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Le Sénat fait ses recommandations pour « mieux faire vivre l’autonomie » en Polynésie


Un rapport sur « la situation institutionnelle, administrative et de justice en Polynésie française » a été présenté en commission des lois au Sénat à Paris ce mercredi. 22 recommandations ont été formulées par les membres de la mission d’information, dont une délégation s’était déplacée au fenua en avril dernier. Elle était d’ailleurs menée par François-Noël Buffet, alors président de cette commission, devenu depuis ministre des Outre-mer. Pour la sénatrice Lana Tetuanui ces propositions doivent désormais se concrétiser.

« Mieux faire vivre l’autonomie de la Polynésie française », « permettre localement de mieux différencier l’exercice des compétences » et « assurer une plus grande proximité de l’action publique ». Voilà ce que propose le rapport de la mission d’information sur la Polynésie, présenté ce mercredi en commission des lois du Sénat à Paris. Un rapport qui s’est notamment appuyé sur la visite d’une délégation de sénateurs au fenua en avril dernier. Les parlementaires étaient venus à la rencontre des élus du Pays et des communes, des représentants de l’État et des administrations, ainsi que de plusieurs acteurs socio-économiques. Cette délégation était d’ailleurs menée par François-Noël Buffet, alors président de la commission des lois du Sénat, devenu depuis ministre des Outre-mer.

Pour le Sénat il s’agissait de « porter une attention particulière » à la Polynésie française alors que les dernières modifications statutaires datent de 2019, que la dernière mission d’information menée par la commission des lois est encore plus ancienne (2017)… Et que les élections territoriales de 2023 ont porté au pouvoir les indépendantistes du Tavini.

« Consolider la compétence internationale »… Mais « surveiller » les ingérences

Les 22 recommandations concernent un champ plutôt large. Les sénateurs se sont d’abord intéressés à la répartition des compétences entre l’État et le Pays, d’abord pour insister sur la nécessaire fixation « de frontières incontestables et pertinentes », en suivant une logique de « blocs de compétences ». Limiter les conflits de compétences, aujourd’hui source de « difficultés » c’est rendre ainsi l’action publique plus simple et efficace, insiste le rapport, qui ne s’avance toutefois pas dans des propositions détaillées sur des changements de répartition. Il faut dire que les demandes des élus polynésiens sur ce point varient au sein même des partis et qu’elles évoluent rapidement au fil du temps et du contexte politique. « Cette logique de blocs permettrait notamment de consolider la compétence internationale de la Polynésie française, pour ce qui concerne son environnement régional », précisent simplement les sénateurs.

Les auteurs du rapport recommandent aussi la clarification du droit applicable en Polynésie. L’application de la loi nationale est particulièrement complexe, expliquent-ils. « Il importe donc que le Pays mène un travail global de clarification, par le biais d’une codification, matière par matière, du droit effectivement applicable. » Il s’agit aussi d’ajuster les conditions d’exercice des missions de l’État, notamment pour agir sur les violences, la drogue et rendre l’accès à la justice plus facile. Le rapport pose la question de « durée d’affectation des magistrats » et propose d’instituer « des règles de mobilité spécifiques pour les magistrats du siège et du parquet ». Ils reviennent sur « les tentatives d’ingérences des puissances étrangères » : États-Unis, Chine, et bien sûr l’Azerbaïdjan, réclamant plus de « surveillance ».

Revoir la répartition des compétences avec les communes

C’est aussi sur le rapport entre le Pays et les communes que s’arrête le rapport. L’article 43 du statut, qui leur permet d’exercer des compétences complémentaires, a été au cœur des discussions, explique la sénatrice Lana Tetuanui qui fait partie, comme Teva Rohfritsch, de la commission des lois et a assisté à la présentation du rapport. L’objectif était de « clarifier les compétences de chacun. Il faut absolument que le Pays prenne des lois pour partager certaines compétences que les communes réclament aujourd’hui. Sur des compétences qu’elles exercent déjà mais qui ne leur appartiennent pas et que le Pays tarde à transférer, détaille la sénatrice. Ça créé déjà la frustration des élus marquisiens, d’ailleurs, car pour le développement économique des Marquises, ils sont bloqués par le statut de la Polynésie. »

Les maires ont aussi fait part à la délégation du sénat d’un « jacobinisme tahitien », en clair « l’exercice par le Pays de ses prérogatives est jugé trop distant ». Les auteurs du rapport proposent d’avancer « projet par projet afin de créer une confiance mutuelle entre le Pays et les communes » et de mettre en place « une prérogative d’intervention dans certains domaines » (notamment pour la culture, le patrimoine, l’artisanat, l’aide sociale, la jeunesse, le sport). Mais c’est aussi dans l’autre sens que ça fonctionne : redonner certaines compétences au pays notamment concernant l’assainissement, le traitement des déchets et aussi l’établissement public d’incendie et de secours, créé en 2006 mais toujours pas mis en place. Il est question aussi de favoriser la mise à disposition de fonciers par le pays aux communes. Et enfin, le rapport parle de « favoriser la différenciation par l’intercommunalité » : que les communes puissent s’unir pour ensuite agir au plus près de leurs administrés.

« Il ne faut pas que ce rapport soit rangé au placard »

Il reste plus qu’à concrétiser ces recommandations, comme l’espère Lana Tetuanui : « Il ne faut pas que ce rapport soit rangé dans un placard dans les jours et années à venir. J’ai confiance dans le travail mené au Sénat. J’ai juste demandé à ce que ce soit traduit par des textes concrets. »

C’est d’ailleurs également l’intention de Teva Rohfritsch : «  Ces recommandations viennent éclairer les marges de progression ou d’amélioration de l’écriture de la loi et des règlements pour gommer un maximum les frottements de compétences et engager une meilleure complémentarité des acteurs sur le terrain, y compris au sein même de l’exercice des compétences de l’État, détaille le sénateur.  Il appartiendra à chaque acteur public de retenir ou pas ces recommandations. Elles ouvrent le champ de propositions de loi que nous pourrions déposer au Parlement dans les semaines et mois qui viennent. Je vais travailler cette année avec la commission des lois pour mettre toute notre énergie sur l’amélioration du fonctionnement de nos institutions vers plus d’accessibilité et plus d’efficacité de l’action publique. »

Teva Rohfritsch, Lana Tetuanui et Nicole Sanquer ont également été reçus par le Premier ministre hier : « Nous voulions défendre les priorités polynésiennes alors que la loi de Finances est à l’étude et que les dotations pour l’Outre-mer sont en baisse », a expliqué Lana Tetuanui qui a trouvé que Michel Barnier était « un homme très à l’écoute ».

Les 22 recommandations du rapport sur la situation institutionnelle, justice et administrative du Pays

  • Proposition n° 1 : Engager une réflexion pour affiner la répartition des compétences entre l’État et le Pays dans une logique de blocs de compétences.
  • Proposition n° 2 : Améliorer l’accessibilité du droit applicable en Polynésie française par un travail de codification et par une évolution de la technique dite du « compteur Lifou ».
  • Proposition n° 3 : Engager une réflexion sur la fin du régime de spécialité en Polynésie française, pour retenir le principe d’une application de plein droit, sans mention expresse, de la norme nationale sur le territoire polynésien, avec deux tempéraments :
    • l’adaptation toujours possible de la norme à la situation de la Polynésie française, pour prendre en compte ses spécificités ;
    • la possibilité d’exclure expressément l’application de la norme nationale sur le territoire polynésien.
  • Proposition n° 4 : Intensifier la structuration de la coopération des différents acteurs chargés de la lutte contre les violences intrafamiliales.
  • Proposition n° 5 : Face à l’essor du trafic de stupéfiants, adapter les moyens de prévention et de lutte à tous les échelons de l’action publique, notamment en renforçant les capacités d’action du parquet et les moyens opérationnels, y compris d’interception en mer, des forces de sécurité intérieure.
  • Proposition n° 6 : Rendre effectifs en Polynésie française le mécanisme de l’amende forfaitaire délictuelle et la mise en place du procès-verbal électronique (PVe).
  • Proposition n° 7 : Adapter le taux de l’aide juridictionnelle et le montant des remboursements de frais des avocats aux contraintes spécifiques liées à l’organisation judiciaire en Polynésie française.
  • Proposition n° 8 : Instituer des règles de mobilité spécifiques pour les magistrats du siège et du parquet exerçant dans des ressorts juridictionnels très étroits, comme en Polynésie française, en limitant l’exercice de leurs fonctions sur place à cinq années.
  • Proposition n° 9 : Permettre au Pays et aux communes de bénéficier de l’ensemble des prestations offertes par le Cerema et l’Agence nationale pour la cohésion des territoires (ANCT).
  • Proposition n° 10 : Surveiller les tentatives d’influence ou d’ingérence étrangères qui se développent en vue d’attiser un sentiment anti-français en Polynésie française.
  • Proposition n° 11 : Associer de manière effective les autorités de la Polynésie française à la définition ainsi qu’à la mise en œuvre de la stratégie indopacifique de la République.
  • Proposition n° 12 : Poursuivre le développement de la capacité d’accueil du régiment du service militaire adapté (RSMA) en Polynésie française et l’adéquation des formations proposées au regard des besoins locaux.
  • Proposition n° 13 : S’assurer de la cohérence et de la complémentarité des actions menées par l’État et le Pays en matière de relations internationales, et accompagner l’action du Pays en favorisant une participation de haut niveau de l’État aux travaux des instances régionales.
  • Proposition n° 14 : Pour exercer une action locale au plus près des Polynésiens, mettre en œuvre, dans une démarche pragmatique, les lois du Pays du 3 mars 2023 permettant la délégation de compétences ou la réalisation de projets aux communes et intercommunalités, en mobilisant l’expertise de la chambre territoriale des comptes pour l’évaluation des coûts induits.
  • Proposition n° 15 : Face à l’impossibilité matérielle dans laquelle sont placées les communes de Polynésie en matière de distribution d’eau potable et d’assainissement, envisager un nouveau report de la date de l’obligation de fournir ces services, voire des aménagements particuliers pérennes pour les communes d’archipels.
  • Proposition n° 16 : Rétrocéder la compétence en matière de traitement des déchets des communes au Pays.
  • Proposition n° 17 : Dans le cadre du comité polynésien de sécurité civile, poursuivre les échanges pour s’assurer que le modèle d’un établissement public d’incendie et de secours de Polynésie française, décidé en 2006, est adapté aux besoins du territoire.
  • Proposition n° 18 : Pour pallier l’absence ou l’insuffisance de certaines actions menées localement par le Pays, reconnaître aux communes de Polynésie française, sans que soit nécessaire l’adoption d’une loi du Pays en ce sens, une compétence partagée avec le Pays, en particulier en matière de culture et de patrimoine local, d’artisanat, d’aide sociale, de jeunesse et de sport.
  • Proposition n° 19 : Redéfinir le statut juridique des communes associées, leurs conditions de fonctionnement et les prérogatives que leurs maires délégués peuvent exercer.
  • Proposition n° 20 : Accompagner encore davantage les communes dans leur recrutement des agents de catégorie A et B, et dans la formation professionnelle de l’ensemble de leurs personnels.
  • Proposition n° 21 : Favoriser, par la vente ou la mise à disposition à titre gratuit par le Pays et l’Etat, l’utilisation du foncier par les communes et les communautés de communes pour y établir des équipements publics locaux.
  • Proposition n° 22 : Utiliser davantage l’intercommunalité pour mieux différencier l’exercice de l’action locale en Polynésie française, le cas échéant en complétant les compétences qu’elles sont susceptibles d’exercer.
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