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Fiscalité : quatre questions sur le futur impôt sur le patrimoine immobilier

CSPI. C’est le nom d’un gros pavé dans la mare de la fiscalité lancé à l’occasion du projet de budget 2024 du Pays. La contribution de solidarité sur le patrimoine immobilier promet, si elle votée, de venir taxer tous les propriétaires, entreprises comme particuliers, détenant pour plus de 50 millions de francs d’appartements, de maisons, d’entrepôts ou locaux commerciaux. Qui paiera, combien, comment ? Éléments de réponse avant le débat budgétaire de début décembre.

Pourquoi un impôt sur le patrimoine immobilier ?

La nouvelle contribution de solidarité sur le patrimoine immobilier (CSPI) n’est pas en soi une surprise du projet de budget 2024 du Pays. La mesure, qui s’annonce déjà comme un grand marqueur de ce début de mandature Brotherson, avait déjà été évoquée courant octobre par Tevaiti Pomare. Le ministre des Finances présentait alors la CSPI comme un des pendants de la suppression de la CPS, dite TVA sociale, et de rééquilibrage de la fiscalité. Le gouvernement dit en effet vouloir réduire les taxes qui touchent le plus directement à la consommation et « amorcer » en parallèle un développement de la fiscalité du patrimoine, « outil efficace de redistribution des richesses » pour l’instant peu développé au fenua.

Le gouvernement précédent avait déjà ajusté quelques curseurs en la matière – notamment avec la révision à la hausse de l’impôt sur les plus-value immobilières – mais ne semblait pas enclin à aller plus loin dans la fiscalité du patrimoine. Yvonnick Raffin avait certes inscrit la création d’un impôt sur les donations et les successions dans sa feuille de route présentée en 2021. Mais cette petite révolution – forcément impopulaire – était renvoyée à l’horizon 2027 et n’apparaissait pas, début 2023, dans le programme de campagne du Tapura. Le programme du Tavini, lui, y fait bien référence – en prenant soin de le circonscrire aux « grosses » successions sans « investissements productifs » -, mais sa création n’est pour l’instant pas datée et il ne sera quoiqu’il arrive pas lancé en 2024. Reste que cet CSPI apparait comme un premier pas dans une révision plus profonde du système fiscal polynésien. Et un premier pas rentable : 1,5 milliards de francs de recettes supplémentaires d’après le projet de budget.

Quels contribuables et quels bien concernés ?

Si l’exécutif a choisi un impôt sur le patrimoine immobilier c’est peut-être parce qu’il le pense plus facile à mettre en place. Le dispositif présenté dans le projet de budget s’appuie sur plusieurs articles du code des impôts qui concernent la « contribution foncière sur les propriétés bâties ». L’impôt foncier (IF), donc, qui doit rapporter au Pays 3,3 milliards de francs en 2024, et dont la CSPI reprendra, si elle est votée en l’état, la base d’imposition. Tous les propriétaires, personnes physiques ou entreprises qui sont assujetties à l’IF tomberont donc sous le coup de cette contribution, à condition que leur patrimoine immobilier cumulé dépasse les 50 millions de francs de « valeur vénale ». Les terrains nus sont exclus de ce calcul, de même que les locaux d’associations, d’églises ou les bâtiments publics… En revanche, tous les terrains occupés à des fins commerciales ou industrielles (comme les chantiers), les entrepôts et autres structures commerciales, et bien sûr les maisons et immeubles d’habitation, qu’ils soient loués ou non, sont concernés.

Comment sera estimée la valeur des biens ? 

Le gouvernement l’assure : la CSPI n’imposera au contribuable aucune nouvelle déclaration, autre que celle de l’impôt foncier. Et c’est donc encore une fois au travers des informations et des méthodes de calculs liées à cet impôt que l’administration, en l’occurrence la DICP, déterminera la « valeur vénale » des biens. Pour ça, le texte de loi oriente vers la méthode de « l’évaluation directe » : serait donc pris en compte le prix du bien à l’achat, duquel serait soustrait le prix du terrain, ou bien le prix de la construction – main d’oeuvre « au coût du marché » comprise – pour le neuf. Certains professionnels notent que les déclarations d’IF utilisées sont pour beaucoup imprécises, datées, ou sous-évaluées : beaucoup ne déclarent pas les rénovations ou extension de leur maison, et ce système prend mal en compte les hausses de prix qu’a connu l’immobilier ces dernières années. Certains, dans le secteur immobilier, critiquent le texte pour les « perturbations » qu’il va engendrer, d’autres tiquent sur l’imprécision sur les calculs de valeur, ou sur la « rupture d’égalité » qu’il instaurerait entre propriétaires de foncier non bâti et de foncier bâti… « Aujourd’hui, il est difficile de prévoir quel sera l’impact de cette contribution, sur le marché, mais aussi pour chaque entreprise ou particulier », note un agent immobilier. Le gouvernement, lui, semble avoir plus de visibilité : il prévoit 1,5 milliards de francs de rentrées fiscales la première année. 

Combien faudra-t-il payer ?

La CSPI, contrairement à l’impôt foncier, s’appuie sur une grille de taux très progressifs. Neuf seuils au total, allant de 0,25 à 0,9%, qui s’appliquent sur la valeur vénale cumulée des biens d’un particulier ou d’une entreprise. Les 50 premiers millions de francs de patrimoine immobiliers sont exemptés, et le dernier seuil s’applique à des patrimoines dépassant 1,2 milliard. Ainsi, une famille qui est propriétaire d’une maison valorisée – hors terrain – à 60 millions de francs paiera ainsi 25 000 francs de contribution annuelle. Un investisseur, propriétaire d’appartements par exemple, dont le patrimoine total atteint les 180 millions, sera redevable de 530 000 francs en fin d’année. Enfin, une société dont le patrimoine immobilier total atteint le milliard de francs devra s’acquitter de 6,15 millions, toujours sur un an. Ces sommes seront relevées de façon distincte de l’impôt foncier, mais suivant la même « voie de rôle » : l’administration fiscale tient à jour une liste de contribuables et envoie un avis annuel pour chiffrer le paiement.

Autant de modalités qui pourraient évoluer lors des travaux en commission de l’assemblée, et lors du débat budgétaire programmé pour la première semaine de décembre. D’autres, parmi les professionnels notamment, voient un autre couperet pour le texte : les éventuels recours devant le Conseil d’État, fréquents et parfois couronnés de succès en matière de fiscalité.

Avis de tempête sur l’immobilier

Le projet de budget 2023 comporte plusieurs autres mesures se rapportant à l’immobilier, qui, d’après les professionnels qui en prennent connaissance, devrait chambouler le secteur :

  • Nouveau coup de pouce aux primo accédants. Le gouvernement constate que « les prix encore élevés permettent difficilement à certains ménages d’accéder pour la première fois à la propriété ». Il s’agit donc d’aller de pousser un peu plus loin les hausses de plafonds d’exonérations de droits d’achat pour ces foyers pas encore propriétaires. Au terme du projet, les primo-accédants ne paieront plus aucun droit d’enregistrement pour les premiers 40 millions de francs d’une habitation (25 millions pour un terrain nu) et 8% au-delà. Le taux réduit de publicité foncière est maintenu à 1%, suivant ces mêmes plafonds. La mesure devrait coûter environ 88 millions de francs au gouvernement.
  • Les Air BnB davantage taxés. Constatant un « essor non négligeable » de la location saisonnière, « dont les effets sur la raréfaction de l’offre résidentielle peuvent être présumés comme réels », le gouvernement propose de revoir à la hausse la taxation des meublés touristiques. Pour ça, l’exécutif s’attaque à l’estimation de la valeur locative utilisée comme base pour le paiement de la contribution des patentes et l’impôt foncier. La loi de 2021 prévoyait une valeur locative égale à 6% de la valeur vénale foncière (contre 4% pour les biens loués à l’année). Si le texte passe, ce taux doublera, à 12%.
  • Les villas de luxe dans le droit commun. Depuis 2018, les villas de luxe mises en location bénéficient d’un taux réduit de TVA à 5%, comme les hôtels. Elles seront désormais considérées comme des meublés touristiques, et se verront donc appliqué un taux de 13%. Question de « cohérence » pour le gouvernement.
  • Les SCI à l’IRCM. Les dividendes des société civiles immobilières ou agricoles ou des société en nom collectif étaient jusqu’à présents exemptés d’impôt sur le revenu des capitaux mobiliers. Le gouvernement propose de les y soumettre – en tout cas pour celles dont plus de 50% du patrimoine est immobilier – pour « développer la taxation des facultés contributives » et en « substitution d’une fiscalité sur la consommation moins équitable ». En clair : de nouvelles recettes pour remplacer la TVA sociale.
  • 5 ans d’habitation pour un taux Vefa. Accusés de trop attirer les spéculateurs – ce que les professionnels de l’immobilier remettent en cause – les biens en « vente en l’état futur d’achèvement » vont faire l’objet de nouvelles règles. Au terme du projet, il faudra désormais conserver et habiter son bien pendant 5 ans pour bénéficier des taux réduits de taxes d’achats, qui font tout l’attrait de ce genre d’appartements.  » Dès lors, en bénéficieront les ménages qui souhaitent acquérir leur logement d’habitation principale », pointe le gouvernement, qui précise que « le non respect de ces conditions entrainerait le rappel des droits éludés majorés des intérêts de retard ». Gare aux ruptures et changements de projets.
  • 1 milliard pour les OLS. Le projet de budget prévoit aussi une subvention de 1,1 milliard aux organismes privés de logement social, autorisés dès 2014, mais qui ont toujours du mal à se faire une place sur le marché. L’idée est de réussir à atteindre les objectifs de la politique publique de l’habitat, « qui fixe à 300 par an le nombre de logements à construire dans le segment intermédiaire ».