Le capitaine de la sélection tahitienne des -16 ans, issu de Central Sport, va intégrer le centre de formation de l’AJ Auxerre, club historique du football français, dont l’équipe première évolue en Ligue 1. À deux jours d’un match décisif pour les Tama Ura, qui jouent samedi leur qualification au Mondial 2025, ce meneur de jeu intelligent, posé et bien entouré se confie sur son parcours, ses modèles, ses ambitions, ses qualités et ses défauts.
C’est après une nuit difficile, au lendemain d’une défaite contre Fidji (1-2) en demi-finales du Championnat d’Océanie U16, que nous rencontrons Tiahiti Colombani, dans la tribune du stade Ganivet, où les Tama Ura ont pris leurs quartiers pendant la compétition. « On n’a pas trop dormi », concède le capitaine tahitien, à la sortie de l’entrainement.
À 16 ans, le meneur de jeu formé à Central Sport, est l’une des attractions de la sélection tahitienne, qui tentera de décrocher son ticket pour le Mondial U17 2025, samedi après-midi lors du match pour la 3e place, contre la Nouvelle-Calédonie (15 heures). Une « pépite » ou un « crack » pour le football polynésien ? C’est bien trop tôt pour le dire. Mais un joueur au-dessus de la moyenne, oui, assurément. Buteur à trois reprises durant la compétition, doté de qualités techniques très intéressantes, et d’une bonne vision du jeu, le natif de Papeete est l’un des trois Tama Ura à évoluer en métropole. Après une saison probante du côté de l’ASM Belfort, au plus haut niveau régional dans sa catégorie d’âge, ce gaucher va intégrer le centre de formation de l’AJ Auxerre à la rentrée prochaine. Un club mythique du football français, dont les équipes de jeunes ont fourni bon nombre de professionnels. Et pourtant, Tiahiti Colombani n’était pas forcément destiné à atterrir en Bourgogne.
Après avoir touché ses premiers ballons à quatre ans du côté de Central, suivant les traces de son père, ancien défenseur du club, l’adolescent part faire des tests du côté de Sochaux, autre vieille gloire du football français. « L’essai était concluant, mais je n’ai pas pu intégrer le centre de formation à cause d’un problème de licence », les Tahitiens étant considérés comme des étrangers aux yeux de la Fédération française, ce qui bloque régulièrement de jeunes espoirs du pays dans leurs parcours, chaque club ayant un quota de joueurs « extracommunautaires » à respecter. Pour Tiahiti Colombani, alors âgé de 14 ans, c’est un retour au pays, cette fois du côté de Tefana. Performant, il est surclassé avec la sélection tahitienne des U16, et participe à la 3e place décrochée au championnat d’Océanie de la catégorie en janvier 2023. A Fidji, il est même « élu homme d’un match contre Cook, alors que c’était un des plus jeunes de l’équipe », se souvient le sélectionneur Raiarri Golhen, qui voit en lui « un joueur très technique, pas avare en effort, avec un bon état d’esprit ».
La reconnaissance de ses pairs dès son premier match en métropole
Quelques mois plus tard, c’est la Fédération française qui s’intéresse au Tahitien, en l’appelant pour un stage regroupant 73 joueurs prometteurs de sa génération, en mai 2023. « Et puis la saison d’après, nous sommes partis avec ma famille en métropole et j’ai pu intégrer l’ASM Belfort », à une vingtaine de kilomètres de Sochaux. En Franche-Comté, « j’ai pris le temps de m’habituer, sans être pressé. Beaucoup de choses m’ont manqué, mais il fallait que je garde la tête haute et que je reste concentré sur le foot ». Là encore, la licence traîne, et ce supporter du club anglais Manchester City doit attendre novembre 2023 pour jouer son premier match, face aux jeunes de… l’AJ Auxerre. « Je découvrais, mais forcément tu as envie de te donner à fond pour un premier match, surtout face à un centre de formation », raconte le jeune capitaine. Les Belfortains s’inclinent finalement 3-2, mais le Tahitien se distingue et gagne la reconnaissance de ses adversaires. « À la fin du match, l’entraîneur d’Auxerre est venu me voir pour me dire qu’il me trouvait bon. Et les joueurs m’ont ‘checké’, ils m’ont demandé mon compte Snapchat et m’ont dit que l’entraîneur était intéressé, mais sans plus« , se souvient-il, lui qui ne s’attendait pas « à ce qu’on vienne me parler ».
La saison passe et les nouvelles tardent à venir. Peu tenté par Sochaux, au fond du trou depuis plusieurs saisons et en passe de perdre son centre de formation, « j’avais décidé de rentrer à Tahiti, car je ne voyais pas d’opportunités ». Avant un coup de fil inattendu, « d’une personne qui connaissait le coach d’Auxerre : il ne m’avait pas oublié et il m’a proposé une place au centre de formation ».
Contrairement à ce qui a pu être écrit ici et là, Tiahiti Colombani n’a pas signé de contrat avec le club Bourguignon, un schéma plutôt classique à cet âge. « Je vais m’entraîner et jouer avec le centre de formation, en U17 Nationaux », le plus haut niveau en France. En parallèle, il suivra un cursus en 1re générale, sans avoir d’idée précise de ce qu’il fera plus tard s’il ne perce pas dans le football. Cette perspective en poche, le joueur revient au pays, où il reçoit la visite d’un recruteur de l’AJA. « Il m’a dit que là bas, c’est uni, soudé. Si tu n’es pas bien, on vient te voir, pour regarder comment arranger ça et faire que tout aille au mieux ».
Progresser physiquement
Dans la foulée, Raiarii Golhen le désigne capitaine des U16. « Il parle beaucoup avec les joueurs, il est posé, calme, toujours à pousser ses coéquipiers vers le haut, sans mot négatif », justifie le sélectionneur, qui en fait son meneur de jeu. S’il peut aussi évoluer dans un registre plus défensif, toujours au milieu, mais aussi en pointe de l’attaque, l’ancien joueur de Central apprécie particulièrement le rôle de n°10. « J’ai une bonne patte gauche et une bonne vision du jeu : si le copain est seul, j’assure le but avec une passe décisive. Si c’est à moi de marquer, je tire. Les gestes techniques ? Je le fais quand c’est dans l’action, après tant mieux si ça amuse le public. Et puis j’aime bien Messi », sourit l’adolescent. Un autre modèle ? « Cristiano Ronaldo, pour son côté travailleur, qui ne lâche pas » : une source d’inspiration idéale pour celui qui concède devoir progresser « dans l’intensité physique ».
Après le tournoi Océanien, qu’il rêve d’achever samedi par une qualification à la Coupe du Monde 2025 organisée au Qatar, Tiahiti Colombani a d’ailleurs prévu de ne prendre que quatre jours de repos. « Mentalement, je suis prêt », pour l’exigence d’un centre de formation, où tout peut s’arrêter du jour au lendemain. « Mais il faut que je continue ma préparation physique, car en France l’intensité et quatre fois plus élevée qu’ici ». Loin de l’inquiéter, cet aspect « donne envie » à ce garçon intelligent et calme, « Il a la tête sur les épaules et il est bien entouré », confirme son sélectionneur.
Aidé par son « mentor » de père dans sa préparation mentale, il est conscient de sa chance : « tous les jeunes d’ici, et même en France, veulent jouer dans cette poule, les U17 Nationaux ». Et après ? « Aller le plus loin possible, et peut-être jouer en Ligue 1 », dit-il, la tête froide.
Sur les traces de Pascal Vahirua
L’ancien international français (22 sélections) connaît bien l’AJ Auxerre pour y avoir joué dix ans (1985-1995), avant d’y entraîner l’équipe de jeunes à l’issue de sa carrière. « Il peut s’attendre à tout là-bas : à des joueurs qui ne le respectent pas, à des étrangers qu’il ne va pas comprendre… À Auxerre, ça bosse énormément, surtout au niveau de la préparation physique ». « Ça n’est pas pour rien qu’il est le capitaine de la sélection. Il est teigneux et exigeant avec lui-même, il bouge énormément sur le terrain et il a un bon pied gauche, meilleur que le mien », souligne l’ex-pro. L’ancien ailier gauche connaît Tiahiti Colombani depuis « deux ou trois ans, puisque je l’ai eu en section sportive, en 4e et en 3e ». Des axes d’amélioration ? « Sa capacité physique », répond-il. « Le monde pro, c’est très difficile », enchaîne celui qui assure « l’avoir préparé dans sa tête » lors d’un échange récent, et qui promet « de l’accompagner », notamment grâce à son réseau à Auxerre. Pour Pascal Vahirua, la clef de la réussite se trouve dans « l’humilité, le respect et le plaisir et ne pas oublier d’où on vient ». « Il y a beaucoup de jeunes qui sont forts ici, plein de gamins ont le potentiel, mais le mental c’est autre chose ». Alors pour le motiver, l’ancienne gloire du club Bourguignon va « titiller » le jeune talent en lui rappelant son palmarès, « la coupe Gambardella », que le capitaine de la sélection U16 pourrait jouer dans un avenir proche et avec les -19 ans, « et la coupe de France » en lui souhaitant de « faire mieux ». « Ça serait bien que d’autres noms de famille réussissent dans ce monde-là », conclut le cousin du seul autre joueur pro issu du fenua, l’emblématique attaquant Marama Vahirua. Lequel était d’ailleurs tout proche de signer, lui aussi, à Auxerre en début de carrière, avant d’opter pour le FC Nantes où il est devenu le fameux « Tahitigoal » de la Ligue 1 des années 2000. |