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Éric Tournier laisse la DGEE à Rainui Hugon et fait le point sur les défis de l’éducation

Après avoir passé plus de trois ans à la tête de la Direction générale de l’éducation et des enseignements, Éric Tournier a tiré sa révérence ce vendredi. L’ancien inspecteur général, aussi passé par les cabinets des ministres de l’Éducation nationale, passe la main à son adjoint en poste depuis un an, Rainui Hugon, qui a « toutes les qualités, tout l’engagement et toute la motivation » nécessaires pour le poste. Le futur retraité parle des chantiers lancés et des défis restants pour mener une « politique éducative qui ressemble aux Polynésiens et les rassemble ».

Vous clôturez votre carrière professionnelle en Polynésie, est-ce quelque chose de symbolique pour vous ?

C’est effectivement la fin d’une carrière et surtout la fin d’une aventure à la Direction générale de l’éducation et des enseignements. J’aurais passé trois ans et demi à la tête de la DGEE et c’était une aventure professionnelle absolument exceptionnelle. Avant de prendre mon poste, j’ai travaillé dans les cabinets de ministres de l’Éducation nationale. On m’avait demandé de suivre les dossiers de la Polynésie française. J’ai ensuite même été nommé correspondant territorial de la Polynésie française à l’Inspection Générale. Par conséquent, entre 2013 et mon arrivée au fenua en 2021, j’ai suivi de très près les dossiers de l’éducation en Polynésie. Il était donc important pour moi, qui connais et aime ce territoire depuis longtemps, de servir l’éducation sur place et de travailler pour sa jeunesse.

Que retenez vous finalement de ces trois années passées à la tête de la DGEE ?

Je retiendrais d’abord que notre système éducatif ne ressemble à aucun autre. Depuis la création du service de l’éducation dans les années 1970, la Polynésie, en collaboration avec l’État qui met à disposition les enseignants, a pris peu à peu des compétences en matière d’éducation. Plus le temps passe, plus elle exerce ses compétences en déterminant la politique éducative et en fixant les priorités pour tous ceux qui travaillent pour l’éducation. Ensuite, nous sommes répartis sur un espace géographique extrêmement vaste. On ne peut pas, évidemment, avoir un collège et un lycée dans toutes les îles. Par conséquent, l’éloignement pour les jeunes enfants, parfois dès le CM1 dans les vallées des Marquises ou dès la sixième pour beaucoup d’élèves vivant dans une île sans collège, rend la scolarité plus difficile pour certains.  Nous devons donc faire le maximum d’efforts pour que l’école et le collège dans les îles éloignées soient propices aux apprentissages de ces enfants qui connaissent un déchirement familial.

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Apprendre en Polynésie, c’est donc plus compliqué qu’ailleurs ?

La gestion de l’éloignement nécessite vraiment d’innover. C’est pourquoi nous avons créé depuis quelques années des classes de sixième dans les écoles, pour que les enfants partent plus tard, ne quittent pas leur famille en fin de CM2, mais en fin de sixième. Il faudra peut-être aller plus loin et inventer une école permettant aux enfants de rester encore un peu plus longtemps dans leur île. Ensuite, nous devons aussi améliorer les internats, car à un moment donné, il faudra bien aller dans une plus grande île, soit pour le collège, soit pour le lycée, par exemple à Tahiti. Il faut donc que les conditions d’accueil, d’hébergement, et de vie dans nos internats continuent à s’améliorer. Nous avons des internats vieux et d’autres tout neufs comme ceux du LEP de Mahina, de Faa’a, de Hiva Oa ou du collège d’Atuona. Petit à petit, nous essayons de créer de nouveaux bâtiments d’internat pour que les conditions soient meilleures pour nos élèves.

Le système éducatif local est en mutation depuis plusieurs années, il tend à se différencier de ce qui se fait au niveau national. Est-ce nécessaire selon vous ?

Ces changements ne sont pas synonymes de rupture. C’est plutôt une accentuation de tendances déjà présentes. C’est aussi l’expression de l’articulation entre la maîtrise des langues et de la culture polynésiennes et celle des fondamentaux. La politique éducative de la Polynésie consiste à faire en sorte que l’école ressemble aux Polynésiens et les rassemble. Pour que tous les élèves entrent bien dans les apprentissages, il faut qu’ils se sentent bien et reconnus à l’école. Et pour cela, l’école doit aussi parler les langues polynésiennes et inclure les pratiques culturelles locales. Sur cette base, on pourra ouvrir les élèves à la connaissance et à l’universel.

En matière de programmes, depuis des années, nous souhaitons les adapter. L’objectif est de faire en sorte que les programmes d’histoire-géographie, de sciences de la vie et de la terre, ainsi que les programmes artistiques intègrent ce qui fait la spécificité de la Polynésie. Les élèves polynésiens doivent d’abord bien connaître leur géographie et leur histoire avant celles des autres régions du monde. C’est ce qu’on appelle l’adaptation des programmes et c’est un chantier sur lequel nous travaillons sans cesse.

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L’organisation change aussi, notamment avec la mise en place des nouveaux rythmes scolaires qui inquiètent les parents d’élèves et les mairies. Selon vous, les choses ont-elles été faites correctement ?

C’est quelque chose qui a démarré en 2023, sous la précédente ministre de l’Éducation, Christelle Lehartel, et qui a été mis en place par le ministre actuel, René Teriipaia, pour la rentrée 2024. Nous avons eu près d’un an et demi de préparation et de consultation, avec une grande consultation citoyenne en mars dans les écoles. Il y a aussi eu une concertation avec les communes et les sociétés de transport pour minimiser les désagréments pour les parents. Nous avons travaillé sur des horaires de début de classe bien pensés pour Tahiti, en collaboration avec des spécialistes des transports, pour rendre la circulation la moins pénible possible pour tous.

L’application de cette réforme nationale ne contredit-elle pas le discours qui prône une école ressemblant aux Polynésiens ?

Il y a deux points à considérer. Premièrement, les horaires des élèves dans le système national sont beaucoup plus importants que dans d’autres régions du monde. En Nouvelle-Zélande et en Australie, par exemple, les écoliers vont environ vingt heures par semaine à l’école, seulement le matin. Avoir 26, 27 ou 28 heures de classe par semaine ne garantit pas un meilleur apprentissage. Au contraire, les élèves en difficulté risquent d’être submergés par ce qu’on cherche à leur enseigner. Nous voulons suivre une tendance mondiale visant à avoir des rythmes compatibles avec la chronobiologie des jeunes enfants. Deuxièmement, nous travaillons avec des fonctionnaires d’État mis à disposition de la Polynésie française. Nous avons donc harmonisé les obligations réglementaires de service avec celles de la France hexagonale pour éviter les discordes et les recours aux tribunaux administratifs. Nous avons fait cela pour réduire le nombre d’heures de classe.

Qui va vous succéder ? Et quels conseils lui donneriez-vous ?

Le ministre l’a annoncé au personnel, donc je peux le dire, mais la nomination n’est pas encore officielle en Conseil des ministres. Rainui Hugon, un jeune Polynésien anciennement inspecteur de l’éducation nationale et mon adjoint depuis un an, prendra la relève. Nous avons formé un binôme pendant une année scolaire, et j’ai pu constater qu’il avait toutes les qualités, l’engagement et la motivation pour être un excellent directeur général pour la DGEE. Il était associé à tous les dossiers avec une vision très transversale. Je lui ai déjà donné plusieurs conseils, mais j’en citerai deux. Il faut faire travailler tout le monde ensemble, car on est toujours meilleurs et plus efficaces en équipe. Enfin, il faut faire en sorte que l’école ne soit pas perçue comme une forteresse fermée. Il est donc essentiel d’être ouvert aux parents d’élèves et aussi à notre personnel, qui a besoin de comprendre l’action mise en place.