Neuf mois après l’annonce du rachat par la Brasserie de Tahiti de l’Hyper U Pirae et du Happy Market de Faa’a, l’Autorité de la concurrence a définitivement autorisé l’opération, qui concerne aussi un projet de supermarché à Moorea. Le groupe de Jean-Pierre Fourcade, déjà un poids lourd de l’industrie, de l’importation, de l’hôtellerie ou l’immobilier, a tout de même dû prendre l’engagement de ne pas favoriser ses produits en rayon, ou de ne pas vendre plus cher à ses concurrents, notamment en matière de boissons. Le secteur de la grande distribution reste quoiqu’il arrive largement dominé par le groupe Wane, relève l’APC.
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La Brasserie de Tahiti, navire-amiral du groupe Martin, avait signé, dès le mois de mars, des conventions pour la prise de contrôle exclusive du Hyper U Pirae et du Happy Market de Faa’a. Les salariés avaient été informés – leur intégration dans un des plus grands groupes économiques du fenua avait d’ailleurs été bien accueillie -, les détails de la cession réglés. Restait une étape cruciale pour boucler le projet : la validation par l’Autorité polynésienne de la concurrence, toujours vigilante en matière de grandes surfaces.
Et de la surface, il y en a dans cette opération : 4 094 mètres carrés pour l’Hyper U Pirae, 1 764 autres pour Happy Market Faa’a. Le groupe présidé par Jean-Pierre Fourcade, qui était jusque là resté en dehors du secteur de la grande distribution, y entre donc par la grande porte : 15 à 30 % des parts de marchés entre Mahina et Punaauia. Un acteur de poids, donc, mais qui est très loin de pouvoir faire de l’ombre au groupe Wane qui conservera 55 à 75% du marché sur cette zone de chalandise, qui est légèrement différente en fonction du nouveau magasin étudié.
Sodispo et la Brapac s’inquiètent
Pas de risque « d’atteinte à la concurrence horizontale », donc, pour l’APC, qui rappelle toutefois que c’est par sa concentration verticale que le groupe Martin pourrait poser problème. La Brasserie de Tahiti, c’est bien sûr une place prépondérante dans la production et la distribution de bières (80 à 90% du marché local, avec, entre autres, Hinano), de sodas (80 à 90% de parts de marché, avec Coca-Cola, Sprite, Orangina…), d’eau minérale (40 à 50% sur les eaux plates), et de jus de fruits (65 à 75% du marché avec Jus de fruits de Moorea), mais c’est aussi un poids lourd de l’importation, avec Morgan Vernex (alimentaire, hygiène, confiserie, épicerie…), de l’hôtellerie (Pearl Resorts), du vêtement, des produits industriels, de l’imprimerie (STP – Multipress, racheté par la SCP Emar, autre entité du groupe Martin), ou de l’immobilier. Aussi, certains concurrents de la Brasserie ont exprimé leurs inquiétudes quant à de possibles verrouillages de marché. Le groupe pourrait, selon eux, réduire l’approvisionnement de ses deux nouveaux magasins en produits concurrents aux siens, ou augmenter le prix de ses propres produits auprès des autres supermarchés. Et pour étayer leur crainte, les concurrents ont fourni à l’APC des exemples concrets : Sodispo explique que sa marque San Pellegrino a été « déréférencée » des hôtels intégrés dans le groupe brasserie au profit de la San Benedetto, distribuée par le groupe. La Brapac, elle, dénonce un recul de 40 à 95% de ses ventes auprès des Pearl Beach depuis leur rachat par le groupe de Jean-Pierre Fourcade en 2017.
Trois engagements validés par l’Autorités
Face à ces préoccupations, en partie partagées par l’APC, la Brasserie a donc pris les devants, et proposé, « sans que cela ne vaille reconnaissance du bien-fondé » des inquiétudes de ces concurrents, des « engagements » quand à la gestion de sa nouvelle position sur le marché. Le groupe promet ainsi de cloisonner ses activités, en créant une filiale à part pour gérer son hypermarché et son supermarché, et dans laquelle les cadres seront « sensibilisés et formés » au respect du droit de la concurrence. Il s’engage en outre à maintenir « les mêmes conditions de vente » de ses boissons à ses nouveaux magasins, « sauf alignement sur celles appliquées à des enseignes concurrentes ». Enfin, BDT assure qu’Hyper U Pirae et Happy Market Faa’a réserveront « une part minimum de leurs linéaires fond de rayons de boissons concernées aux fournisseurs concurrents », toujours sur la base des pratiques pré-existantes. Des engagements pris pour 5 ans, contrôlables par un mandataire désigné et prorogeables par l’APC.
Si ces propositions et notamment le cloisonnement des activités, ne satisfont pas pleinement les concurrents, l’Autorité de la concurrence s’en contente : l’achat des deux magasins a été autorisé, sous réserves de respect, par la Brasserie, de ses propres engagements.
Un troisième magasin à Moorea
Outre l’Hyper U Pirae et le Happy Market Faa’a, le groupe Martin a aussi racheté, aux propriétaires de ce dernier magasin, un terrain et un projet de supermarché à Moorea. Un projet déjà validé par l’Autorité de la Concurrence, qui visait début 2022 une surface de 790 mètres carrés sous enseigne Happy Market situé au PK 5,4, côté montagne, à Teavaro. L’Autorité ne voit rien à redire au transfert de ce projet à la Brasserie, qui mettra donc, au passage de ces opérations, un pied dans la grande distribution de l’île sœur. Mais le groupe ne sera pas seul sur ce marché très prisé : en plus du Champion Moorea existant (et exploité par le groupe Wane), un magasin Auchan a aussi été autorisé près des quais de Vaiare et un Painapo market est en projet dans la même « zone de chalandise ». « Le futur magasin Happy Market pourrait être le premier des projets autorisés à entrer en exploitation pour concurrencer le magasin Champion situé à proximité immédiate », relève l’APC. |