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Exposition : Yiling Changues aux sources de l’exotisme féminin polynésien

©Yiling Changues/Galerie Winkler

Partageant sa vie entre la France et Tahiti, la franco-sino-tahitienne Yiling Changues, à la fois graphiste, illustratrice et artiste, a déjà participé à deux expositions au fenua, dont celle toute personnelle inaugurée hier jeudi 6 mai à la galerie Winkler intitulée « Iho vahine ». Elle y explore avec justesse et poésie la nature féminine polynésienne via une pratique du dessin à l’encre particulièrement maîtrisée et originale, tout en questionnant le prisme du mythe de la vahine véhiculé par l’histoire coloniale. Le message porté par Yiling : que chaque femme polynésienne puisse se construire un autre modèle féminin à son image : multiple et solidement ancrée entre nature et culture.

Fascinés, on plonge dans l’univers de Yiling Changues aussi instantanément que dans un poème, à la fois pictural et littéraire. Mêlant réalisme et onirisme, nature et culture, dessins et texte, l’artiste et illustratrice franco-sino-tahitienne s’inscrit dans la lignée de femmes artistes contemporaines particulièrement talentueuses. Elle présente une trentaine d’œuvres, « des encres sur papier, pastel gras, crayons de couleur sur papier, et quelques acryliques sur toile ». Les œuvres de Yiling Changues font la part belle aux corps féminins résolument authentiques, immergés dans une nature polynésienne généreuse, foisonnante et cosmogonique telle« Rumia », réinterprétation toute personnelle du mythe de la création.

Une ode poétique à la nature féminine polynésienne

La nature y est effectivement omniprésente, omnipotente lorsqu’elle ne se retrouve pas elle-même constitutive des corps, comme pour « Billie » – buste lové au cœur de racines aériennes. Cette toile-ci est un hommage au photographe anglais des années 1960, Bill Brandt, et ses grands-angles de détails anatomiques féminins. Chez Yiling, corps et nature locale se confondent, s’interpénètrent : māpē, ‘ape, bananiers, tō’ere, autant d’éléments constitutifs de son travail. Pour l’artiste, il s’agit plus que jamais de délivrer la femme polynésienne du diktat des clichés pour lui offrir un autre avenir. L’artiste fait alors évoluer « la Polynésie loin de son mentor colonial, naviguant entre image d’Épinal et désillusion, traditions et mondialisation, authenticité et folklore. »

©Vaiana Drollet

Retour au fenua : participation à la scène artistique locale

De retour au fenua depuis à peine deux mois,  après 10 ans en France, Yiling Changues a déjà fait parler de son travail à travers deux expositions-clés de cette reprise culturelle 2021. Après avoir présenté deux dessins à l’encre sur papier (« Sous ma peau la forêt ») lors de l’exposition collective Art-Hine en mars dernier dans le cadre de la Journée internationale des droits des femmes, le public peut retrouver jusqu’au 18 mai une grande partie de son travail à la galerie Winkler. « Iho Vahine » représente pour l’artiste une deuxième exposition qui marque sa toute première exposition personnelle à Tahiti, grâce à une production florissante : 27 dessins originaux, 3 toiles et 14 impressions.

Yiling fait ainsi une arrivée remarquée sur la scène artistique locale et fait partie des nouvelles figures de proue : « ma pratique artistique existait déjà avant mon retour au fenua mais désormais elle prend tout son sens. J’aimerais trouver ma place ici. Maintenant que je suis revenue, j’ai à cœur de m’investir pleinement sur la scène locale. »

De l’encre noire à la couleur : un univers bigarré

Certaines œuvres passent du noir de l’encre aux couleurs de l’acrylique ou du pastel (comme « Tihauhau ») représentant deux énergies très différentes, à l’image son métissage. « L’encre invoque un univers fin, minutieux, réfléchi, détaillé, presque raffiné, incarnant plutôt mes origines chinoises. La couleur, quant à elle, fait davantage référence à mon côté polynésien, qui tendrait vers l’instinct, l’énergie, le ressenti, la touche et le geste plus visible, une émotion brute. » Yiling dit tenir fortement à l’équilibre de ces deux énergies, tout l’intérêt étant de faire en sorte de les faire communiquer, comme le mariage de ses propres origines.

La construction d’une mythologie personnelle

Les influences de l’artiste franco-sino-tahitienne sont à chercher du côté de Paul Gauguin, « pour ses couleurs, ses compositions et ses visages qui ont marqué beaucoup d’enfants polynésiens, toutes générations confondues ». Elle évoque ensuite l’influence de l’artiste Louise Bourgeois, qui mélangeait croquis et textes dans des carnets comme Yiling le fait à son tour aujourd’hui. « À l’image de son travail de construction d’une mythologie personnelle, Louise Bourgeois élevait sa propre histoire au rang de mythe, en s’appropriant des symboles comme celui de l’araignée-mère. À mon tour je souhaitais m’approprier des symboles de chez nous, ces souvenirs que, une fois qu’on s’éloigne du fenua, nous chérissons avec une nostalgie certaine. » Elle évoque également volontiers la force de la narration des toiles de Frida Kahlo.

©Yiling Changues

Les femmes vraies, jamais folklorisées

À travers son travail artistique autour du corps féminin, Yiling, qui signifie « le son du jade », souhaite proposer une alternative plus pertinente et plurielle que le stéréotype colonial de la vahine. « Je souhaite diversifier cette vision unique et fantasmée de la femme polynésienne et l’axer sur le retour vers la nature, moi qui ait été coupée de cette nature vitale pour la condition féminine. » Les courbes anatomiques qu’elle dévoile ne sont jamais érotiques ni sensuelles mais des représentations authentiques de la nature féminine.

 

La parole à Vaiana Drollet, Galerie Winkler

« J’ai découvert son travail sur Instagram, il faut croire que c’est un support privilégié pour moi quant à la découverte de nouveaux talents ! Lorsque je sens qu’un artiste a une démarche artistique déjà solide, il est important de lui donner une grande visibilité. L’exposition personnelle est un très bon moyen de se faire connaître sur la scène artistique locale. Cela fait office de « rite de passage ».

« Yiling propose un travail graphique très séduisant qui allie une démarche contemporaine de l’image à un fort ancrage dans la culture polynésienne. La série sur les coquillages est pour moi sublimée par son affiche « coquillages de Tahiti ». Cette composition résume très bien son univers : s’approprier des éléments de l’imagerie collective en les détournant avec beaucoup de justesse et de poésie. Elle a tout à fait sa place dans l’univers de la création contemporaine au fenua car elle a un message à faire passer et les outils pour le faire. »

©Vaiana Drollet

 

« Iho vahine », exposition personnelle de Yiling Changues

Encres sur papier et acryliques sur toile

Jusqu’au 18 mai, Galerie Winkler, 17 rue Jeanne d’Arc, Papeete

Du lundi au vendredi, de 9 heures à 12h30 et de 13h30 à 17 heures, et le samedi de 8h30 à midi.

Pour suivre Yiling Changues :

https://yilingchangues.tumblr.com/

https://www.instagram.com/yilingchangues/

 

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