ACTUS LOCALESJUSTICE Incompétents ou malfaisants ? Un couple d’escrocs condamné Pascal Bastianaggi 2020-11-03 03 Nov 2020 Pascal Bastianaggi Avec un couple comme celui jugé ce mardi au tribunal de Papeete, Bernard Madoff, Christophe Rocancourt et autres esthètes de l’arnaque n’ont pas de souci à se faire. Leur titre de « Ballon d’or » de l’escroquerie ne risque pas de leur être retiré. Un couple, sous couvert d’une association à but non lucratif, faisait du courtage de bateaux et l’argent récolté servait à rembourser des dettes, au lieu d’être versé aux propriétaires des bateaux mis en vente. Tous deux ont écopé de deux ans de prison avec sursis et d’une forte amende. Après avoir monté diverses sociétés de réparations nautiques qui n’ont vraisemblablement pas marché, le couple de quinquagénaires installé à la presqu’île s’était mis en tête de monter une association à but non lucratif appelée « Les puces nautiques ». En gros, les personnes désireuses de vendre leur bateau ou du matériel nautique pouvaient les laisser chez eux en dépôt-vente en attendant un éventuel acheteur. Le couple, contrairement au statut d’une association loi de 1901, prélevait sur la vente une commission. Premier accroc aux règles. Un accroc qui aurait pu passer inaperçu si le couple, visiblement aussi incapable de gérer une affaire que d’envoyer un satellite sur orbite, n’empochait pas les sommes tirées des ventes sans que les propriétaires n’en voient la couleur. Cela avec en arrière-pensée l’idée de s’enrichir sans verser le moindre franc au Trésor public, mais aussi de rembourser des dettes passées. Une espèce de système dit de « cavalerie » adapté à la vente de bateaux. Mais d’enrichissement il n’y en eut point, le couple vivant sous une tente sans eau ni commodités. Et avec ce qu’il doit rembourser après son passage à la barre ce mardi, près de 12 millions, il n’est pas près de s’enrichir, sauf à monter une autre anarque un peu mieux élaborée cette fois. Une quinzaine de plaignants Ils étaient une quinzaine de propriétaires de bateaux ou d’acheteurs floués à s’être portés partie civile et une dizaine ce matin dans la salle afin d’assister au procès. Il faut dire que cela fait pour la plupart depuis 2016 qu’ils attendent l’argent de la vente, ou bien le bateau qu’ils ont acheté au couple. « Le 12 décembre 2016, j’ai mis un bateau en dépôt vente à 500 000 Fcfp. Trois mois après, ils me disent que tout compte fait ils vont le garder pour le louer, mais je n’ai jamais vu l’argent. Du coup je vais pour le récupérer et là ils me disent qu’ils l’ont vendu pour 700 000 Fcfp et qu’ils allaient me donner l’argent. Mais à part 50 000 Fcfp, je n’ai rien eu », explique un client dans sa déposition, lue par le juge. À la barre, Heinz, cinquantenaire au teint buriné par le soleil, s’exclame « ça, c’est vrai, j’ai eu ce problème, mais je vais le payer ! » « Cela date de 2016 » lui fait remarquer le juge. « Oui, oui, je vais le rembourser. » Il achète un bateau dont le moteur explose Autre déposition : « J’ai acheté chez eux un bateau 800 000 Fcfp et ils devaient me le livrer. Au bout de deux semaines toujours rien. Le bateau arrive enfin et quand je veux naviguer avec, il ne marche pas. Le moteur avait un problème. Ils récupèrent le bateau, me le ramènent mais il ne fonctionne toujours pas. Un problème d’hélice cette fois, ils le prennent, me le ramènent et là toujours rien. Je décide de changer l’hélice moi-même et il marche. Je vais faire une sortie en mer et là le moteur explose et le bateau commence à prendre feu. Ils reprennent le bateau en me disant qu’ils allaient expertiser le moteur, et depuis rien. Ni bateau, ni argent. » Heinz s’énerve : « Le bateau et le moteur fonctionnaient très bien et je lui ai rendu son bateau et franchement monsieur le juge, je n’ai jamais vu un moteur de bateau exploser. » Autre plainte d’un client qui lui achète un bateau pour 1 500 000 Fcfp. Au bout de quelques temps l’acheteur s’étonne de ne pas avoir le bateau, et Heinz lui explique que le bateau ne lui appartenait pas et qu’il l’avait rendu à son propriétaire. « Je n’ai jamais revu la couleur de mon argent » explique le client. « C’est vrai, je vais le rembourser » reconnait Heinz, qui explique « comme on a eu des vols, on a utilisé l’argent. » « C’était en 2017 » soupire le juge qui questionne, « c’est normal de vendre le bateau de quelqu’un d’autre et de garder l’argent ? » Autre embrouille, un client lui verse 30 000 Fcfp d’arrhes pour réserver un bateau en aluminium en vente à 80 000 Fcfp. Il avait emmené avec lui son propre moteur et un jerrycan d’essence pour l’essayer. Le lendemain alors qu’il revient avec 50 000 Fcpf pour finaliser l’achat, le bateau n’est plus là. Heinz l’avait vendu à un client plus offrant avec le moteur et le jerrycan. « Il devait me ramener mon moteur et le jerrycan et me rembourser les 30 000 fcfp et je n’ai rien vu. » « Vous avez vendu le moteur et gardé l’argent ? » l’interroge le juge. « Non, non, je ne suis pas d’accord. » « Vous avez fait quoi du moteur ? » « Je ne me souviens pas de ce moteur » affirme Heinz qui commence à s’énerver. Les autres témoignages sont tous de cet acabit, avec des sommes dues plus ou moins élevées et des bateaux vendus sans que les propriétaires ne soient au courant et payés. Les acheteurs se retrouvaient ainsi sans la possibilité de naviguer avec leur nouvelle acquisition, faute de papiers. Volonté délibérée d’escroquer ou très mauvaise gestion Pour résumer, un business qui s’apparente à de l’escroquerie à la petite semaine sans vraiment de plan bien défini à l’avance. Une entourloupe à la hauteur de l’intellect des instigateurs qui n’ont pas mis un sou de côté et qui à la limite se retrouvent plus pauvres qu’auparavant, surtout avec ce qu’ils vont avoir à rembourser. Le couple n’était même pas au courant que leur association était en liquidation judiciaire depuis 2017. Volonté délibérée d’escroquer ou simplement très mauvaise gestion, on se pose encore la question. « En fait vous faisiez du courtage et ce type d’activité c’est une entreprise et non une association. Pourquoi faites vous cela sous une association et non une société, pour des raisons fiscales ? » questionne le juge. « Euh non, on ne pensait pas à cela » « Ce n’était pas dans l’idée de frauder ? Une association avec deux membres, vous et votre femme ? » « Non, c’était pour aider les personnes. » Le juge n’en démord pas, « c’était pour éviter de payer des impôts, d’ailleurs pourquoi l’association n’a pas de compte en banque ? C’est celui de madame. » « C’est vrai que l’on devait ouvrir un compte et …. Je ne sais pas. Mais on n’a rien gagné dans cette histoire, on ne s’est pas enrichi », balbutie Heinz. « Ce sont des banqueroutiers d’habitude » La procureure intervient, « leur mode de gestion est effrayant. Ce sont des banqueroutiers d’habitude, ils ne rendront jamais l’argent et il n’y a rien à saisir. Ils travaillent à perte et cela de façon folklorique. Pas de comptabilité, pas de compte en banque au nom de l’association et ils ne savent même pas qu’ils sont en liquidation judiciaire depuis 2017. » Estimant que l’abus de confiance est avéré et que les victimes n’ont jamais vu la couleur de leur argent, elle considère que « leur mauvaise foi est patente et établie » et réclame en répression deux ans avec sursis et l’interdiction définitive de gérer une entreprise. La défense argue de son coté que ses clients « sont courageux mais qu’ils n’ont aucun sens de la gestion. Ils ont été dépassés par les événements. Ils n’ont pas essayé de frauder, ils ne savent même pas combien d’argent ils ont eu. L’argent qu’ils touchaient servaient à payer des créanciers. Depuis qu’ils ont crée cette association, ils n’ont eu que des ennuis. Ils sont dans un engrenage et n’arrivent pas à s’en sortir. (…) Je vous demande d’être le plus clément possible. » « Je suis d’accord, ce qu’on veut c’est rembourser ces personnes » ajoute Heinz. « On ne voulait pas en arriver là. On est désolé pour les victimes » dit sa femme. Après en avoir délibéré, le tribunal a condamné le couple à deux ans de prison avec sursis avec interdiction définitive de diriger une société commerciale ou industrielle et à rembourser au titre de préjudice moral et matériel près de 12 millions à leurs victimes. Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre)Cliquez pour partager sur Twitter(ouvre dans une nouvelle fenêtre)Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre)Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre)