SCIENCES – L’idée du nouveau film de Christopher Nolan est née dans le cerveau d’un physicien. Mais est-il réaliste pour autant ?
« Inception » vous a fatigué les neurones ? Christopher Nolan récidive avec « Interstellar » qui sort mercredi dans les salles. Le film qui met en scène des astronautes explorant un trou noir pour trouver une remplaçante à la Terre, parle de gravité et de mécanique quantique. Le réalisateur canadien le reconnaît : « moi-même, je ne comprends pas tout ». Rien de plus normal car l’histoire initiale est née dans la tête d’un physicien, Kip Thorne qui a travaillé en collaboration avec Christopher Nolan. Mais malgré son travail pointu de scientifique, « Interstellar » reste de l’ordre du fantasme pour les astronautes d’aujourd’hui.
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Un spécialiste des trous noirs à l’origine du scénario. Si les dialogues du film vous paraissent en partie imbuvables, la faute en est peut-être à … Kip Thorne. Inconnu du grand public, il n’en est pas moins l’un des plus grands spécialistes des trous noirs. À la tête de la prestigieuse chaire Feynman (un grand physicien du 20e siècle) de l’université de Californie, il est le rédacteur originel du scénario d' »Interstellar » : « Ensuite, Christopher et Jonathan Nolan sont entrés dans le projet et l’histoire a beaucoup changé », raconte-t-il à Sciences et Vie. « »Mais ils ont gardé mon exigence de départ : rien dans le film ne doit violer les lois de la physique ».
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Les premières images de film basées sur des équations. Le point de départ explique Kip Thorne à Sciences et Vie : la théorie de la relativité. Interstellar contient donc selon le physicien « les premières images de cinéma basées sur des équations ».
Le scientifique a pour cela intimement collaboré avec Paul Franklin, responsable des effets spéciaux du film. Christopher Nolan voulait, en effet, des images exactes des trous noirs. Kip Thorne s’est cependant confronté à la difficulté de conceptualiser des zones de l’espace que les humains n’ont jamais exploré. Aucun vaisseau spatial n’est en effet jamais entré dans un trou noir. Mais le physicien l’assure : « même lorsqu’il nous a fallu spéculer (…), nous avons utilisé des spéculations scientifiquement correctes ».
Kip Thorne a donc mis en place des équations que des modélisateurs ont ensuite utilisé : « Ils disposent de puissants calculateurs et de techniques de visualisation. En fait, on a pu simuler les trous noirs et l’espace autour d’eux comme dans un laboratoire d’astrophysique », se félicite Kip Thorne.
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Des images « semi-réalistes ». Malgré ce travail consciencieux, « ces images ne sont qu’à demi-réalistes », juge Jean-Pierre Luminet, astrophysicien à l’Observatoire de Paris, interrogé par Europe 1. Spécialiste des trous noirs de renommée mondiale lui aussi, il a été en 1979 le premier à réaliser une simulation numérique d’un trou noir et de son anneau gazeux. C’est donc tout naturellement qu’il a été contacté par l’équipe du film et par Kip Thorne. « Mais j’ai dû lui dire que ses images n’étaient pas tout à fait réalistes », confie-t-il. « Il l’a admis en argumentant que des images réalistes à 100% n’auraient pas été comprises par le grand public », rapporte l’astrophysicien français. Kip Thorne aurait donc volontairement « simplifié » les images d' »Interstellar » et gardé les plus complexes pour un futur article scientifique.
Mais c’est quoi alors la vraie illustration d’un trou noir ? « Le disque de gaz entourant le trou noir tourne à une vitesse proche de celle de la vitesse de la lumière », expose Jean-Pierre Luminet. « Cette rotation provoque une distorsion importante du disque si on l’approche. De plus, un trou noir déforme tellement l’espace proche qu’il provoque des illusions d’optique, au point de faire voir deux anneaux gazeux alors qu’il y en a bien qu’un seul ».
Et l’histoire ? « Pas du tout réaliste ». À quand un vaisseau à la conquête d’un trou noir ? « On en est loin », tempère Jean-Pierre Luminet, « il existe des millions de trous noirs dans notre galaxie mais ils sont à plusieurs millions d’années-lumière de notre Terre. Impossible de s’y rendre pour l’instant « , selon lui.
Et c’est plutôt une bonne nouvelle. S’il existait à proximité de notre système solaire un trou noir, la Terre risquerait de s’y faire engloutir. Rappelons en effet que les trous noirs, qui naissent à partir de la mort des étoiles, sont en quelque sorte les aspirateurs de l’espace.
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Un vaisseau distordu comme un spaghetti. En plus de la distance, il faut prendre en compte les lois de la gravité. C’est pour cette raison que le scénario du film est totalement irréaliste : « Un trou noir ordinaire a une force gravitationnelle si puissante qu’un vaisseau qui tenterait, ne serait-ce que de s’en approcher serait étiré, un peu comme un spaghetti, et donc, déchiqueté ».
Mais Jean-Pierre Luminet ne ferme pas la porte à une éventuelle exploration de trou noir : « il existe des trous noirs ‘géants’, d’un poids de plusieurs millions de Soleil. Ils ont la particularité d’avoir une force gravitationnelle moins forte. Alors, pourquoi pas ? Mais dans notre galaxie, il n’existe qu’un seul trou noir de cette espèce et il est à 30.000 années-lumière de la Terre, une distance infranchissable pour l’instant ».