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Encadrement des prix et des marges : un texte voué à être contesté

Malgré les avis défavorables du Cesec et de l’Autorité polynésienne de la concurrence, Le Pays dégaine une nouvelle loi du Pays pour lutter contre la cherté de la vie : elle prévoit la possibilité d’encadrer les marges et les prix de tout produit (hors PPN ou PGC déjà encadrés) ou service qui bénéficie d’exonérations fiscales ou douanières. Mais la latitude laissée au conseil des ministres pour cibler tel ou tel produit sans définir ce qui constitue une marge excessive ou un prix trop élevé pose question.

C’est encore « en urgence » que ce projet de loi du Pays modifiant le code de la concurrence est expédié à l’assemblée. Il est vrai que le gouvernement est à la recherche de mesures fortes sur le coût de la vie, très attendues par la population. Il propose donc de serrer la vis aux produits (hors PPN et PGC) et services qui bénéficient d’exonérations douanières ou de réductions fiscales, en donnant au conseil des ministres la possibilité d’encadrer leurs marges et/ou de fixer un prix maximal de vente.

L’exposé des motifs, sans illustrer son propos par des exemples, affirme que « certains produits ou services sont commercialisés à prix libres parfois exorbitants en dépit des exonérations ou réductions fiscales ou douanières concédées. » Le bénéfice de ces régimes, poursuit le gouvernement, serait « en fait capté par des intermédiaires (importateurs, distributeurs, prestataires de services, etc) et non pas l’usager final. »

Une grande part d’arbitraire ?

« Ce dispositif sera ciblé sans caractère automatique, poursuit l’exposé des motifs, et son domaine limité aux seuls objectifs de lutte contre la cherté de la vie et de développement économique et social du pays. » Autant dire que le gouvernement se laisse un très large champ d’application, même s’il assure que « seule une part minime » des produits et services fera l’objet d’un encadrement. Le texte est présenté comme un « cadre général, en confiant au conseil des ministres le soin de définir par arrêté les produits et services qui seront impactés. » Mais à aucun moment il ne définit ce qui constitue une marge excessive ou un prix abusif, une question que même les tribunaux ont du mal à trancher.

Car comme lors de sa transmission au Cesec et à l’Autorité polynésienne de la concurrence, qui s’en plaignaient déjà en juillet dernier, l’arrêté d’application n’est pas joint au projet. Tout au plus est-il précisé qu’une « démarche de contrôle, portée par le service des affaires économiques, sera associée au projet » ; un service qui devra procéder à « une étude minutieuse des structures de prix » tandis que les professionnels devront, eux, détailler sur chaque devis et facture la part des produits bénéficiant d’exonérations. De nouvelles sanctions s’ajouteront à celles qui sont déjà applicables aux PPN et aux PGC ; au total, elles pourront aller de 600 000 Fcfp pour une personne physique à 6 millions pour une personne morale.

Le Cesec, qui avait émis un avis défavorable, dénonçait à l’époque l’absence de concertation avec les professionnels, et le manque de précisions sur les secteurs d’activité jugés prioritaires par le gouvernement. L’APC, elle aussi défavorable sans prononcer le mot qui fâche, rappelait que le premier principe du droit de la concurrence est la liberté des prix, corollaire de la liberté d’entreprendre. Elle suggérait, entre autres, de « procéder à une réévaluation des dispositifs existants avant d’instaurer de nouvelles mesures », de prévoir une évaluation régulière de ce nouveau dispositif, et de s’assurer que la DGAE a bien la capacité de réaliser ces « études minutieuses » évoquées dans l’exposé des motifs.

On se souvient que plusieurs dispositions de la loi du Pays sur l’encadrement des prix et marges des PPN et PGC avaient été censurées par le Conseil d’État, fin 2022, pour manque de précision. S’il est adopté, ce texte fera sans aucun doute l’objet de recours, à commencer par celui de la Fédération générale du commerce.