Heremoana Maamaatuaiahutapu s’est interrogé sur l’attitude des spectateurs, peu nombreux à rester dans les gradins de To’ata pendant les prestations de chant, lors des soirées de compétition du Heiva. Un manque de « cohérence », selon le ministre de la Culture, qui pointe que certains thèmes de cette édition dénoncent justement la perte de la culture sous la pression des « étrangers ». « Est ce que nous ne sommes pas aussi les premiers responsables? », questionne l’ancien danseur.
« Que faut-il comprendre ? ». C’est l’interrogation de Heremoana Maamaatuaiahutapu, qui a partagé sa réflexion, samedi matin, sur la soirée de compétition du Heiva de la veille. Le ministre de la Culture note que les gradins de To’ata se sont vidés au moment de l’entrée en scène des groupes de Himene. Alors que les deux groupes de danse faisaient arènes pleines en début et en fin de soirée, Nuna’a Rurutu et Tamarai’i Mahina, les deux formations de chants en compétition ce soir là, on dû se contenter d’un To’ata très clairsemé.
Difficile d’être surpris : à chaque soirée de compétition des centaines de spectateurs profitent du concours de chant pour aller se dégourdir les jambes, se désaltérer ou se sustenter au village du Heiva… Mais comme le pointe le ministre, cet apparent désintérêt se marie mal avec le thème de la prestation du premier groupe de vendredi, Hana pupu ‘ori Tahiti : « Après avoir fortement applaudit le spectacle et les ‘orero accusant les « étrangers » de tous nos maux et de la perte notamment de notre langue et notre culture, que ce soit les missionnaires, les colons, l’école, etc… tout le monde s’est levé pour les himene tumu, dénonce l’ancien danseur, raatira, ‘orero, et chorégraphe. Que faut il comprendre? Les himene tumu ce n’est pas de la culture mais de la sous-culture? Est ce que nous ne sommes pas aussi les premiers responsables? En tous les cas je ne trouve pas cela cohérent du tout ».
Programmation, confort et rapport à la langue
Une réflexion qui a fait réagir sur les réseaux sociaux. Beaucoup expliquent cet exode temporaire du public par une simple question de « timing ». « Certains sont venus voir leur famille et veulent se presser d’aller prendre des photos avec eux à la sortie avant qu’ils retirent leurs grands costumes, observe un habitué. Ça se fait depuis des années et pour tout les groupes du Heiva ». Mais les proches de danseurs du premier groupe « ne sont pas 3000 » dans le public, rétorque le ministre. Il est soutenu, dans sa réflexion, par beaucoup de commentateurs qui proposent purement et simplement d’interdire au public de se lever… Ou plus de façon moins radicale, de « mettre les chants en début de soirée avant les danses » pour éviter qu’ils servent « d’entracte ». « Déjà essayé, c’est pire », répond le Heremoana Maamaatuaiahutapu. Le responsable reconnait tout de même, en réponse à d’autres commentaires que le niveau de confort de la plus grande arène de Polynésie n’aidait pas à rester 4h30 assis d’une traite.
Mais c’est aussi sur le fond de cette désaffection que porte le débat : « Qui met sur un piédestal le otea? Qui fait du himene le petit amuse gueule avant le plat de résistance? (…) C’est vous qui avez marginalisé les himene et aujourd’hui vous vous plaignez de constater le manque d’intérêt de la population pour cette belle discipline polyphonique », dénonce un commentateur. Seule solution, à l’entendre : la suppression de la catégorie Himene pour ramener les chants « au tableau principal ». Autre réflexion largement partagée, le rapport du public à la langue : « sur les 3260 personnes présentes, la moitié ne saura très certainement pas capable d’interpréter le thème et les messages véhiculés », regrette un participant. Parmi les remèdes évoqués : le retour des projections de paroles et de sous-titre sur écran, la promotion du chant « au même titre » que la danse dans la politique culturelle et le renforcement des langues tahitiennes dans les programmes scolaires. Cette dernière revendication est toutefois nuancée par des membres de groupes d’himene : « Le soir de notre prestation, les touristes étaient restés pour nous regarder et nous écouter alors qu’ils ne comprennent rien, et cela depuis que je chante dans un pupu himene, écrit par exemple Danny Ueva pour qui il s’agit surtout d’un manque de respect : « Il faut pas se voiler la face les groupes de chants sont considérés comme une pause cigarette ou pour se raconter des trucs, venez vivre cette expérience vous verrez comment s’est frustrant, désolant, pour le travail qui est fourni ».
Un débat qui n’est pas terminé, donc, mais qui n’a pas encore eu d’impact visible à To’ata. Samedi, pour la dernière soirée de compétition, l’arène, pleine à craquer pour voir Teva i Tai et Hei Tahiti, était en grande partie vide pendant les prestations des groupes Te noa no rotui et Tamanui apato’a no Papara.