Le tribunal de commerce a prononcé ce lundi matin la liquidation de la société Interoute, poids lourd presque cinquantenaire des travaux publics polynésiens. La direction, qui dit avoir « sécurisé » des fonds pour payer les indemnités de la centaine de salariés, espère encore des reprises « d’unités » par la concurrence. Pour les autres, le Pays promet des formations, des reconversions… Une situation qui aurait été moins difficile avec une caisse de chômage, pointe Patrick Galenon.
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Mines grises, ce matin, devant le tribunal mixte de commerce. Une poignée de salariés, de représentants syndicaux, et même de sous-traitants de l’entreprise de travaux publics étaient réunis autour du directeur général Heirani Nouveau pour une audience de liquidation. C’est l’entreprise elle-même, créée dans les années 70 et qui est aujourd’hui encore un des poids lourds polynésiens du BTP, qui demandait que soit acté « immédiatement » son dépôt de bilan. Et pour une raison simple : elle n’est aujourd’hui pas en capacité de rembourser les dettes accumulées ni à faire face à ses charges d’exploitation. Interoute, qui avait perdu en 2017 le précieux marché du bitumage des voies de Tahiti au profit de Boyer, s’était beaucoup tourné vers les îles ces dernières années. Un pari « audacieux », mais qui n’a pas payé. Les coûts de déplacement importants dans les archipels, le « contexte concurrentiel exacerbé » dans le secteur, les PGE contractés pendant le Covid et les délais de paiement des donneurs d’ordre toujours plus longs, notamment de la part des services du Pays, l’ont poussé vers une procédure de redressement judiciaire, actée en mai 2022. Un plan de continuation et d’étalement des dettes avait été acté en septembre dernier mais il n’a pas permis de remettre les comptes dans le vert.
La demande de liquidation immédiate serait donc une décision de « responsabilité », explique Me Robin Quinquis. « La trésorerie va pouvoir être mobilisée pour payer les salariés, anticiper sur un certain nombre de choses prioritaires, précise l’avocat de la société. On ne pourra pas le faire dans trois mois : si l’entreprise poursuivait l’activité, elle creuserait le passif de manière irréversible, et ça ne serait pas rendre service ni aux salariés ni aux créanciers… Ça engagerait en plus la responsabilité du gérant. Vous imaginez bien qu’après 50 ans d’exercice dans une entreprise familiale, ça n’est pas une décision prise de gaieté de coeur ».
Les dettes du Pays n’ont pas aidé
À la sortie de la salle d’audience, pas de fausse surprise, donc, et plus de tristesse que d’indignation. Pourtant les doigts s’étaient pointés, ces derniers jours, vers l’administration du Pays, qui doit à Interoute pas moins de 200 millions de francs de crédits pour des chantiers qui ont été lancés. Me Quinquis prend l’exemple de marchés notifiés « en septembre ou octobre 2022, et qui n’ont pas donné lieu à des ordres de service de démarrage et des bons de commande avant mai 2023 ». « Pendant ce temps là la société a été exposée à des frais, sans pouvoir faire face par la suite », précise l’avocat. Mais difficile de faire endosser au Pays l’entière responsabilité de ce dépôt de bilan : « Les difficultés multiples et profondes, reconnait-il. Les dettes du pays n’ont pas, coulé la boite, mais ont tout de même beaucoup participé à l’échec du plan de continuation ».
Plus que de ce « passé », Heirani Nouveau veut surtout parler de « l’avenir du personnel ». « Il y a 100 familles, ce weekend, j’avais des familles en face de moi, avec les enfants… », rappelle le directeur général, qui assure n’avoir jamais failli à payer les salaires en temps et en heure. Et dit avoir « sécurisé » assez de trésorerie pour payer « environ 7 mois de salaires ». De quoi couvrir une bonne partie des préavis, et des indemnités de licenciement :
Le dépôt de bilan devrait aussi peser sur les collectivités : avec cette liquidation, Interoute interrompt « une petite dizaine de chantiers », principalement dans les îles. Des chantiers pour lesquels il faudra trouver de nouveaux prestataires, capables de faire venir les machines adaptées et de trouver de la main d’oeuvre qualifiée… À moins de reprendre celles de la société liquidée.
« Il y en a qui vont se retrouver SDF »
Un administrateur judiciaire doit désormais prendre le contrôle de la société pour procéder aux licenciements, et rembourser les dettes par ordre de priorité (salaires, indemnités, CPS, puis fournisseurs…). Un rachat global par un concurrent, un temps envisagé, semble désormais exclu, mais du côté de l’ex-direction comme de la CSTP-FO, principal syndicat d’Interoute, on espère encore une reprise de certains salariés. Des « unités de production » – notamment des stations de concassage dans les îles, comprenant des engins en état de fonctionner et des salariés formés – pourraient notamment intéresser. Patrick Galenon, présent ce matin au tribunal, dit vouloir se battre pour ses reprises. Les autres salariés devront aller taper à la porte des concurrents d’Interoute, notamment Boyer, ou compter sur le Sefi ou le Pays pour profiter de programmes de formations et de reconversion. Une réunion dans ce sens est prévue avec la ministre du Travail Vannina Crolas. Mais le secrétaire général de FO veut surtout en profiter pour dénoncer le « malheur de la Polynésie française » dans ce genre de situation : « Nous n’avons pas de RSA, pas de caisse de chômage… Je le regrette : si on avait ce fonds pour les salariés licenciés, ils pourraient se retourner pendant quelques mois pour retrouver du travail. Aujourd’hui on est obligé d’aller faire l’aumône auprès du gouvernement pour des formations et tout ça… Mais il y en a qui vont se retrouver SDF ».
À noter que samedi, après avoir rencontré les acteurs du dossier, le président Moetai Brotherson avait aussi annoncé des réformes rapides – sous deux ou trois mois – dans l’administration pour rationaliser les procédures de paiement des prestataires trop longues et trop complexes. Du côté d’Interoute ou de la CSTP-FO, on a entendu ces engagements, mais on doute : « On ne croit que ce qu’on voit », reprend Patrick Galenon.