Au deuxième jour du procès impliquant quatorze personnes dans un trafic d’ice, le procureur a requis des peines de sept années de prison envers Andrew Smidt et Médéric Tavaearii, tous deux considérés comme les gros poissons de ce trafic. Quant aux autres, les petites mains, des peines allant de 2 mois à 5 ans ont été requises. Le délibéré sera rendu jeudi.
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Si cette deuxième journée de procès n’a pas vraiment permis d’y voir plus clair sur les quantités d’ice réellement importées, ni de savoir qui est vraiment l’organisateur et l’instigateur de ce business florissant, pour autant elle a été riche en enseignements. On s’en doutait bien un peu, on en a la confirmation ce mercredi : derrière les barreaux, les « barons » locaux de l’ice continuent de mener leurs petites affaires à l’aide de complicités internes à leur lieu de détention. Ils donnent des ordres grâce à des smartphones et cartes SIM aimablement fournis par certains matons, ont le pouvoir de faire fouiller les cellules de détenus avec lesquels ils sont en bisbille, et d’un simple coup de fil peuvent faire changer de cellule un de leurs complices pour le mettre là où cela les arrange.
Sans compter les intimidations pour changer des témoignages. Bref, la loi de la rue s’applique aussi entre les quatre murs de la maison d’arrêt. Certains, dont Médéric Tavaearii, ont même des contacts parmi les forces de l’ordre, ce qui fait plutôt désordre. Autre précision, il semblerait que les convoyeurs, enfin quelques uns, lorsqu’il reviennent d’un voyage « shopping » à Hawaii ou Los Angeles, ne débarquent pas à Tahiti avec la drogue sur eux, mais la planquent dans les toilettes de l’avion, et un complice travaillant à l’aéroport – il a été question d’un pompier – récupère plus tard la marchandise.
« J’ai dit aux policiers ce qu’ils voulaient entendre. »
À tout seigneur tout honneur, c’est par l’audition des deux principaux protagonistes de cette affaire de trafic d’ice que la deuxième journée du procès s’est ouverte. Le premier est Andrew Smidt, 51 ans. De taille moyenne, plutôt râblé, il a l’air bonhomme mais ce n’est qu’une façade. Quand une question le dérange, son visage se fige et son regard devient noir charbon, et là on comprend mieux comment cet homme, qui n’a pas spécialement l’air inquiétant, tient ses troupes.
Et des questions dérangeantes, il en a eu son compte. Rien d’étonnant quand on donne quatre versions différentes dans ses dépositions. Là aussi, une constante, à chaque fois qu’une version diffère et que le juge s’enquiert du pourquoi, la réponse tombe, automatique : « j’ai dit aux policiers ce qu’ils voulaient entendre. »
Son curriculum vitae ? Il consomme de l’ice depuis 2015, il a eu deux sociétés, une de construction et l’autre d’aquaculture, et toutes deux ont généré 40 millions de dettes. Un casier qui ne compte qu’une seule condamnation pour des faits de violence, mais aucun passage par la case prison. Autre info non négligeable, il est le cousin de Moerani Marlier, tristement célèbre pour son implication dans l’une des plus grosses affaire d’ice que la Polynésie a connues. « Il me fournissait en ice, mais c’était pour moi, je ne vendais pas, cela ne m’intéressait pas ».
« La fabrication de l’ice m’a toujours intéressé, mais cela ne vaut pas dire que j’en ai fabriqué. »
Interrogé sur les fameuses clouteuses qui servaient, selon la justice, à dissimuler l’ice, « c’était pour les revendre ici », pas plus de mots que nécessaire. Interrogé sur Médéric dont il avait avoué dans une de ses dépositions qu’il lui « faisait peur, il m’a montré des vidéos où il y avait des mecs allongés par terre et sur son ordre, on les voit se faire tabasser » et que « c’est lui qui finance le trafic, c’est lui le chef », à la barre il déclare : « j’ai dit n’importe quoi sous la pression. » Idem pour la combine que lui aurait confiée Médéric de laisser l’ice dans l’avion afin qu’elle soit récupérée par un complice.
Sur ces velléités de monter un labo d’ice, « j’ai acheté une fois celle faite à Tautira, mais elle était dégueulasse et j’ai jamais essayé d’en fabriquer. » Cela malgré plusieurs témoignages qui disent le contraire et bien qu’il aie reconnu devant le juge d’instruction avoir tenté d’en produire, mais « j’ai dit cela car je pensais qu’il allait me faire libérer ». Sur ses empreintes retrouvées sur des paquets d’Actifed et sur des vidéos retrouvés dans l’ordinateur de Marlier, qu’il avait récupéré, où était détaillée la recette de l’ice, « la fabrication de l’ice m’a toujours intéressée, mais cela ne vaut pas dire que j’en ai fabriqué. »
« À ma sortie de prison je vais faire du bénévolat avec Teiva Manutahi pour dire que l’ice c’est pas bien. »
Avec Médéric Tavaerii, 55 ans, et son sourire qui ne quitte pas son visage, c’est à un sérieux client que la justice est confrontée. Il est connu comme le loup blanc dans le milieu de la voyoucratie et aussi de certains politiques comme Cyril Tetuanui, mais aussi, pour son plus grand malheur, de la justice. Il a été condamné à 10 ans de prison en juin 2021, pour une affaire d’ice. La justice le soupçonne de blanchiment d’argent par le biais de fermes perlières (une affaire qui sera jugée prochainement) ou par le car wash tenu par ses enfants dans lequel son nom n’apparaît nulle part ou juste comme employé patenté. Elle le soupçonne surtout d’être « un grand trafiquant », selon le juge. « Avant oui, mais plus maintenant. À ma sortie de prison je vais faire du bénévolat avec Teiva Manutahi (Délégation pour la prévention de la délinquance de la jeunesse, ndlr) pour dire que l’ice c’est pas bien. » Rires étouffés dans l’assistance.
Lui aussi nie tout. Il n’a jamais vendu de l’ice à Smidt, tout juste reconnaît t-il que celui-ci l’a contacté et recruté comme vendeur : « J’ai vendu 50 grammes pour lui et je lui ai rapporté cinq millions. » Sur la combine de l’ice planqué à bord de l’avion, « j’ai jamais dit cela, je ne l’ai jamais conseillé. »
« Si on était au Mexique j’aurais fait exécuter ce titoï pour une bouchée de pain. »
Mais c’est sur d’autres détails que son coté obscur se révèle. Tout d’abord selon ses propres aveux, on apprend qu’il fait la pluie et le beau temps à la maison d’arrêt de Nuutania. Cela lui donne un sentiment de toute-puissance. Une écoute est d’ailleurs assez révélatrice. Alors qu’il s’entretenait au sujet de son fils, lui aussi incarcéré, pour une promesse, selon lui, non tenue du juge des libertés et de la détention, « si on était au Mexique j’aurais fait exécuter ce titoï pour une bouchée de pain. ». Paroles en l’air certes, mais tout de même. Il met aussi des têtes à prix pour 100 000 Fcfp. Pour se faire payer, il suffit de lui ramener une photo de la victime désignée et bien amochée pour toucher la prime. Enfin, moins en rapport avec l’ice mais révélateur de la psyché du bonhomme, il pose des traceurs sur les voitures de ses maîtresses et met aussi des caméras au domicile de l’un des employés du car wash, salon, chambre et toilettes, « parce qu’il arrive tout le temps en retard. »
Sept ans requis contre Andrew Smidt et Médéric Tavaearii
Dans son réquisitoire le procureur fait remarquer que dans cette affaire il y a beaucoup de primo-délinquants et de délinquants chevronnés, « pour certains, c’était pour fumer gratuitement et pour d’autres, l’appât du gain. D’ailleurs on revoit ici d’anciennes têtes. » Il pointe aussi que « certains parmi les prévenus ont un emploi, la tête sur les épaules, et pourtant la lourdeur des peines encourues ne les a pas dissuadés. » Contre Andrew Smidt, estimant que « il a reconnu avoir importé 144 grammes d’ice pour son compte et 400 pour Médéric, et que les écoutes sont éclairantes sur sa tentative de monter un labo clandestin », il réclame une peine de sept ans et la confiscation des biens.
Concernant Médéric Tavaearii, « Tout le monde le consulte pour avoir des infos sur le trafic d’ice, les planques. Il a toujours une liasse de 500 000 Fcfp sur lui, il emploie des hommes de main et possède un carnet de contacts bien fourni – gendarmes, policiers, douaniers – qui lui permettent de mener à bien ses transactions, ou faire la loi en prison. En outre, compte tenu que l’on a des éléments à charge suffisants pour le condamner pour acquisition de stupéfiants, je réclame sept ans de prison avec confiscation des biens. » Quant aux autres, les petits maillons de la chaîne, il a été requis contre eux des peines allant de deux mois avec sursis à cinq ans de prison.
Le délibéré sera rendu jeudi.