ACTUS LOCALESJUSTICE Escroquerie : trois ans de prison pour « une parenthèse enchantée » à Bora Bora Pascal Bastianaggi 2020-11-09 09 Nov 2020 Pascal Bastianaggi Allers-retours Paris-Papeete en classe affaires. Dix jours au Four Seasons à Bora Bora dans un bungalow sur pilotis, balade en hélico, spa, massages, safari, excursion baleine, parachute, session privative de photos et petit déjeuner en pirogue. Vous en rêviez ? Et bien un couple de métropolitains l’a fait, et le séjour s’est fini devant le tribunal de Papeete ce lundi pour escroquerie. L’homme a écopé de trois ans de prison ferme quant à sa compagne elle a été relaxée. Lui a 31 ans et un casier long comme un jour sans pain avec un tas d’escroqueries à son actif. Elle a 26 ans et est enceinte de jumeaux. Tous deux comparaissent pour escroquerie et filouterie d’aliment. Un terme désuet qui signifie que l’on a obtenu de la nourriture tout en sachant pertinemment que l’on est dans l’incapacité de payer ou déterminé à ne pas le faire. L’homme, à la tête d’une société de location de véhicules de prestige en métropole, depuis en cessation de paiement, avait acheté huit numéros de cartes bancaires sur le Darknet. Des E-cards plafonnées à près de 600 000 Fcfp chacune. Fort de cette acquisition, il s’était rendu dans une petite agence de voyages où il a réservé et payé ainsi un package comprenant deux billets aller-retour pour Papeete, départ le 29 août, les vols Papeete-Bora Bora et 10 nuitées au Four Seasons, petit déjeuner et dîner compris. Le tout pour un montant de 4 597 255 Fcfp. Durant le séjour le couple s’est offert la totale au niveau des prestations proposées par l’hôtel. Spa, balade en hélico, massages, safari, excursion baleine, parachute, session privative de photos et petit déjeuner en pirogue, pour la modeste somme de 1 232 277 Fcfp. Mais le 7 septembre, l’agence de voyages va déposer plainte pour impayés, et elle en profite aussi pour prévenir le Four Seasons, où le comportement du client avait éveillé les soupçons. Celui-ci voulait écourter son séjour, prétextant un décès. De décès, il n’y en a pas eu, c’était simplement l’agence de voyages qui avait pris contact avec lui pour le défaut de paiement, et sentant le vent tourner, l’escroc voulait mettre les voiles. Mais au moment de payer l’hôtel, la réception lui demande une carte de crédit à son nom. Il déclare qu’il n’en a pas et qu’il fallait que l’hôtel se contente de la photographie de sa MasterCard. Ce que la réception a refusé avant de prévenir la gendarmerie. « Ma compagne était enceinte et je voulais lui faire plaisir » À la barre, l’homme se présente en fauteuil roulant. Il a été extrait de sa cellule où il était en détention provisoire pour être emmené à l’hôpital. Il souffre d’un staphylocoque doré, qu’il n’a jamais vraiment soigné et qui lui aurait attaqué le cerveau et quelque peu endommagé les terminaisons nerveuses. Il ne sent plus ses jambes. C’est en pleurs qu’il répond aux questions de la juge. « J’ai aucune excuse madame, ma compagne était enceinte et je voulais lui faire plaisir. J’ai de bons revenus, je suis à la tête d’une société de location de véhicules de prestige mais je suis retombé dans mes travers, j’ai merdé ». Ses travers, comme il les appelle pudiquement, c’est tout bonnement un paquet de condamnations pour escroquerie, pour lesquelles il a effectué pas mal de temps en prison. « C’est stupide, je suis allé sur le DarkNet et je suis tombé sur cette offre à 50 euros le numéro de carte bancaire. Je n’essaie pas de me dédouaner hein… » lance-t-il à l’intention de la juge qui esquisse un petit sourire et qui lui glisse au passage, « vous êtes un escroc professionnel et on peut offrir un séjour à sa compagne pour nettement moins cher. » « Je n’ai pas d’excuse, je rembourserai, je suis prêt à assumer mes actes. » Quant à sa compagne, un ex-mannequin qui va lancer sa marque de maillots de bain, elle semble tomber des nues quand on lui annonce les prix des prestations dont ils ont abusé à l’hôtel. « Je ne pensais pas que c’était aussi cher. Je n’étais pas au courant pour l’escroquerie, je pensais que sa société marchait bien. » « Enfin madame, le Four Seasons c’est tout de même le top, vous ne vous rendiez pas compte des tarifs ? » D’autant que la jeune femme avait rendu moult fois visite à son compagnon alors qu’il était incarcéré en métropole et qu’elle était au courant de son cursus d’escroc. « C’est une petite entreprise familiale qui risque de licencier ses neuf employés » Pour la partie civile, si le Four Seasons ne risque pas vraiment de mettre la clé sous la porte pour un peu plus d’un million de pertes, ce n’est pas le cas de l’agence de voyages qui risque la faillite, d’autant plus avec la pandémie qui a limité drastiquement les déplacements. « C’est une petite entreprise familiale qui risque de licencier ses neuf employés car cette histoire lui a porté le coup de grâce. » Il réclame le remboursement des sommes dues à l’agence et aussi au Four Seasons. « Fin de la parenthèse enchantée à Bora Bora, le château de cartes s’est écroulé » assure le procureur qui explique que « ce n’est qu’in extremis qu’on a pu les rattraper avant qu’ils ne quittent Tahiti, en plus monsieur a un casier plutôt bien étoffé en escroquerie. Il est sorti de prison en mars 2019 et il recommence. » Il réclame à son encontre trois ans de prison. Quant à sa compagne, « elle dit ne pas être au courant de l’escroquerie, pour autant elle était au courant de son passé. Elle ne s’est pas étonnée par le train de vie à Bora Bora et je ne suis pas convaincu de son innocence. » Et de réclamer 2 mois de prison avec sursis. « On était dans un conte de fées pour ma cliente » « On était dans un conte de fées pour ma cliente. Elle est enceinte de jumeaux et on lui fait une demande en mariage à Bora Bora » attaque l’avocat de la jeune femme qui poursuit, « dans ce dossier, il n’y a aucun élément à charge contre elle. On lui reproche une filouterie d’aliments, mais les massages, l’hélico et tout le reste, ce ne sont pas des aliments. Si on compte les extras, elle ne doit que 180 000 Fcfp et l’hôtel ne lui a jamais demandé quoi que ce soit. Je demande la relaxe pour ce chef d’accusation. Quant au recel, l’escroquerie, il faut prouver qu’elle était au courant. Il n’y a pas d’éléments objectifs pour le prouver, si ce n’est la connaissance du passé d’escroc de son compagnon. » Il demande la relaxe à son égard, « et qu’elle puisse récupérer son passeport pour qu’elle suive sa grossesse dans de bonnes conditions. » « La filouterie pour aliments, ça ne tient pas » assure lui aussi l’avocat de l’homme, « sur l’escroquerie par contre, il reconnait les faits. Elle voulait aller à Bora Bora jouer les honeymooners et comme il n’avait pas les fonds, voilà. C’est stupide comme arnaque, il part 10 jours c’était sûr qu’il allait se faire prendre. Il l’a fait par amour. » Quant à l’état de santé de son client, « au CHPF, il semble qu’il n’y ait pas les compétences pour le soigner, il faudra qu’il rentre tôt ou tard en métropole. » Il demande à ce que le quantum de la peine soit minoré, assurant que son client « remboursera les parties civiles. » Après en avoir délibéré, le tribunal a condamné l’escroc à trois ans de prison avec maintien en détention avec obligation de rembourser les parties civiles du préjudice moral et matériel. Quant à sa compagne, elle a été relaxée, « au bénéfice du doute. » À l’annonce de sa condamnation, l’homme est resté sans voix puis, « ca veut dire que je suis bloqué ici ? » « Oui monsieur » « Mais ma maladie ? » « Vous pouvez demander un transfert, mais c’est l’administration pénitentiaire qui décidera. Sinon, vous pouvez faire appel de la décision. » Ce que compte bien faire son avocat. 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