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Fret maritime : la passe de Papeete va-t-elle finir par coincer ?

Les nouvelles normes internationales du transport maritime imposent de déployer, d’ici 2025, des cargos plus gros sur la ligne qui dessert la Polynésie depuis l’Europe. Sauf que ces bateaux sont aujourd’hui bloqués par les 12 mètres de profondeur de la passe de Papeete. Son creusement n’étant prévu que pour 2027 faute de finances suffisantes du port, cette ligne directe, qui représente 40% de l’approvisionnement du pays, pourrait être suspendue. Et les temps de livraison au fenua pourraient exploser.

Cela fait partie de ces « serpents de mer » des grands travaux polynésiens, évoqués depuis des années, discutés, annoncés, programmés, et souvent remis à plus tard. Le creusement de la passe de Papeete est défendu avant tout par les agents maritimes qui estiment, depuis longtemps, que le fenua aurait beaucoup à gagner à disposer d’un port accessible aux cargos de plus de 11 mètres de tirant d’eau, la limite que permet actuellement les 12 mètres de la passe. Le quai des cargos, fragile et avec son tirant d’eau maximum de 10,5 mètres est certes encore plus problématique, mais il est sur le point d’être rénové. Car au port autonome, les chantiers s’enchaînent ces temps-ci, avec les travaux du nouveau terminal de croisière qui est bien avancé, la rénovation de quai « au long cours » qui va donc commencer d’ici la fin de l’année, et un nouveau quai des caboteurs qui doit être réalisé dans la foulée… Le creusement de la passe, un temps prévu pour 2020, est bien inscrit dans cette dense programmation. Mais le chantier ne sera pas lancé avant 2026, pour une réalisation probable courant 2027. « C’est un an à un an et demi trop tard » résume un armateur.

Normes internationales « progressives et contraignantes »

Trop tard par rapport à quoi ? Au calendrier fixé par l’organisation maritime internationale qui a engagé, dans la lignée des accords de Paris sur le climat, une stratégie de « décarbonation » du transport maritime. L’objectif est ambitieux : réduire de 40% le bilan carbone du fret mondial d’ici 2030, un effort important et qui doit débuter dès l’année prochaine. La réglementation IMO 2023 prévoit en effet de resserrer chaque année les normes « d’efficacité énergétique » du secteur : en clair, il faudra consommer moins de carburant par conteneur déplacé. « Ce sont des normes très progressives et très contraignantes, rappelle un professionnel, il ne s’agit pas d’essayer de s’y conformer, ou de payer si on n’y arrive pas : si on ne les respecte pas, la ligne ne peut pas être exploitée ». 

« Concrètement, on ne pourra pas garder une ligne directe depuis l’Europe »

Or une desserte vitale de la Polynésie est concernée : le service partant d’Europe pour la côte Est des États-Unis et qui après un passage par Panama, dessert directement la Polynésie, avant de continuer sa route jusqu’à la Nouvelle-Zélande et l’Australie. Cette ligne, exploitée par Marfret et la CMA-CGM, est une des – si ce n’est la – plus longue au monde et elle a la caractéristique d’être exploitée avec des cargos de taille modérée : 2200 à 2300 conteneurs par bateaux. Loin des 10 000 voire des 20 000 « boites » de 20 pieds qui peuvent être transportées sur certains navires. Mais une taille qui leur permet de rentrer dans le port de Papeete, et d’y décharger les 300 conteneurs généralement attendus localement. Et ces déchargements représentent à eux seuls près de 40% de l’approvisionnement maritime du fenua. Or, dans les conditions actuelles, cette ligne, qui dessert aussi la Nouvelle-Calédonie, ne correspondra plus aux normes IMO à la fin de l’année 2025. « Concrètement, on ne pourra pas garder une ligne directe depuis l’Europe » s’inquiète un connaisseur du dossier.

Ralentir, approfondir…

Des solutions existent, bien sûr. La première serait de ralentir les bateaux pour qu’ils consomment moins et rentrent, au moins un temps, dans ces normes évolutives. C’est ce que vont probablement devoir faire certains services en provenance directe de Nouvelle-Zélande ou d’Australie. Sur la ligne de Marfret et de la CMA-CGC, cela ne rajouterait que quatre à cinq jours de plus à la desserte du fenua, mais l’impact serait beaucoup plus fort sur le destinataire final, l’Australie. Or, c’est là que sont débarqués la majeure partie de conteneurs. « Économiquement impossible », ont déjà indiqué les armateurs : ce service serait déserté au profit de ceux qui passent par le canal de Suez et qui sont assurés par des navires de très grande taille. Et la ligne mourrait alors d’elle-même. 

Deuxième solution, faire circuler des navires plus gros. Les cargos de 3600 à 4200 conteneurs, que les armateurs seraient prêts à commander,  consomment en moyenne « 20% de carburant en plus » d’après les compagnies, pour 60 à 90% de capacité de transport supplémentaire. Une efficacité énergétique qui les fait rentrer dans les nouvelles normes… Mais leur tirant d’eau, lui, bloque dans la passe de Papeete. Et pas question de limiter leur chargement, comme c’est le cas pour certains navires qui transitent entre la côte Ouest des États-Unis et l’Australie en passant par le fenua : depuis l’Europe, ce serait « un gouffre financier ».

…ou « feederiser »

Reste la troisième solution, qui sera mise en place, si rien ne change dans le calendrier, dès le début 2026. Finie la desserte directe de la Polynésie depuis l’Europe et la côte Est américaine, la ligne équipée de plus gros bateaux pointera directement vers la Nouvelle-Zélande où tous les conteneurs à destination du fenua seront déchargés. Un transbordement sera alors effectué sur un plus petit bateau qui desservira le fenua, et qui ne tombera pas sous le coup des IMO 2023 vu la longueur de la ligne. Des coûts supplémentaires, bien sûr pour le fret maritime, mais surtout des contraintes logistiques importantes pour beaucoup d’entreprises du pays. Le temps de transit depuis l’Europe passerait de 30 à 52 voire 55 jours minimum, ce qui interroge beaucoup de professionnels – dans l’hôtellerie, notamment – sur les livraisons de produits à date limite de consommation. Qui dit délais de livraison plus longs, dit aussi besoins de fonds de roulement plus importants pour les importateurs. Enfin, cette situation de « feederisation » – un sujet mis sur la table de la présidence dès 2015 par le cluster maritime – consoliderait la dépendance de la Polynésie à un de ses voisins : près de 70% de son fret maritime arriverait alors du « hub » néozélandais.

Le port déjà au bout de ses capacités d’endettement

Des risques sur lesquels les autorités, et notamment le port autonome, ont été déjà interpellés à plusieurs reprises ces derniers mois. Mais le calendrier des travaux dans la passe n’a pas changé. Pas parce que l’approfondissement est, en soit, un gros chantier. Pour gagner entre 1,5 et 3 mètres de profondeur suivant les endroits, il faudrait trois semaines en comptant le temps de curage du quai des cargos. Mais l’opération nécessite de faire venir des barges et engins très spécialisés… Et de disposer de « financements extrêmement importants », comme cela a été expliqué lors du dernier conseil portuaire, le 5 octobre dernier. La direction, qui n’a pas donné suite à nos demandes de précisions, n’a alors pas chiffré directement le chantier, mais le creusement pourrait atteindre le milliard de francs d’après certains professionnels. Or, le port s’est déjà endetté à hauteur de 6 milliards pour financer le terminal de croisière, la rénovation du quai au long-cours et la réalisation du quai des caboteurs n°6… Et il a « atteint le seuil limite de ses capacités d’endettement ». « Sauf recettes supplémentaires, le Port ne pourra mettre en place un nouvel emprunt qu’en 2026 – 2027 », conclut la direction devant le conseil. Du côté des armateurs ont estime que le Pays ou d’autres autorités devraient aider à contourner ce problème de calendrier financier au plus vite pour pouvoir avancer la date des travaux… Et lancer, éventuellement, la commande de nouveaux bateaux.

une pirogue dans la passe de Papeete lors de l’arrivée de Hōkūleʻa et Hikianalia, en juin dernier. ©C.R.

 

 

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1 Commentaire

  1. Jacques Precy
    28 octobre 2022 à 5h58 — Répondre

    Excellent papier, très intéressant

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