Pour réduire la « dépendance aux importations » et réduire les émissions de gaz à effet de serre, le Pays va faire appel à des financements privés pour créer des fermes solaires. Parmi les acteurs prêts à investir, EDT, qui cherche en outre à optimiser la production d’hydroélectricité à Tahiti et qui discute avec les autorités du développement d’une centrale au propane et de l’avenir de la Punaruu.
« Rien ne doit plus être comme avant ». C’était un des leitmotivs répétés lors de la présentation du plan de relance du Pays, le 1er septembre. Le document listait une série d’actions – pour beaucoup déjà évoquées ou actées par le passé – visant à favoriser la reprise économique. Une liste dans laquelle le secteur de l’énergie tient une bonne place. Ainsi lit-on que le Pays entend, d’ici 2025 mettre en place un réel « plan énergie solaire ». L’idée de doper l’installation de panneaux photovoltaïques n’est pas nouvelle, et la Polynésie, limitée par son foncier, mais aussi par les moyens mis en oeuvre, a pris beaucoup de retard sur le reste de l’outre-mer en la matière. Pour le gouvernement, il s’agit enfin de concrétiser, en développant des « champs solaires avec stockage », « sur la base de financements privés ».
« Le photovoltaïque sans stockage ne permet pas, vu les besoins du réseau polynésien, d’avancer vers une plus grande part de renouvelable », explique Samy Hamdi, conseiller énergie auprès de Tea Frogier. L’énergie solaire est par nature intermittente : les batteries couplées aux fermes doivent permettre de « lisser » la production pour la répartir sur la journée, ou de la faire coller un peu mieux à la consommation.
Le coup d’envoi sera donné par le renouvellement des concessions dans les îles – une dizaine de communes ont fait le choix de repousser d’un an la fin de concession pour mieux préparer leur cahier des charges – et, à Tahiti, par le biais d’un appel à projets.
EDT-Engie prêts à investir dans le solaire et à optimiser l’hydro
Les autorités le savent : plusieurs investisseurs sont déjà sur les rangs et le public comme le privé ont repéré du foncier qui pourrait être utilisé. EDT n’entend pas rester en dehors de cette course : le producteur et distributeur d’électricité a créé, il y a quelques semaines, une nouvelle filiale baptisée Ito Nui, spécialement consacrée à l’investissement dans le solaire. La maison-mère, Engie serait prête à y injecter des sommes importantes. Le Pays, qui vise un appel à projets avant la fin de l’année, compte sur la concurrence pour assurer des tarifs acceptables : « ce développement ne doit pas renchérir le prix de l’électricité », confirme Samy Hamdi.
L’appel à projets de Tahiti pourrait concerner 30 MW de puissance installée, soit jusqu’à 50 GWh de production électrique par an : de quoi tripler la part de l’énergie photovoltaïque dans le mix énergétique. Et de quoi, aussi, avancer vers les objectifs fixés par les élus depuis 2015. 50% de renouvelable en 2020, 75% en 2030, lit-on dans le plan de transition, tandis que le plan de relance parle, lui, de 80% à l’horizon 2040… Le compteur stagne pourtant depuis quelques années aux environs de 30% de renouvelable dans la production d’électricité polynésienne.
Une part essentiellement fournie par l’hydroélectricité, même si cette production varie en fonction des années et de la pluviométrie. Comment la faire progresser ? EDT a abandonné l’idée de nouveaux « grands barrages », mais veut travailler à une « optimisation » de ceux qui existent, et pourquoi pas les faire passer de 150 à 200 GWh de production annuelle. C’est l’idée de « Cote 95″, un chantier à 1,6 milliards qui vient modifier et moderniser un des barrages de la Papenoo. Bientôt soumis à une enquête publique, il n’attend plus que la validation du gouvernement. Le producteur a en outre lancé sa filiale, Marama Nui, sur la piste d’autres améliorations possibles, vallée par vallée, et pourrait, à partir de l’année prochaine, étudier la possibilité de nouvelles centrales hydroélectriques, de petite capacité et de faible impact environnemental, sur les cours d’eau déjà aménagés. EDT, enfin, entend équiper la Punaruu d’une batterie de grande capacité, reliée directement au réseau. Ce projet Putu Uira, chiffré à 1,5 milliards de francs et déjà validé par le Pays, doit permettre de mieux piloter le mix entre énergie fossile et renouvelable et pourquoi pas éteindre un des groupes de la centrale Émile Martin aujourd’hui allumé en permanence par sécurité. Comme le confirme Samy Hamdi, les » avancées technologiques » sont au centre de la transition énergétique.
Centrale à gaz : Papenoo, Taravao, ou Papeete ?
Le plan de relance met une autre énergie en avant : le gaz, loin d’être une énergie « propre » ou même renouvelable. Mais la combustion du propane – un réseau d’approvisionnement en gaz naturel serait trop coûteux – est moins polluante et moins productrice de gaz à effet de serre que le fioul utilisé à la Punaruu. Ou le diesel de la centrale Vairaatoa, qu’EDT vient tout juste de commencer à démanteler. Comme le précise Samy Hamdi, une centrale au gaz, en plus de limiter la dépendance du fenua au cours du pétrole, présente aussi l’intérêt d’être très facilement « pilotable ». « Le gaz permet une meilleure flexibilité et permettrait de favoriser le taux de pénétration du renouvelable », explique le conseiller. Deux études de coût – sur l’approvisionnement et sur la construction d’une centrale – ont été lancées par le Pays.
La future unité, 50 à 100 GWh de production annuelle, suivant les options choisies, se logera-t-elle, justement, sur le site de Vairaatoa ? Non. Les autorités préféreraient éloigner cette nouvelle centrale thermique de la gare maritime et du cœur de Papeete. Une installation dans la zone du port, et notamment à Motu Uta, non loin des cuves du groupe Siu, qui importe déjà du propane pour des utilisations commerciales, parait une solution économique. Et présente des avantages en termes de gestion du réseau. Mais une construction à la Papenoo ou à Taravao ont aussi été évoquées par le Pays. Tout dépendra des études de coût. On parle aujourd’hui de 1,5 à 2,5 milliards de francs d’investissement pour une naissance d’ici deux à trois ans.
Punaruu 2025 : donner du temps à la centrale Émile Martin
Tous ces plans, en discussions entre le Pays et EDT-Engie, n’hypothèquent pas l’avenir de la centrale de la Punaruu, qui produit aujourd’hui 60% de l’électricité de Tahiti. Certes, l’optimisation de l’hydraulique, le développement du solaire et la mise en place de la batterie Putu Uira pourraient permettre, d’ici trois ans, de diviser par deux la sollicitation de la centrale Émile Martin. Mais pas question de supprimer ses huit groupes, qui tournent aujourd’hui au fioul lourd. Sécheresse, manque de soleil… Les énergies renouvelables ont leurs mauvaises périodes, et EDT doit, réglementairement, conserver des moyens de production « de base » suffisants pour couvrir la consommation. La centrale produira – et donc polluera – moins, mais doit rester doit rester prête à l’action. Or, Émile Martin est à l’heure des choix. Trois groupes, actifs depuis l’inauguration en 1986 sont en voie de battre un record du monde d’heures de fonctionnement et vont coûter de plus en plus cher à maintenir. Un autre a plus de 20 ans, et autour des quatre groupes les plus récents certains équipements méritent eux aussi d’être remplacés. Un sujet d’autant plus complexe que la fin de concession approche : EDT est censé rendre ses installations « en bon état » à la fin 2030. Les prises de bec avec le Pays sur l’utilisation des provisions censées, justement, servir à entretenir et à remplacer le parc matériel, n’ont pas aidé à prendre de décision. L’accord signé en juillet a permis d’apaiser les relations et d’ouvrir l’horizon. Les deux parties ont validé un plan d’investissement d’un peu plus d’un milliard de francs – le plan Punaruu 2025 – pour effectuer les travaux les plus urgents et les plus évidents à la centrale. Modernisation de matériel, lutte contre le vieillissement des groupes récents, système d’aéroréfrigération pour moins pomper dans la nappe phréatique… Le plan, surtout donne à EDT et au Pays le temps de discuter. Faut-il remettre à neuf des groupes les plus anciens, ce qui impliquerait de conserver des normes environnementales datées ? Faut-il les remplacer par des groupes plus modernes, un investissement conséquent ? Dans ce cas, faut-il rester sur du fioul lourd, un choix, là encore, peu éco-responsable, ou choisir un autre combustible ? L’avenir de la plus grosse centrale de Polynésie est en discussion. Des décisions doivent être actées au plus tard en 2025. |