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Faut-il fermer Nuutania ? Aux juges administratifs de répondre

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Après avoir condamné plusieurs fois l’État à indemniser des détenus pour leurs conditions d’incarcération « indignes » à Nuutania, le tribunal administratif doit étudier, fin mai, un recours visant à « mettre fin à la violation quotidienne des droits de l’Homme » dans le centre pénitentiaire de Faa’a… Et à « prendre les mesures nécessaires pour le fermer ». Une procédure lancée en 2020 par Me Arcus Usang, à laquelle se sont joints la Section française de l’Observatoire international des prisons et l’ordre des avocats de Polynésie.

Les juges administratifs de Papeete n’envoient personne derrière les barreaux, mais ils connaissent pourtant les centres pénitentiaires du fenua sur le bout des doigts. Et notamment celui de Nuutania, qui, du fait de sa vétusté, sa surpopulation, son insalubrité ou ses cellules étriquées, leur fournit un contentieux toujours plus important. Depuis plus d’une quinzaine d’années, l’État est régulièrement condamné par la justice administrative à indemniser des détenus du fait de leurs conditions d’incarcération jugées « indignes » ou « inhumaines ». En 2023, ces recours constituaient près d’une vingtaine de dossiers, pesant chacun entre quelques dizaines de milliers et plusieurs millions de francs de dommages-intérêts. Rien, malgré les travaux et annonces de rénovation à Faa’a, ne semble arrêter ce flot de procédures. Mais ce 28 mai, le tribunal de Papeete étudiera un recours qui sort du lot : plutôt qu’une indemnisation, c’est bien la fermeture du centre qui est demandée à l’administration.

Quatre ans de délai et de nouveaux alliés

À l’origine du recours, Me Arcus Usang, qui a officiellement saisi en 2020 le ministre de la Justice pour « mettre fin à la violation quotidienne des droits de l’Homme » dans la prison de Faa’a. Ou à défaut, pour « prendre les mesures nécessaires pour la fermer ». Pas de réponse, et donc refus implicite de l’État, que l’avocat a attaqué devant le tribunal administratif, toujours en 2020. Les juges de Papeete se sont d’abord déclarés incompétents, estimant que les décisions du Garde des Sceaux devaient être jugées par leurs homologues parisiens. Le tribunal administratif de la capitale renvoyait, lui, sur la juridiction couvrant la prison en cause, et le Conseil d’État a été appelé en renfort pour trancher. En octobre 2023, la juridiction administrative suprême finit par renvoyer le dossier à Papeete. Quatre ans après, donc, la requête va pouvoir être étudiée au fond.

Ce détour parisien a eu le mérite d’attirer l’attention : dès 2021 la section française de l’Observatoire international des prisons – une association qui milite pour le respect des droits de l’Homme en milieu carcéral – s’est joint à la requête, une intervention validée par le Conseil d’État. L’année dernière c’est l’ordre des avocats de Polynésie qui intervient à son tour en soutien de cette demande. Les deux organismes ont produit des mémoires qui s’ajoutent donc à celui de Me Usang, qui intervient en tant « qu’auxiliaire de justice » et « visiteur fréquent » de Nuutania, dont il défend certains pensionnaires. Des argumentaires qui listent les nombreux rapports ayant épinglé la situation, qui décortiquent l’importante jurisprudence, nationale ou européenne condamnant les « traitements dégradants et inhumains » infligés aux détenus par cette situation. Ou rappellent les obligations fixées par la loi, et notamment le code de procédure pénale, sur les conditions d’hygiène obligatoire lors d’une incarcération. Mais ces mémoires s’appuient surtout sur un texte, et les interprétations qui en ont été faites par l’administration et les juges : la convention européenne des droits de l’Homme, et notamment son article 3. Il stipule que « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Une zone de « non-humanité »

Dans sa requête de 2020, Me Usang détaille les nombreux sujets qui ont valu, selon lui, à Nuutania la réputation de « pire prison de France » : cellules particulièrement exigües, mal ventilées et très chaudes, insalubrité chronique des douches et du réseau d’eau, manque d’équipement sportifs et de maintien en forme, présence permanente de rats devenus des « colocataires », manque d’intimité au parloir ou aux sanitaires… Il s’attarde surtout sur la question de la surpopulation : 165% de taux d’occupation à Faa’a en 2018, bien au delà de la moyenne nationale, malgré l’ouverture, en plus des structures annexes des Marquises et des Raromatai, du centre de Tatutu en 2017. « Comment expliquer qu’une nouvelle prison de 400 places puisse ne pas se substituer à Nuutania construit dans les années 70 pour une capacité initiale de 165 places ? » s’interroge l’avocat, qui y voit, comme d’autres, les conséquences d’une politique pénale particulièrement répressive en Polynésie.

Les quatre ans de renvoi de balle sur la compétence ont aussi laissé le temps à l’État de faire évoluer sa copie. Le rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté de 2022 – unique rapport depuis 2016 alors que les visites sont censées être annuelles – parle d’un taux d’occupation largement redressé : « environ 120% sur la totalité des places et 152% à la maison d’arrêt des hommes alors qu’il était d’environ 300% en 2012 ». Mais il pointe toujours « l’importante vétusté du centre » dont les locaux restent « indignes malgré les efforts réalisés ». Le même document interpelle sur un système électrique non conforme, des risques importants en matière d’incendie, un accès aux soins « pas optimal », avec des locaux médicaux « particulièrement indignes », des cellules à rénover et à agrandir, des besoins de réfection des cours aux cuisines en passant par les sanitaires… Des opérations ciblées de rénovation, ralenties par la présence d’amiante, ont pourtant eu lieu entre 2013 et 2015, puis en 2017 et 2018. En 2023, le Haut-commissaire Éric Spitz rappelait que des « investissements importants » étaient d’ores et déjà programmés à Nuutania… Et se félicitait au passage d’un taux d’occupation particulièrement bas – 73% – à Tatutu.

Aucune demande financière n’est adossée à ce recours. « Il ne s’agit pas d’une question d’argent, il s’agit de respecter notre serment d’avocat, explique Me Usang. On a juré d’exercer notre métier avec humanité et Nuutania c’est la zone de non humanité. Quoiqu’ait fait un prisonnier, il faut rester dans un traitement humain ». Le tribunal administratif de Papeete étudiera le recours le 28 mai et devrait rendre une décision avant la mi-juin.