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Jean-Christophe Bouissou dénonce le « chantage » d’Air Tahiti et menace de créer une nouvelle compagnie

 

CP/archives

Le ton monte entre le Pays et Air Tahiti. La compagnie a renoncé « pour une durée indéterminée«  à l’exploitation de 27 de ses lignes déficitaires. De quoi faire réagir le ministre en charge des transports interinsulaires, Jean-Christophe Bouissou. Considérant la position de Manate Vivish comme un « chantage » aux subventions publiques et comme une « prise d’otage » de la population des petites Îles, il menace de créer « une nouvelle compagnie » domestique. 

« Ils veulent nous mettre le couteau sous la gorge », « nous faire cracher au bassinet »… Les mots sont durs mais parfaitement assumés. Jean-Christophe Bouissou a tenu, ce lundi après-midi, à répondre à Manate Vivish. Après une interview sur Polynésie la 1ere vendredi, le directeur général d’Air Tahiti a confirmé, par communiqué, que la compagnie « renonçait à assurer la desserte » des destinations les plus déficitaires de son réseau, « et ce pour une durée indéterminée ». 26 îles – sans compter Maupiti, qui devrait être desservie par Tahiti Air Charter – sont donc privées de liaisons régulières, sans horizon de reprise. « Nous savons à quel point cela va mettre les populations de ces îles en difficulté et c’est un déchirement pour nous (…) mais il en va de la survie de notre compagnie », assure le dirigeant. La surprise est loin d’être totale : depuis près de deux mois, Manate Vivish ne cesse de prévenir que la situation post-Covid d’Air Tahiti ne lui « permet plus » d’assurer cette exploitation.  Et multiplie les appels au soutien financier du gouvernement, à qui la compagnie demande des compensations pour « service public de désenclavement » depuis des années.

Une « prise en otage » des habitants de îles

Mais cette nouvelle sortie, plus ferme, plus tranchée, du dirigeant, est celle de trop. Jean-Christophe Bouissou, qui avait jusque-là évité le bras de fer public. Le ministre en charge notamment des transports interinsulaires a tenu à dénoncer « la pratique utilisée par Air Tahiti » et son directeur. À savoir un « chantage » qui serait destiné à obtenir des subventions publiques. Et une « prise en otage de la population » des îles non desservies, comme de l’économie de la Polynésie, « à un moment où il y a un besoin de relance, de reprise d’activité et une nécessité de pouvoir se mouvoir« .

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Des propos tenus « au nom du gouvernement » et qui ont été « présentés en conseil des ministres ce matin », insiste le membre de l’exécutif.

Manate Vivish « convoqué » et accusé d’avoir rompu ses engagements

À l’entendre, cette « décision parfaitement unilatérale » d’Air Tahiti est en contradiction avec « ses engagements ». Le ministre précise avoir reçu « il y a quelques semaines » le directeur général d’Air Tahiti Manate Vivsh et le président de son conseil d’administration, James Estall. Les trois responsables auraient alors convenu d’un plan de reprise progressive de l’activité, « dans tout le réseau et tous les archipels ». D’après le ministre, il s’agissait d’assurer « une continuité » du service de transport, même si tous les vols ne pouvaient pas reprendre à la fréquence d’avant-crise, manque de recettes touristiques oblige.

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« Il n’a jamais été question d’arrêter l’activité des Twin Otter » insiste au passage Jean-Christophe Bouissou. Cet arrêt avait pourtant été confirmé, pour ce qui est des vols Inter-Marquises le 17 mai par communiqué. Trois jours plus tard, Manate Vivish avait évoqué la non-reprise d’autres lignes lors d’une visite de l’aéroport de Faa’a où le ministre était lui-même présent. Les deux hommes devraient mettre les choses au clair avant le départ du gouvernement aux Marquises jeudi, un déplacement au cours duquel la desserte de Ua Pou et Ua Huka aurait quoiqu’il arrive été évoquée. Et cette « convocation«  pourrait d’ailleurs contenter le directeur général d’Air Tahiti : vendredi il disait être en attente d’un rendez-vous avec le ministre pour parler du financement des lignes déficitaires.

Tour de table, montée au capital… Ou création d’une compagnie concurrente

Quoi quil en soit Jean-Christophe Bouissou entend bien  » demander à Manate Vivish qu’il vienne avec des solutions ». Et en met lui-même quelques-unes sur la table. Pas question de sortir des clous de la « procédure » :  le ministre rappelle que la Polynésie « n’est pas une banque et ne consent pas de crédits » et assure que « le Pays ne verse pas de subventions à des sociétés privées ». Mais le fait est qu’Air Tahiti, compagnie privée, dont la Polynésie ne détient directement que 14%, pourrait avoir des besoins de trésorerie importants : « Je sais qu’Air Tahiti sera en difficulté en fin d’année, avec un déficit de l’ordre de 5 milliards de francs, et avec le capital actuel qui est de 2,4 milliards de francs elle sera obligée de recapitaliser », détaille-t-il. Une opération à laquelle le Pays se dit « prêt à participer », mais prévient : si les autres actionnaires ne mettaient pas la main au pot à hauteur de leur participation dans la compagnie, la contribution du Pays devrait prendre la forme d’une montée en capital. Et qui dit plus de parts, dit plus de poids dans les décisions.

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Des options « pour passer cette période difficile financièrement », donc. Mais aux propositions s’ajoutent une menace : « S’il n’y pas de solutions apportées par Air Tahiti à ses obligations de service public, je me verrai contraint de proposer au gouvernement la création d’une nouvelle compagnie », pointe Jean-Christophe Bouissou. Une création qui pourrait passer par un « tour de table » de différents partenaires, dont Air Tahiti Nui, et qui aurait pour vocation de se positionner sur toutes les lignes du réseau.

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Une solution « extrême », « de dernier recours », qui « posera la question de l’avenir d’Air Tahiti », comme le relève lui-même Jean-Christophe Bouissou. Ça n’est pas la première fois qu’est évoquée l’arrivée d’un concurrent dans la desserte domestique. Fin 2019, Islands Airlines annonçait un lancement sur une quinzaine de destination dès la fin 2020. La crise du coronavirus est passée par là, et le ministre en charge des transports interinsulaires dit n’avoir « pas d’autres informations pour l’instant » sur le projet porté par l’homme d’affaires Bill Ravel.

Pour l’instant, donc, le discours est tourné vers Manate Vivish et Air Tahiti : « Ça n’est pas la peine de courir à droite à gauche, de passer des coups de téléphone », insiste Jean-Christophe Bouissou, qui assure avoir le soutien de tout le gouvernement dans cette démarche. Pas question non plus d’endosser le costume du méchant dans ce bras de fer jusqu’à aujourd’hui plutôt sourd : « Il ne s’agit pas de mettre en difficulté le personnel d’Air Tahiti, précise le ministre. Notre souhait c’est de garantir la pérennité des emplois et du service sur l’ensemble du réseau ».

Quatre ans sans délégation de service public

S’il évoque des pistes pour faire « passer le cap » de la crise à Air Tahiti, Jean-Christophe Bouissou ne répond pas à la demande récurrente de Manate Vivish, sur le financement des lignes déficitaires. Dès 2016, pourtant, une loi de Pays prévoyait la création d’une réelle délégation de service publique qui fixerait les obligations des deux partie. Aucune délibération d’application n’a été soumise au vote depuis lors. La mise en application de cette loi serait toujours à l’ordre du jour, d’après le ministre : « Nous sommes en train de mettre ça en place, répond-il succinctement. Nous sommes prêts sur les textes, mais cela nécessite aussi la création d’un fonds ». En attendant, d’après le ministre, une réduction des fréquences vers les petites îles suffirait à limiter les pertes pour Air Tahiti, le temps que le niveau d’activité revienne à la normale. Le responsable rappelle que la compagnie dégage depuis longtemps des résultats « très bénéficiaires » : « entre 1,2 et 1,3 milliards de francs en 2019 » et « plus de 900 millions de francs » en 2018, « avant charges exceptionnelles ». Et avant la crise du Covid-19, donc.