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Handicap : l’ergothérapie veut se faire entendre

Maena Algane, Clémence Ory et Karine Dalmat, de l’association Ergothérapie Porinetia, entourent Kahi Kahara, un ancien patient tétraplégique.

Les ergothérapeutes en Polynésie se sont récemment regroupés en association. Ces professionnels paramédicaux, qui interviennent auprès de tous types de porteurs de handicap, demandent à être inclus dans le schéma d’organisation des soins et de la prévention, et plaident pour une prise en charge de l’ergothérapie par l’assurance-maladie.

Des patients qui régressent une fois rentrés au domicile, des prescriptions de matériel médical mal adapté mais très onéreux, des enfants retardés dans leur scolarité faute d’accompagnement… la vingtaine d’ergothérapeutes en exercice au fenua, la plupart au sein de structures de soins – Te Tiare, CHPF (où il n’existe qu’un seul poste d’ergothérapeute), Fraternité chrétienne, Fare Ora Mission notamment – sont aux premières loges du handicap et plaident pour que l’ergothérapie soit mieux mise en œuvre et prise en charge financièrement par la protection sociale. C’est pourquoi Clémence Ory a créé en avril dernier l’association Ergothérapie Porinetia : « Nous souhaitons nous positionner comme force de proposition et ainsi pouvoir dialoguer avec les pouvoirs publics sur les sujets nous concernant, en amont des prises de décision, car nous sommes une profession créative et innovante ! »

L’ergothérapie est une discipline paramédicale de rééducation et de réadaptation qui s’adresse aux porteurs de tous types de handicaps, physiques mais aussi cognitifs. Elle vise à donner la plus grande autonomie possible aux patients, soit en augmentant leurs capacités, soit en compensant leurs incapacités. L’ergothérapie est encore mal connue des jeunes Polynésiens attirés par le secteur paramédical; sa pratique est conditionnée à l’obtention d’un diplôme d’État à l’issue de trois ans d’études en métropole. Les ergothérapeutes effectuent un travail « sur mesure », complémentaire par exemple des soins de kinésithérapie, qui s’intéresse au patient dans son quotidien, et qui a démontré son utilité tant pour les patients eux-mêmes que pour leurs proches, mais qui se heurte à plusieurs freins en Polynésie.

Leur nombre, d’abord : le ratio d’ergothérapeutes par habitant est trois fois moins important au fenua qu’en métropole, alors que les Polynésiens présentent davantage de risques, d’AVC par exemple, l’un des premiers facteurs de perte d’autonomie. La plupart exercent dans des structures fermées, alors que le manque de professionnels est flagrant pour les interventions au domicile, flagrant aussi dans les îles. « Sans le lien qui se fait sur le domicile, on constate souvent une perte des acquis de la rééducation », ce qui signifie aussi davantage de travail pour les aidants, souvent des membres de la famille, explique Karine Dalmat.

Les ergothérapeutes ont également un rôle à jouer auprès d’enfants atteints de troubles de l’apprentissage ou d’autisme, par exemple, pour les aider à suivre une scolarité en milieu ordinaire ou adapté, souligne aussi Maena Algane.

La prise en charge, ensuite : l’ergothérapie n’est pas couverte par l’assurance maladie. Elle ne l’est pas non plus dans l’Hexagone, mais là-bas ce sont les Maisons départementales des personnes handicapées, qui n’ont pas d’équivalent au fenua, qui s’en chargent. Pourtant, dit Clémence Ory, il est possible « d’optimiser les dépenses de santé, parce que la prévention est moins chère que le soin. » Elle cite des cas de retour à domicile avec « une surabondance de matériel souvent inutile, voire délétère pour la personne (…) »

C’est d’autant plus grave que le matériel prescrit par un médecin, même s’il n’est pas totalement adapté, ne peut être modifié avant trois à cinq ans selon les cas. Clémence Ory cite le cas d’un hémiplégique qui ne marchait pas mais qui s’est vu prescrire un déambulateur, ou celui de ce trentenaire tétraplégique qui attend depuis deux ans une commande actionnée par le menton pour son fauteuil roulant électrique : « 350 000 francs pour un fauteuil et il ne peut pas s’en servir. Il y a des gens comme ça qui restent au lit chez eux et tout le monde trouve ça normal. » Un certain nombre de patients, notamment des polyhandicapés, poursuit la présidente de l’association, reviennent de soins en métropole avec du matériel adapté et efficace. Mais lors du renouvellement, « il n’existe aucune modalité efficace de remboursement concernant ce matériel-là. »

Alors que le Pays doit s’atteler à la réforme de la protection sociale, les membres de l’association Ergothérapie Porinetia souhaitent un meilleur accès aux soins pour leurs patients, et « pouvoir être intégrés dans les futurs projets de soins, notamment de prévention et prévention des récidives sur le territoire. » Leurs demandes de rendez-vous avec le ministre de la Santé et la CPS sont pour l’instant restées sans réponse.

« Il a fallu travailler tous les jours »

« Il y a un an et demi, j’ai eu un accident en allant me baigner à la mer, témoigne Kahi Kahara. Je me suis cogné la tête et je suis maintenant tétraplégique incomplet. » Après un mois au CHPF, il est admis à Te Tiare où il reste quatre mois. « L’ergothérapie m’a aidé à retrouver une grande partie de la mobilité de mes mains. Au début ça a été difficile, je ne bougeais presque pas. Il a fallu travailler tous les jours. »

« En rentrant chez moi j’ai eu un choc. Seul à la maison, en montagne, jusqu’à 15 heures… J’ai pété un câble au bout de deux mois, je me sentais inutile, il fallait que je retravaille pour m’en sortir. » Ancien barman aux 3 Brasseurs, ses progrès ont encouragé son employeur à créer un poste adapté pour lui – là aussi, les ergothérapeutes peuvent intervenir pour modifier les postes de travail. Kahi, qui utilise un fauteuil roulant manuel mais peut se mettre debout et marcher un peu, est aujourd’hui en charge de la gestion administrative du bar.

 

 

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