Le Pays peut-il être tenu responsable des inondations provoquées par les crues ? La question se posait ce matin devant le tribunal administratif, à la demande d’une famille dont la maison a pris plusieurs fois l’eau sur les bords de la rivière Afeu. Le rapporteur public a expliqué que la collectivité ne pouvait pas être mise en cause pour les dommages aux biens, sauf en cas de défaut d’entretien d’ouvrages publics… En l’occurrence un mur de sécurisation des berges écroulé depuis des années. Le Pays cherche d’ailleurs à « rationaliser » son action de ce côté, en faisant condamner les propriétaires qui bloquent les servitudes de curage et compliquent l’action des services de l’Équipement.
La saison des pluies arrive doucement sur Tahiti, et pour certains habitants des bords de rivière, c’est aussi le temps des risques et des soucis. Comme cette famille de Papeari qui « vit constamment dans la peur » d’une inondation, et qui était sur les bancs du tribunal administratif ce matin pour pointer du doigt la responsabilité du Pays dans sa situation. Sa maison, ce couple l’a construit entre 2015 et 2016, avec un permis de construire en règle, à proximité des berges de la rivière Afeu. Les ennuis commencent dès l’année suivante : des inondations « jusque dans les chambres » en 2017, puis de nouveau en 2021 et en novembre 2023. « On avait 1,20 mètre d’eau dans la maison », raconte le propriétaire. Forcément des meubles ont été perdus, les boiseries s’en souviennent, et l’humidité s’est durablement installée. D’autres terrains alentour sont régulièrement touchés, mais « pas autant » puisque les maisons sont sur pilotis. Ce que le permis de construire de cette famille « recommandait », mais n’imposait pas en 2015.
Pas responsable des inondations, mais responsable des ouvrages
Mais pourquoi reprocher ces sinistres aux autorités ? Parce qu’à quelques dizaines de mètres en amont de ce terrain, un mur de protection de la berge garantit à certains autres voisins de ne pas être touchés par les crues. Et il pourrait aussi protéger cette famille si le mur n’était pas effondré par endroits, fracturé à d’autres et même ouvert sur 8 mètres après un oubli de « refermer » l’ouvrage. Les riverains sont formels : ce sont les services de l’Équipement qui l’ont construit voilà de longues années. Assez longues pour que l’administration assure dans un premier temps ne pas en être à l’origine. Les témoignages et certains plans officiels montrent le contraire, et le discours officiel a fini par se raviser. Le rapporteur public, qui rappelle en préambule que le Pays qui n’est par principe pas responsable des dégâts sur les terrains privés, estime donc que la collectivité peut bien être mise en cause, dans ce cas précis, pour défaut d’entretien d’un « ouvrage public ».
Mais le magistrat propose aux juges de ne reconnaître que « le préjudice d’anxiété » des propriétaires qui « ne dorment pas » les soirs de pluies, de peur de devoir aller mettre en urgence les enfants à l’abri. S’il est suivi, le Pays devra remettre son mur en état. Le rapporteur rejette en revanche, par manque de justificatifs, leur demande de réparation du préjudice matériel, estimé à 4 millions de francs, sans compter les fonds versés par l’assurance, à une seule reprise en 2023, quand le Pays avait déclaré une situation de catastrophe naturelle sur toute la zone. 200 000 francs au lieu de 4 millions, difficile de dire que le couple est reparti pleinement satisfait du tribunal, même si « l’essentiel est que ce mur soit refait pour qu’on soit protégé ». Et que la décision des juges ne tombera que le 14 janvier.
Le Pays en plein effort de « rationalisation » de sa gestion des rivières
Pas de commentaire du côté de l’administration, si ce n’est que les aménagements de berges représentent un effort et des investissements permanents de la Direction de l’équipement. Une autre affaire audiencée ce mardi donne d’ailleurs un goût des embûches qui peuvent être trouvées sur le terrain. Cette fois, c’est la Polynésie qui est à la manœuvre, pour faire condamner un habitant d’un bord de rivière, du côté de Tiarei, à une contravention de grande voirie. Il lui est reproché d’avoir construit un fare, sans autorisation, sur la partie de son terrain la plus proche du cours d’eau. Or, comme dans beaucoup de vallées et d’embouchures, il existe dans cette zone, le long du domaine public fluvial, des « servitudes de curage » invisibles sur le terrain, mais bien présente au cadastre, sur lesquelles les propriétaires ne peuvent bâtir. L’idée est de laisser le champ libre aux autorités et aux engins de l’Équipement, justement pour assurer l’entretien et l’aménagement des berges.
Le Pays n’a pas toujours fait respecter ces obligations, mais serait, d’après son représentant au tribunal, dans un « grand effort de rationalisation » de sa gestion des rivières et des curages. D’où cette demande de condamnation : le fare en question gêne le passage, et met donc en péril l’entretien du domaine fluvial, et la sécurité de tous les riverains. Le rapporteur public en convient : une amende et une obligation de remise en état sous astreinte sont recommandées. Plusieurs autres procédures de ce type pourraient être transmises par le Pays au tribunal. Ce qui promet aussi beaucoup de contestations du côté des propriétaires.