L’Inde continue à pratiquer la stérilisation de femmes à grande échelle. Dans des conditions qui peuvent coûter la vie aux concernées.
Elles pensaient simplement aller se faire opérer pour ne plus avoir d’enfants, mais huit femmes sont mortes dans l’Etat de Chhattisgarh, dans l’est de l’Inde, mardi. Une soixantaine d’autres Indiennes ont dû être hospitalisées après avoir été prises en charge par un programme de stérilisation de masse dans le centre du pays.
« Les signalements faisant état de baisses de tension, de vomissements, et d’autres symptômes se sont multipliés lundi parmi ces femmes, opérées dans le cadre d’une opération du planning familial », a expliqué Sonmani Borah, un responsable administratif du district de Bilaspur. Ces stérilisations de masse ne sont pas exceptionnelles, dans un pays qui pourrait devenir le plus peuplé au monde d’ici vingt ans.
Une méthode contraceptive largement utilisée. Le contrôle des grossesses est un défi important pour l’Inde et ses 1,25 milliard d’habitants. Son taux de fécondité est passé de 4 à 2,50 enfants par femme depuis la fin des années 80, grâce à une politique de planning familial agressive et même controversée. Sous le gouvernement d’Indira Gandhi, dans les années 1975 à 1977, plusieurs scandales de stérilisation forcée ont éclaté. Jusqu’à 1996, l’Etat central appliquait des objectifs chiffrés de contraception. La stérilisation féminine reste aujourd’hui encore la méthode utilisée par un tiers des femmes qui ont recours à la contraception. Dans le monde, une femme stérilisée sur trois est indienne, selon des chiffres publiés par Business Week.
Comment, alors, un tel drame a-t-il pu avoir lieu alors que l’Inde s’est officiellement débarrassée de ses politiques les plus controversées au tournant du millénaire ? En 2012, un rapport de l’ONG Human Right Watch s’inquiétait du phénomène des stérilisations féminines dans le pays. Selon cette enquête, des administrations locales continuent à maintenir des objectifs chiffrés pour ses travailleurs de santé, qui doivent convaincre un certain nombre de femmes d’avoir recours à la stérilisation ou à l’utilisation du stérilet, dans des cas plus rares. L’ONG va jusqu’à parler de « stérilisation coercitive ».
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Des objectifs chiffrés et des pressions pour stériliser. Ce genre de pratique avait à l’époque du rapport lieu dans le Gujarat, un Etat qui ne se situe pas parmi les plus pauvres, dans l’Ouest du pays. Si chaque travailleur de santé ne convainquait pas au moins cinq femmes par an de se faire stériliser, l’officier chargé du projet de développement infantile « nous disait qu’ils allaient réduire notre salaire ou arrêter de nous payer », raconte l’un d’eux à Human Right Watch. Pour arriver à ses fins, avoue Truptibein (nom d’emprunt), « je devait aller continuellement chez les femmes. Parfois, en une semaine, j’allais dix fois chez la même femme ».
Selon les critères de New Dehli, ces travailleurs locaux sont censés délivrer des informations complètes aux femmes pour les convaincre d’avoir recours à la contraception. Mais dans les faits, le discours est souvent parcellaire. Certaines femmes, selon l’ONG, ne se rendent pas compte du caractère définitif de l’opération. Dans d’autres cas, c’est le mari et la belle-mère, gardienne traditionnelle de l’autorité sur sa bru, qui décident pour elle.
Une stérilisation, un cadeau. Pour convaincre les plus réticentes, les autorités locales usent parfois d’arguments de poids et d’incitations alléchantes : une vingtaine d’euros (un peu moins de 1.500 roupies) pour les volontaires du Chhattisgarh, dans un pays où le salaire moyen s’élevait à 3.600 roupies en 2011 (environ 45 euros). La prime à la ligature des trompes est même allée plus loin, dans certains districts. En 2011, le gouvernement du Madhya Pradesh a promis une petite voiture aux foyers ayant recours à la stérilisation féminine. Dans le Rajasthan, les heureuses stériles se voyaient offrir des vélos, de l’éléctroménager, …
Des « camps ». Pour remplir ces objectifs le plus rapidement possible, certaines administrations locales organisent des « camps » de stérilisation, régulièrement dénoncés pour les conditions dans lesquelles sont opérées les femmes. Le magazine américain Business Week rapportait en 2012 ce cas dans l’Etat pauvre du Bihar où des dizaines de femmes ont dû rester à même le sol d’une clinique après leur opération.
Le gouvernement indien central a pourtant publié des directives en 2008 pour éviter ce genre de dérives. Les indications prévoient une trentaine d’opération par semaine. Dans le cas du drame du Chhattisgarh, près de 80 femmes auraient été opérées en cinq heures. Mardi, le principal responsable du secteur de la santé du districtif de Bilaspur, où a eu lieu le drame, a déclaré qu’il « Il n’y a pas eu de négligence. Il s’agit d’un médecin expérimenté. Nous allons enquêter ».