette sensibilisation en ce qui concerne le cancer colorectal, les mélanomes (voir encadré)… Là encore, l’institut espère avoir un impact dès 2022. Mais son action devrait s’étoffer dans les années suivantes. D’abord avec la création, prévue avant même celle de l’ICPF, d’un laboratoire d’anatomocytopathologie. La Polynésie disposait un temps de trois de ces structures qui analysent les prélèvements biologiques pour déceler et caractériser les cancers. Le labo « anapath » privé ayant fermé ses portes en 2015, dans une indifférence étonnante, et l’ILM ayant été contraint d’abandonner cette activité, seul le CHPF garde une unité active. Mais elle est loin de couvrir tous les besoins. « Aujourd’hui ,une grande partie des analyses sont transmises an métropole et mettent 15 jours, trois semaines voire plus pour revenir et pour initier le traitement des patients, reprend le directeur. L’objectif du Pays au travers l’institut, c’est de se doter d’un instrument qui est capable de produire ces résultats en quelques jours et de pouvoir accélérer les débuts de traitement de cancer et d’améliorer les chances de guérison ». Le nouveau laboratoire anapath doit sortir de terre sur la route du stade Pater, à Pirae.

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À plus long terme, l’ICPF doit s’installer dans des locaux proches de l’hôpital. La rotonde du Taaone, longtemps évoquée comme nid pour l’institut du cancer, étant un sujet « problématique », elle n’est « plus d’actualité ». Mais de nouveaux locaux devraient être construits et pouvoir accueillir, à l’horizon 2026, des patients en chimio ou en radiothérapie en hôpital de jour. « Toujours dans la même optique : améliorer le parcours et le confort du patient pendant sa maladie » précise le responsable.

Participer à des essais cliniques

L’institut doit aussi devenir l’interlocuteur principal en matière de cancer pour les organismes extérieurs qu’ils soient métropolitains, régionaux, publics ou privés. Membre de la Fédération Unicancer, l’organisme doit pouvoir attirer des expertises extérieures en matière de prévention et de prise en charge mais aussi en matière de recherche. « Développer la recherche comme elle peut exister en métropole, ça n’est pas notre ambition, mais plutôt de pouvoir faire bénéficier la Polynésie d’un certain nombre de recherches qui sont faisables mais qui ne sont aujourd’hui pas possibles », reprend Christophe Moreau. La règlementation polynésienne ne permet par exemple pas d’être inclus dans les expérimentations de nouveaux traitements qui sont souvent très longues et très ciblées. Elles permettent pourtant, pour le responsable, de « faire bénéficier les Polynésiens de traitements innovants », souvent moins lourds ou plus performants que les médicaments classiques.

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La mise en place de ce pôle de recherche clinique, l’intégration dans les réseaux spécialisés au niveau national ou régional ou l’obtention de nouveaux équipements, pourrait aussi permettre de rendre le fenua plus attractif pour les médecins spécialisés dans la lutte contre le cancer.

Deux journées de dépistage des mélanomes

En partenariat avec la Ligue contre le Cancer, l’ICPF organise deux journées de prévention et de dépistage du mélanome. Ces tumeurs se développent le plus souvent sur la peau (et plus rarement dans la bouche, le nez ou le rectum), et se forment à partir des mélanocytes, les cellules qui donnent leur couleur à la peau ou aux yeux. Un examen dermatologique permet de les repérer et de les distinguer d’autres anomalies plus bénignes. Les journées de dépistages auront lieu le 9 février à Papeete, dans les anciens locaux de Tahiti Nui Travel au Centre Vaima, et le 11 février au marché d’Uturoa. Sur place, des dépistages gratuits, pour tous les âges, et encadrés par des dermatologues.