COFFRE-FORT – Les recettes fiscales supplémentaires liées au rapatriement de comptes depuis l’étranger représentent moins de 1% de l’évasion fiscale chaque année.
L’INFO. A en croire Manuel Valls, c’est à eux que l’on doit la baisse d’impôt annoncée vendredi par le Premier ministre sur Europe 1. Eux, ce sont les centaines, les milliers de Français qui, sous la pression de Bercy, ont consenti à rapatrier leurs comptes en Suisse dans l’Hexagone. Selon Michel Sapin, le ministre des Finances, leur soudaine épiphanie fiscale et citoyenne a permis à l’Etat français d’engranger par moins de 764 millions d’euros de recettes fiscales supplémentaires depuis début 2014. Selon les estimations, la somme ne représente pourtant que moins de 1% du manque à gagner en matière fiscale chaque année.
Entre 40 et 50 milliards de pertes par an… S’il est très compliqué de comptabiliser précisément combien la fraude fiscale coûte chaque année à l’Etat français, ils sont plusieurs à avoir tenté d’estimer cette somme. En 2012, un rapport du Sénat sur le sujet évoquait un coût se situant entre 40 et 50 milliards d’euros de pertes par an.
Parallèlement, les sénateurs de la commission des Finances avaient établi une fourchette large des sommes françaises non déclarées qui pourraient se trouver à l’étranger : selon leur calcul, ce serait ainsi entre 274 et 600 milliards d’euros que les sociétés et les particuliers cacheraient sur des comptes off-shores.
… Et sûrement plus. Pire, de l’aveu même des rédacteurs du rapport, il est très possible que leurs additions ne représentent qu’une estimation basse de ce qui se trouve réellement à l’étranger. “Les informations quantifiées fournies par les administrations publiques françaises en charge de la fraude sont rares, leur réponse aux questions portant sur l’estimation de l’évasion fiscale consistant à… n’en pas fournir”,déploraient alors les élus qui siègent au Palais du Luxembourg.
Plus récemment, la branche Finances publiques du syndicat Solidaires a, elle aussi, tenté de proposer une estimation. Dans un rapport de janvier 2013, l’organisation chiffrait les pertes entre 60 et 80 milliards d’euros chaque année.
Le syndicat allait même plus loin. En s’appuyant que les estimations fournies par la Commission européenne sur l’ampleur de la fraude fiscale dans l’Union européenne, il estimait possible que la fraude française atteigne même les 160 milliards d’euros par an.
Les multinationales coupables. Si on regarde en détail la composition potentielle des pertes estimées, on s’aperçoit que la majorité des fraudes se font au niveau de l’impôt sur les sociétés. Les entreprises, notamment multinationales, utilisent leurs filiales dans les paradis fiscaux pour échapper à l’impôt, notamment au travers des prix de transfert. “Les grands groupes, et notamment ceux du CAC40, disposent de très nombreuses filiales dans les paradis fiscaux. C’est un outil d’opacité qui permet de transférer des bénéfices dans ces territoires qui ont des fiscalités très avantageuse, voire nulle comme à Jersey”, analyse pour Europe1.fr Eric Bocquet, sénateur communiste du Nord en charge du rapport de 2012.
Un récent rapport de la Plateforme Paradis Fiscaux et Juridicaires (PPFJ), un groupement de syndicats et d’ONG dont fait partie Solidaires Finances publiques, rapportait d’ailleurs que toutes les entreprises du CAC40 disposent de filiales dans des paradis fiscaux. En tête des plus présentes dans ces pays : LVMH, BNP Paribas, Kering (futur ex-propriétaire de La Redoute) ou encore Schneider. Selon les calculs opérés par Solidaires Finances publiques, la fraude fiscale liée à l’impôt sur les sociétés génèrerait à elle seule entre 23 et 32 milliards d’euros de pertes par an.
Et les comptes en Suisse ? S’ils représentent la partie émergée de l’iceberg, les riches particuliers français qui cachent leurs argent à l’étranger ne sont donc pas responsables des plus grandes pertes. “On estime le nombre de comptes ouverts à l’étranger à 150.000, commente Eric Bocquet. Mais si on rapporte les 764 millions d’euros de recettes supplémentaires aux 80 milliards estimés de l’évasion fiscale chaque année, ça ne fait que 0,95%. On ne peut pas laisser croire que l’évasion fiscale va se régler naturellement sur la base des repentis qui viendraient régulariser leur situation à Bercy”.
Autre gros morceau de l’évasion fiscale, la fraude à la TVA prend de plus en plus de poids. Très diverse, elle prend une place “croissante et massive”, selon le rapport des sénateurs en 2012. La même année, la Cour des comptes avait estimé que les sommes perdues chaque année pour ce type d’évasion étaient passées de 5,2 à 10 milliards d’euros entre 2000 et 2006. Selon les calculs de Solidaires Finances publiques, elles s’établiraient désormais entre 15 et 19 milliards d’euros par an.
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