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Eric Clua affirme avoir démontré l’existence de « requins tueurs en série »


Après avoir soutenu cette hypothèse pendant des années, le chercheur Eric Clua est parvenu à apporter les premières preuves, dit-il, en identifiant trois cas de « requins à problème », mis en cause pour des attaques en récidive. Le spécialiste suspecte la présence de deux individus de ce genre en Polynésie, et souhaite se faire entendre auprès des autorités pour systématiser l’analyse d’échantillons ADN après les morsures et ainsi créer une base de données « comme pour les terroristes ».

Le risque requin serait-il concentré sur quelques individus ? C’est ce qu’affirme le spécialiste Eric Clua depuis des années. Dans un article publié en 2018, le docteur vétérinaire basé au Criobe, ethno-écologue des grands prédateurs marins, émettait l’hypothèse de l’existence de « requins à problèmes ». Des sortes de squales tueurs en série, « des animaux très rares qui ont intégré l’humain dans leur répertoire alimentaire, en réussissant, à l’inverse de la grande majorité de leurs congénères, à s’en prendre à l’Homme qui n’est pas une proie naturelle du requin ». Ce qui signifie donc que « 99,9% des requins ne posent pas de problème ».

Eric Clua annonce être parvenu à rassembler des preuves, dans un article publié début novembre par la revue scientifique Conservation Letters, co-signé par onze chercheurs venus de Polynésie française, de Hawaii, des Caraïbes, de Métropole, d’Égypte ou de Norvège. « L’article de 2018 reposait sur des supputations. Il manquait l’étude majeure qui vient d’être franchie, à savoir trouver des cas en les documentant, pour que ce soit irréfutable. »

Trois requins récidivistes présentés pour preuves

Pendant une dizaine d’années, Eric Clua a donc sillonné les mers pour trouver « trois cas d’études ». D’abord en mer Rouge, où une femelle parata a été reconnue dans plusieurs attaques par « photo identification ». Puis au Costa Rica, sur l’île Cocos, où un requin tigre a été impliqué dans plusieurs attaques similaires, selon une stratégie bien définie, « qui était de s’en prendre aux plongeurs lorsqu’ils faisaient leur palier ». Et enfin, à Saint-Martin, dans la Caraïbe, « où j’ai pu mettre en œuvre pour la première fois ce que je préconise depuis dix ans, c’est-à-dire l’écouvillonnage (prélèvement) sur les plaies, qui nous a ensuite permis de démontrer via la génétique que le même requin tigre avait mordu à deux reprises, à un mois d’intervalle et à 80 km de distance.»

Démontrer cette hypothèse, c’était presque la quête d’une carrière, pour ce spécialiste écœuré, « choqué » de voir des autorités « tuer aveuglément » des dizaines de requins après chaque attaque, dans l’optique de « faire baisser le risque » en réduisant leur population.  « Ce qui n’a jamais marché », rappelle-t-il, à la Réunion ou en Nouvelle-Calédonie notamment.

 « Pourquoi fait-on ça avec les requins, alors qu’on ne le fait pas avec les tigres, les lions ou les rhinocéros à terre ? Et encore moins avec l’homme. Quand il y a un tueur à Paris, on n’abat pas des hommes sur le trottoir aveuglément en se disant qu’on va résoudre le problème », compare le spécialiste, installé en Polynésie.  Ce dernier estime donc qu’identifier les « requins à problèmes », permettrait de mieux concentrer les campagnes de régulation en se focalisant sur des individus réellement dangereux, « ce qui n’est pas facile mais pas du tout infaisable ».

Créer une base de données ADN

L’utilisation de l’ADN comme à Saint-Martin est un « procédé imparable ».  Eric Clua souhaiterait le répliquer et le systématiser partout ailleurs, pour alimenter une base de données de requins mordeurs. « Chez les humains, lorsqu’il y a un viol ou un meurtre, la police scientifique et des médecins vont intervenir, pour faire un écouvillonnage pour trouver l’ADN du violeur. Alors que chez les requins, on ne le fait pas ». L’idée serait donc de « faire comme avec les terroristes : un fichier de tous les requins potentiellement dangereux » selon un « profilage génétique individuel ».

Celui qui se fait appeler le « Shark Profiler » a plusieurs autres cas en tête, lors des attaques de 2023 à Nouméa notamment, « où je mettrais ma main à couper que c’est le même requin, mais je ne peux pas le prouver par ce qu’ils n’ont pas fait de prélèvements génétiques ». La démocratisation de ce procédé lui permettra en outre d’acquérir des preuves supplémentaires.

© Eric Clua

Une hypothèse jusque-là décriée

Car depuis les premières publications d’Eric Clua, cette thèse fait plus que débat dans la communauté scientifique. Certains spécialistes « qui mettent des bâtons dans les roues », estiment que cela revient à valider l’idée popularisée par les Dents de la mer. « Ces requins récidivistes ne doivent pas être assimilés au concept de ‘requin renégat’ du film. Ils partagent certes avec ce concept le fait de répéter les morsures sur l’homme, mais n’y prennent aucun plaisir particulier et ne se spécialisent pas sur l’humain, deux points qui relèvent – jusqu’à preuve du contraire – de la science-fiction », répond Eric Clua dans la synthèse de sa publication.

« Mes confrères pensent tous comme dans les quarante dernières années, ils disent que tous les requins réagissent de la même façon, qu’ils ont une mauvaise vue et qu’ils vont se tromper entre un surfeur et une otarie ». Un discours également prôné par les associations de défense de l’environnement, « mais c’est extrêmement vicieux, car cela veut dire que tous les requins peuvent se tromper et qu’il y a un problème avec tous les requins ».

Certes, dit-il, « le fait que je prouve qu’il y a des requins à problèmes ne veut pas dire que toutes les morsures relèvent » de ce type d’animal. « Mais un nombre non négligeable relève de cette logique-là, c’est tout à fait nouveau puisque jusqu’à maintenant, à part le fait de dire que les requins nous font chier, on n’avait rien à dire. »

Deux squales à problèmes identifiés au fenua ?

En Polynésie française, Eric Clua se souvient de la morsure d’un parata sur une nageuse à Moorea, au cours d’une sortie baleines. Et cite celle du requin tigre qui avait arraché la jambe d’un ouvrier perlicole, deux ans plus tard à Mangareva. Malgré ses recherches, le spécialiste n’avait, jusque-là, jamais trouvé en Polynésie de trace « de morsures de prédation sur l’homme, sur les 75 dernières années ». « Et là, il y a deux morsures sur les cinq dernières années que l’on peut qualifier de prédation, celle du parata et du tigre. Coïncidence, ce sont les deux espèces présentes dans notre article ». Le vétérinaire prévient qu’il y a donc deux « individus à problème » potentiels « qui se baladent en Polynésie Française ».

« Il faudrait faire l’effort de surveiller nos parata et nos tigres, pour mettre en œuvre ce que je préconise, c’est-à-dire éliminer ces individus à problèmes qui existent potentiellement, mais pour l’instant, ça n’intéresse pas les autorités », regrette-t-il. « Donc maintenant c’est qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce qu’on fait de la politique de l’autruche ou est-ce qu’on fait comme le suggère Éric Clua, on met en place un système à la fois discret et efficace, si tu veux, de base de données. Moi je propose de traiter ça comme le terrorisme ».

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