Plus de vingt ans après son dernier point d’étape, l’archéologie polynésienne dressera son bilan, à partir de mardi, dans un colloque organisé à l’UPF et qui rassemblera une quarantaine de spécialistes, dont beaucoup d’invités internationaux. Pour les organisateurs, dont le directeur de la Maison des Sciences de l’homme et du Cirap, Éric Conte, il s’agira aussi, et surtout, de s’accorder sur des priorités de recherche pour la décennie à venir. Un effort particulier sur les Tuamotu devrait notamment être proposé.
Au cœur du Triangle polynésien : Bilan et perspectives de l’archéologie polynésienne. C’est le nom de ce colloque de trois jours qui débutera demain dans un des amphithéâtres de l’université. Le dernier exercice de ce type remonte à l’an 2000 : une quinzaine de chercheurs s’étaient rassemblés à Moorea et avaient convenu de refaire le point 20 ans plus tard. Le Covid a légèrement repoussé l’échéance mais il s’agira bien de dresser une « nouvelle synthèse des connaissances » archéologiques à Outumaoro. Aux manettes, l’UPF, bien sûr, de même que la Maison des sciences de l’homme du Pacifique et le Centre international de recherche archéologique sur la Polynésie (Cirap), toutes deux dirigées par Éric Conte. « Évidemment en deux décennies, beaucoup de choses ont évolué, beaucoup de recherches ont été menées, et il était temps de mettre tout ça à plat », explique le professeur d’ethnoarchéologie du Pacifique. Mais les archéologues ont surtout a cœur de regarder vers l’avenir – « ils le font beaucoup », contrairement à ce qu’on pourrait penser – et d’identifier les besoins de recherche à l’échelle du fenua pour « les 10 ou 20 prochaines années ».
Peuplement, rapports entre les îles, histoire des animaux et de l’environnement…
En 2000, c’est vers les Gambier alors très peu fouillés, que les spécialistes avaient pointé. Plusieurs missions plus tard, l’archipel « fait désormais partie des endroits les mieux connus archéologiquement » du fenua explique l’organisateur. Il s’agira donc de mesurer les progrès et les parts d’ombres toujours tenaces de l’archéologie polynésienne. Au niveau géographique, mais pas seulement. Le programme, très dense, prévoit des points d’étape sur les connaissances en matière de peuplement, en lien avec des généticiens ou des linguistes, sur l’évolution de l’environnement – « comment les hommes l’ont modifié » -, sur la zooarchéologie, qui a beaucoup avancé ces dernières années, ou sur les relations entre les îles, dénotées entre autres par la chimie des pierres retrouvées sur différents sites. Ces trois jours seront aussi l’occasion de faire le point sur les nouvelles techniques à la disposition des archéologues. « On va parler d’analyses ADN, et par exemple du travail qui concerne le tartre des dents des squelettes » qui porte beaucoup d’informations, indique Éric Conte.
Des historiens dont les archives sont dans la terre
Car l’archéologie n’a pas pour but de déterrer des pièces pour les musées. « Ça n’est pas de la chasse aux trésors ! sourit le directeur du Cirap. Même si on aime bien trouver de beaux objets, c’est toujours agréable et intéressant, on sait très bien que ce n’est pas avec ça qu’on écrit l’histoire ». Or les archéologues sont « des historiens mais des historiens qui travaillent avec des archives qui sont dans la terre ». Des archives qui se détruisent au fur et à mesure de la lecture, ce qui oblige à tirer le maximum de leur fouille, en soignant la méthode et en utilisant toutes les techniques à disposition. « On creuse la terre, on récupère tout, on analyse tout, reprend le professeur d’éthnoarchéologie. Bien sûr qu’on trouve des objets, mais ils ne sont qu’une information parmi d’autres ». Des ossements de poissons donnent souvent plus d’information que certaines pièces qu’on retrouve dans des collections. « Ils vont nous dire que les gens vont pêcher à tel endroit, ils ont utilisé telle technique, qu’ils ont fait certains rituels, si il y avait une division de travail entre les hommes et les femmes… Plein de choses qui racontent la vie des gens ».
L’archéologie du fenua attire
46 orateurs sont prévus sur ces trois jours, dont beaucoup d’invités internationaux. Car l’archéologie du fenua continue à attirer, depuis Hawaii, la Nouvelle-Zélande, à la recherche de leurs racines culturelles, l’Europe aussi. « C’est une matière où on a besoin de travailler en partenariat » reprend Éric Conte. L’archéologie attire aussi en Polynésie, où se forment de jeunes chercheurs, que les organisateurs ont pris soin d’impliquer dans le colloque. « Quand on parle des 20 ans à venir, il faut pas discuter entre anciens », note le responsable, qui partage les manettes avec l’Hawaiien Patrick Kirch ainsi que Guillaume Molle, ancien doctorant de l’UPF aujourd’hui attaché à l’Australian National University . Il s’agit aussi de faire le lien avec les autres organismes locaux investis dans l’archéologie, dont la Direction de la Culture et du Patrimoine, qui organise, oriente ou finance beaucoup de programmes de recherche au fenua. Avec une vision commune de celle des universitaires ? « Et bien on va voir, sourit l’archéologue. Mais on a toujours travailler ensemble, on a toujours partagé une vision et eu des discussions permanentes ».
Du côté du Cirap, c’est vers les Tuamotu qu’on veut « amplifier », « approfondir » la recherche. Un archipel immense, qui a servi à la fois de relais et de barrière dans l’histoire du peuplement, et dont certaines îles sont restées longtemps immergées. « On a tout un programme aujourd’hui, qui nous fait travailler sur des atolls comme Hao, Anaa, plus tard, sans doute Makatea, qui était déjà hors de l’eau lorsque les hommes sont arrivés. Mais d’autres étaient sous l’eau à l’époque, comme Napuka, note le directeur. Tout ça donne une diversification dans l’histoire, dans les peuplements, dans la culture, puisqu’il y en a certains qui ont été repeuplés depuis les Marquises, d’autres qui ont servi au peuplement des Gambiers, d’autres qui ont été plutôt en rapport avec les îles de la Société. Toutes ces données là font que les Tuamotu, qui sont très peu travaillés archéologiquement méritent une attention particulière ».
Le colloque Au cœur du Triangle polynésien : Bilan et perspectives de l’archéologie polynésienne débute a lieu de mardi à jeudi à l’UPF et sera suivi d’une sortie de terrains sur les marae de Paea vendredi.