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Ils contournent la procédure d’adoption : jusqu’à un an de prison ferme requis

© Florent Collet / Radio 1

Deux couples ont été jugés hier en comparution immédiate hier pour avoir organisé l’adoption d’un bébé avant sa naissance en contournant les règles en la matière. Au lieu de passer par la Direction des solidarités, de la famille et de l’égalité, le père adoptif avait directement déclaré l’enfant à son nom auprès de l’état-civil. Des peines allant jusqu’à un an de prison ferme ont été requises. Le délibéré sera rendu le 25 février.

C’est une affaire bien peu commune qui a été examinée hier par le tribunal correctionnel, très probablement la première a être jugée en comparution immédiate. Ni trafic d’ice, ni violences, agression sexuelle ou vol, mais des faits « d’obtention frauduleuse de document administratif », de « soustraction d’enfant » et de « provocation à l’abandon d’enfant ». Dans le prétoire, les parents biologiques de Hina* : Serge, 52 ans et Séraphine, 20 ans.  Patrick 54 ans, militaire, et Mehdi, 39 ans, installés en Polynésie, ont recueilli l’enfant. Mehdi a coupé le cordon ombilical, lui a donné son premier biberon et son premier bain, mais ce que lui reproche la justice c’est de lui avoir donné son nom. Un raccourci emprunté pour éviter d’utiliser la voie légale en s’adressant à la Direction des solidarités, de la famille et de l’égalité (DSFE) chargée de faire l’intermédiaire entre les parents souhaitant confier leurs enfants, et les adoptants.

Patrick et Mehdi ne l’ignorent pas. Installé depuis 3 ans sur le fenua, ils ont entrepris les démarches auprès de la DSFE pour obtenir son agrément de parents adoptants, première étape d’une adoption dans les règles. Mehdi évoque deux procédures qui se sont soldées par un échec, dont une après le revirement du père. Le rêve d’un enfant s’assombrit, mais une amie de Mehdi propose de l’aider à le réaliser. Elle l’accompagne dans les quartiers sans cacher ses intentions « On ne vient pas pour kidnapper, mais pour fa’a’amu : un don du cœur. » En juin 2020, le centre hospitalier effectue un signalement après que des cartes de visites de Mehdi indiquant son souhait d’adoption soient retrouvées dans les couffins de la maternité. « Je ne l’ai fait qu’une seule fois, je m’en excuse » explique-t-il. En septembre, sa quête trouve enfin un écho favorable à Papara. L’ami d’une amie du couple adoptant loue son appartement un couple qui a déjà donné deux de ses enfants à l’adoption et serait d’accord pour confier celui à naître. Les deux couples se rencontrent le jour même et parviennent à un accord. « Il n’a jamais été question d’argent. Ils nous ont aidés, mais ce n’est pas une histoire de vente », précise le père biologique, alors qu’à l’époque le couple vit sous la menace de voir deux de ses enfants être placés. « La DSFE nous a fait des promesses d’aides qui n’ont pas été suivies alors que si elle avait assuré, on aurait pu acheter un berceau, mais là c’était impossible de joindre les deux bouts avec un troisième enfant », détaille Serge. « Je me suis dit que si je ne pouvais pas tout donner à cet enfant, eux pourraient sûrement donner mieux. »  La mère biologique est bien plus mal à l’aise à la barre. Ses réponses sont confuses. Elle peine à expliquer ses revirements après l’accouchement et son souhait de récupérer l’enfant « J’étais déprimée », concède-t-elle. La procureure peine à obtenir des explications. « Elle n’a pas bien intégré les réponses qu’elle doit nous donner », s’agace finalement la magistrate.

« C’était impossible de ne pas les aider. » 

Responsable de logements des militaires en Polynésie, Patrick peine lui aussi à cacher son inquiétude et à expliquer pourquoi un homme aussi rigoureux et à cheval sur la loi a accepté de la contourner en laissant son conjoint reconnaître l’enfant à l’état-civil. « Tout est allé trop vite », relate-t-il alors que 15 jours se sont écoulés de la première rencontre à la naissance et la récupération de l’enfant. « Je n’ai pas pensé que c’était illégal. C’était émotionnel, ce n’étaient pas des décisions cartésiennes. »

L’émotion n’a pas quitté Mehdi. Ses interventions à la barre sont souvent conclues par des débuts de sanglots. Les frais médicaux, les courses et des avances en liquide ont été payés au couple, mais Mehdi refuse d’y voir une monétisation de l’enfant à venir « Lorsque l’on est passé en ville devant la cathédrale, l’un des enfants de Serge et Séraphine m’a expliqué qu’il y dormait avec ses parents et qu’il était nourri au pain sec par le père Christophe. C’était impossible de ne pas les aider, ce sont aussi les frères et la famille de Hina. »

Le Pays, qui s’est constitué partie civile et demande un million de francs à chacun des deux adoptants, estime  » qu’en détournant la réglementation ils ont jeté le discrédit  et donné l’image qu’il est possible au fenua de faire passer un enfant de main en main sans contrôle. » L’avocate de l’enfant a, de son côté, mis en avant le destin du bébé « sur le papier, à les entendre, c’est joli, mais dans la réalité le bébé a vécu plus de 3 mois de vie tumultueuse » et de rappeler les ruptures subies par l’enfant. Dans un long réquisitoire, la procureure a rappelé toute l’importance d’une bonne tenue de l’état-civil, des règles d’adoption similaires à celle de la métropole lorsqu’il ne concerne pas le fa’a’amu intrafamilial. Elle a par ailleurs balayé d’un revers de la main toute idée que cette affaire termine au tribunal en raison de l’homosexualité du couple et de la nationalité de Mehdi. Elle a fait de ce dernier l’auteur principal de cette affaire et requis 24 mois de prison dont 12 avec sursis à son encontre, 18 mois dont 12 avec sursis contre son conjoint, 6 mois de prison ferme contre le père biologique et 18 mois de prison avec sursis avec la mère. La magistrate a également requis le retrait des droits civiques, civils et familiaux d’une durée de cinq ans pour les 4 prévenus mais aussi celui de l’autorité parentale et l’interdiction d’exercer dans la fonction publique. Des réquisitions sévères pour Me Bennouar, l’avocat des adoptants selon qui le parquet a voulu « faire de cette affaire un exemple. » alors que les deux couples étaient d’accord pour cette adoption.

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Compte tenu de l’heure tardive à laquelle l’audience s’est terminée, les juges ont mis l’affaire en délibéré jusqu’au 25 février.

*prénom d’emprunt