Jérémy Picard avait rangé le kimono en 2015 après une grave blessure au dos. Malgré cette paralysie partielle, il est retourné sur les tatamis l’an passé pour préparer les Jeux. Avant d’être à nouveau freiné par une rare maladie neurologique. Contre l’avis des spécialistes, le Tahitien a poursuivi sa préparation, parfois au point d’en « pleurer » : il en a récolté les fruits cette semaine à Honiara, d’où il repart avec deux médailles, dont l’or chez les +100 kilos.
Le sport aime les belles histoires, faites de déceptions, de succès, de douleurs et de retours. Celle de Jérémy Picard en fait partie. A 33 ans, le judoka de Tefana, longtemps licencié au club de Manu Ura, vient de décrocher deux médailles aux Jeux du Pacifique : l’or chez les +100 kilos et le bronze en Open. Inimaginable il y a encore quelques mois pour le Tahitien.
Pour comprendre, retour en arrière. Jeune judoka prometteur à la fin des années 2000, son titre aux championnats d’Océanie Junior en 2008 lui ouvre les portes d’une structure de haut niveau en France. Jérémy Picard y réalise « trois grosses saisons », avec trois titres de champions de France universitaire et des sélection en équipe de France. Sous les couleurs tahitiennes, il remporte aussi les Oceania à trois reprises, de 2010 à 2012, et l’or aux Jeux du Pacifique en 2011.
Un dos fragilisé à vie
Tout bascule en 2012. Une blessure « assez grave », lui paralyse une partie du dos. Depuis, il ressent de « grosses douleurs » et n’est plus en mesure d’utiliser toute sa force de traction sur le côté droit. Malgré ce handicap, le Tahitien poursuit sa carrière en Métropole, mais son niveau est logiquement « un peu en-dessous ».
Le judoka se décide alors à rentrer au fenua en 2015. Il a 25 ans et il devient professeur d’EPS, et joueur de rugby au RC Pirae, où son mètre 93 et ses quelques 120 kilos s’intègrent en deuxième ligne de la mêlée. « J’ai quand même fait les Oceania de judo en 2016, mais j’avais trop mal donc j’ai arrêté. Le rugby m’attirait depuis toujours et ça me fait moins mal avec mon handicap au dos », raconte-t-il.
« J’ai travaillé plus qu’il ne le fallait »
Il attendra finalement six ans pour ressortir la ceinture noire. En 2022, la perspective des Oceania Open organisés à Tahiti le pousse à reprendre les combats. Engagé chez les +100 kilos, il remporte le titre pour son retour, à 32 ans. Avec l’idée en tête de retourner aux Jeux du Pacifique en 2023, douze ans après l’or décroché à Nouméa.
Mais en début d’année, rebelote : le sort s’acharne sur le Tahitien. Encore et toujours handicapé par son dos, on lui diagnostique une maladie neurologique rare, le syndrome de Guillain-Barré. Ce trouble peut-être assez grave, puisqu’il entraine une faiblesse musculaire chez les malades, et dans certains cas la paralysie. « Le neurologue m’a dit que je ne pourrais pas participer aux Jeux », organisés quelques mois plus tard, « et qu’il fallait que je travaille pour récupérer ». Mais bien décidé à voir les îles Salomon, l’enseignant de 33 ans se lance dans une course contre la montre… et contre la douleur. « J’ai travaillé plus qu’il ne le fallait avec des grosses séances de kiné, qui m’ont fait pleurer ces deniers mois ».
Objectif Tahiti 2027… avec 20 kilos de moins
Des larmes de douleurs qu’il vient donc de convertir en un « torrent d’émotions ». Lundi à Honiara, il est allé chercher l’or « au mental » au terme d’un très long combat contre le Calédonien Teva Gouriou, qui l’avait battu en Open aux Jeux de 2011. « Avec la préparation que j’ai eu, je ne savais pas que j’étais capable d’aller chercher cette médaille d’or », souligne celui qui a aussi décroché le bronze le lendemain en Open.
Aujourd’hui, il se dit « fatigué », il a « mal partout ». Mais pas lassé par la douleur pour autant, puisqu’il aimerait aussi être de la partie pour les Jeux de Tahiti, en 2027. « Je vais me fixer le petit défi de passer dans la catégorie des -100 kilos. Ce qui va me demander de perdre une vingtaine de kilos ».
Un effort supplémentaire pour le grand gaillard, qui était « à plus de 140 kilos dernièrement ». Mais pour ce fan absolu de Kosei Inoué « ça serait vraiment un kiff de participer en -100, car c’est la catégorie que je préfère : elle inspire la puissance physique qu’il y a chez les +100 tout en y ajoutant de la tonicité et de la vitesse. C’est un judo magnifique ». Si son corps le laisse tranquille, il a désormais tout son temps pour s’y préparer sereinement.