ACTUS LOCALESÉCONOMIEENVIRONNEMENTPOLITIQUE

Énergie thermique des mers : « On est prêts »

L’unité ETM utilise des énormes tuyaux (bien plus large que ceux des Swac) pour pomper de l’eau de surface et des profondeurs. Comme pour le Swac, l’eau n’est pas altérée, et rejetée dans le milieu sans impact environnemental, autre que celui de la construction de l’unité sur le récif. ©Airaro

Alors que le Pays réaffirme sa volonté de soutenir les énergies marines, la société locale Airaro dit être techniquement prête à avancer sur une première unité de production commerciale d’ETM. Pour l’entreprise, connue pour son expertise sur les Swac, la technologie, bien qu’au centre de beaucoup d’annonces sans lendemain ces 20 dernières années, reste « la seule qui peut fournir une énergie propre, constante et garantie », et permettre de « passer le cap des 50% de renouvelable ». Installée sur un récif après une dernière phase « d’optimisation industrielle », l’unité pourrait produire 8% de l’électricité de l’île de Tahiti.

Lire aussi : Réunion, Guadeloupe, Caraïbes… Le savoir-faire polynésien sur le Swac en voie d’exportation

C’est une idée qui a tout du serpent de mer, ces projets monstrueux, ou du moins ambitieux, qui habitent les conversations depuis trop longtemps sans qu’on en voit une écaille. Voilà bientôt 20 ans – et c’est sans compter des études menées dans les années 80 -, que l’Énergie thermique des mers (ETM) revient dans les discours polynésiens. Ceux des élus autonomistes comme indépendantistes, de l’État, des promoteurs locaux ou internationaux… On peut citer, pêle-mêle, les discussions, prises de contact et même engagements des gouvernements Temaru, Tong Sang ou Fritch sur le sujet, les projets du groupe Moux, les partenariats avec des chercheurs japonais, ou les velléités polynésiennes, martiniquaises et plus récemment réunionnaises du groupe français DCNS, devenu Naval Group, qui a plusieurs fois fait communiqué sur le sujet à Paris ou à Papeete, avant de laisser couler sa filiale spécialisée.

Malgré les annonces sans lendemain, les accords et subventions qui ne débouchent sur rien, l’idée de concrétiser en Polynésie cette technologie, qui exploite les différences de température entre les eaux de surface et celles des profondeurs pour produire de l’électricité, n’a jamais disparu. L’année dernière, Moetai Brotherson a d’ailleurs de nouveau évoqué de possibles « coopérations » sur l’ETM au Japon. Et son gouvernement a inscrit noir sur blanc, dans sa feuille de route de l’Économie bleue durable, en validation, sa volonté de « soutenir les projets de développement des filières d’énergie marine », « d’évaluer la faisabilité de production d’électricité par l’exploitation de l’énergie thermique des mers » et de « soutenir les projets de démonstrateurs ». Warren Dexter, ministre des Finances en charge des Énergies, confirme aujourd’hui que le mouvement est lancé et que l’administration doit être mobilisée dans les semaines à venir pour concrétiser ces engagements.

« Pas de R&D à faire sur la théorie, seulement de l’optimisation industrielle »

Si les promoteurs privés sont beaucoup plus discrets qu’en 2010 ou 2015 à l’international, un acteur local, Airaro cherche à presser le pas des autorités, et clame plus que jamais que l’ETM est prête à avancer. Cette société locale de conseil, de pilotage et de développement de projets, spécialiste des énergies marines, est surtout connue pour son expertise, forgée de Bora Bora au Taaone en passant par Tetiaroa, sur les Swac. Une technologie qui était elle aussi, un temps, taxée de doux rêve, et qu’Airaro est envoie d’exporter dans le monde depuis la Polynésie. Or l’ETM, mise au point dans les années 30 par un ingénieur français – Georges Claude, aussi inventeur du tube néon – est la « technologie mère » du Swac.

« Le Swac, c’est une moitié d’ETM », résume Jean Hourçourigaray, le PDG d’Airaro. Plutôt que d’aller uniquement pomper de l’eau froide à 800 mètres de fonds pour faire marcher les circuits de climatisation, il s’agit d’aller chercher aussi de l’eau chaude de surface. Le différentiel de température permet, de faire changer d’état un fluide – en l’occurrence de l’ammoniac gardé dans un circuit fermé – et, suivant la mécanique inverse à celui d’un réfrigérateur, de produire de l’électricité. Ce système, forcément plus complexe à mettre en place qu’à décrire, la société dit aujourd’hui pouvoir le maitriser de bout en bout. « Il n’y a plus de R&D à faire sur la théorie, seulement de l’optimisation industrielle » insiste le responsable. Il rappelle qu’Airaro a travaillé, à partir de 2012 avec DNCS sur le développement d’ETM et qu’elle dispose depuis 2017 d’un modèle « viable et validé par des expertises indépendantes ».

Pas de doute pour le responsable : le fenua peut être une « vitrine » de cette technologie, comme il l’a été sur le Swac. Car Tahiti a un « avantage compétitif clair ». « Le fait que l’eau froide soit très proche des côtes et que nos tombants tombent très vite, le fait d’avoir beaucoup moins de cyclones qu’ailleurs – et on a vu encore récemment quels dégâts des cyclones pouvaient provoquer – et le fait d’avoir un prix de l’électricité qui est très élevé fait que la solution ETM qu’on porte sera performante économiquement et énergétiquement » complète le cofondateur, avec David Wary, d’Airaro. La Polynésie a l’opportunité « d’être un pionnier mondial » d’une« nouvelle filière industrielle ».

Puissance garantie, jour et nuit

« On est prêts », voilà le message aux autorités. Airaro ne veut d’ailleurs pas développer un « démonstrateur », comme c’est évoqué dans la feuille de route de l’économie bleue, mais une « première unité commerciale » de 5MW. Une puissance qui n’est pas à comparer avec les 5 ou 10 MW « crête » des centrales solaires récemment mises en opération à la Presqu’île. L’électrique produite sera certes plus chère que le photovoltaïque – « au niveau du coût de production de la centrale de Punaruu », soit 30 francs par kWh contre 18 à 21 pour les récentes fermes solaires – mais l’ETM c’est une « ressource renouvelable permanente, fournissant une puissance garantie 24h/24, 365 jours par an, qu’il y ait des nuages ou qu’il fasse nuit », appuie Airaro. Ces 5MW pourraient ainsi fournir « jusqu’à 8% de l’électricité consommée sur l’île de Tahiti ». « C’est cette technologie qui permettra de passer le cap des 50% de production renouvelable dans notre consommation électrique », insiste Jean Hourçourigaray.

480 millions pour le dernier test industriel, un milliard pour une unité de production

Il reste tout de même une étape essentielle « d’optimisation industrielle » à mener avant de lancer le projet. Pour déterminer « au KWh près » le rendement de cette unité de production, Airaro veut faire construire et faire tester en usine l’échangeur du futur ETM, une grosse pièce de 12 mètres en titane qui assure le transfert de chaleur au sein de l’unité. Des mesures qui ne peuvent pas être modélisées sur ordinateur et qui ont leur coût : plus de 477 millions de francs, études et pièce incluses. Le PDG l’assure, des financeurs nationaux, comme la BPI, sont prêts à investir les trois quarts de ces fonds au nom de la relance industrielle française. Mais c’est le Polynésie qui doit être moteur avec un soutien politique et financier « clair ». Et il ne s’agit pas de faire un geste pour la science : pour Airaro, l’ETM est le seul levier de renouvelable qui doit permettre de se passer d’une partie de la production diesel de la Punaruu, et de faire des pas supplémentaires vers l’indépendance énergétique tant mise en avant par les politiques. « C’est la solution pour passer des discours aux actes », appuie Jean Hourçourigaray.

Côté calendrier, Airaro estime que les tests de l’échangeur en usine peuvent durer 18 mois, après quoi tout sera prêt pour présenter le projet à des investisseurs. « On sait qu’ils seront nombreux », explique le cofondateur de la société, déjà très courtisée sur son expertise sur les Swac. Contrat de rachat d’électricité en poche, les fonds privés devront ensuite prendre le relais – à hauteur de 9 milliards de francs d’après des premières estimations – pour faire construire en trois ans un ETM. Un chantier qui, s’il est lancé, un jour risque de provoquer du débat, puisque l’unité doit être construite sur un récif, idéalement celui de Teva i Uta, très bien protégé des cyclones. Mais pour les promoteurs du projet, son impact ne sera pas supérieur à celui des ouvrages maritimes comme les quais des Tuamotu, et aura, au long terme, un bénéfice environnemental évident.

En attendant que la Polynésie se positionne, d’autres acteurs internationaux avancent. Après avoir signé un premier accord pour développer un projet à Sao Tomé-et-Principe, le britannique Global Otec (Ocean thermal energy conversion, le nom anglais de l’ETM) et plusieurs partenaires européens ont annoncé en mars le lancement d’une expérimentation aux Canaries. Un territoire qui présente un potentiel bien moins évident que le fenua en matière d’énergie thermique des mers. Des projets concurrents, le Swac en avait aussi connu beaucoup. Mais c’est bien au fenua qu’il est né.

Article précedent

La Fraap prête à repartir en conflit au retour de Moetai Brotherson de Paris

Article suivant

Les candidates à Miss Bora Bora 2025 se dévoilent

Aucun Commentaire

Laisser un commentaire

PARTAGER

Énergie thermique des mers : « On est prêts »