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La dernière clouterie de France reste à la pointe

Creil (AFP) – « Ici on travaille dans le gras, dans l’huile, dans le froid »: dans l’Oise, l’entreprise Rivierre, dernière clouterie de France, semble figée dans la révolution industrielle du 19e siècle. Mais elle résiste au temps, en misant sur le haut de gamme.

Le coeur de l’entreprise bat au fond d’un vieux bâtiment de briques rouges, dans une zone industrielle de Creil, au rythme frénétique des percussions des machines frappant la tête des clous, fabriqués en continu à partir de fils d’acier étirés. Une technique inventée par le fondateur de l’usine en 1888, Théodore Rivierre.

Les 325 machines de la salle, toutes construites entre 1895 et 1925, forment un immense orchestre de fonte et d’acier, au milieu duquel se déplacent quelques « cols bleus » veillant sur ces vénérables instruments.

Pour mieux les distinguer, les machines ont été crayées de prénoms féminins un brin désuets: Antoinette, Bécassine, Francine, Huguette…

« C’est des vieilles dames et je m’entends bien avec », plaisante près d’un poêle à charbon Emidio Nogueira, qui a parfois « l’impression de travailler à une autre époque ».

« A 10-20 mètres, un opérateur est capable d’entendre un problème sur une machine, malgré le bruit », explique Paulino Nogueira, le chef d’équipe.

Les deux frères quinquagénaires sont des anciens de l’industrie automobile, recrutés pour leur solide expérience en mécanique. Ils ne regrettent pas leur choix, malgré le vacarme, les relents d’huile, le froid mordant l’hiver et la fournaise l’été.

« Ici c’est de la mécanique pure, il faut inventer tous les jours. Si une pièce casse, il faut la fabriquer nous-mêmes », explique Emidio. « C’est valorisant, on peut voir le fonctionnement des machines, la qualité de notre travail », ajoute Paulino.

– Jusqu’en Nouvelle-Zélande –

La qualité, et surtout la spécificité des 2.800 types de clous Rivierre font qu’ils sont aujourd’hui recherchés et exportés dans le monde entier, de l’Europe à l’Amérique du Nord, jusqu’en Australie et Nouvelle-Zélande. L’usine produit quelques centaines de millions de clous par an.

« Plus de 50% de notre chiffre d’affaires est réalisé à l’export, dans une trentaine de pays » et les ventes annuelles augmentent de plus de 10% depuis 3-4 ans, déclare Luc Kemp, le directeur de l’usine, avec une pointe de fierté.

La disparition des quincailleries rurales a fait perdre à la clouterie ses distributeurs d’antan. Mais l’entreprise s’est mise à la vente en ligne, en français, anglais et italien, qui représente déjà 10% de ses ventes.  

A côté de ses principaux débouchés, la cordonnerie et la tapisserie, l’entreprise produit des clous spéciaux pour de nombreux marchés de niche, pour se démarquer de la concurrence asiatique: coutellerie, tonnellerie, maroquinerie de luxe, jouets en bois, chaises de bistrot en rotin, clous légers pour le balisage en forêt…

Alain Cartier, tapissier d’ameublement et de décoration dans l’Oise, est un client inconditionnel des clous Rivierre appelés « semences ». « Elles ont une section carrée, ce qui permet de les maintenir avec précision, dans la continuité de mon index », explique-t-il. Et contrairement aux agrafes, « elles s’enlèvent assez facilement quand on veut dégarnir un siège sans l’abîmer ».

Des clous Rivierre servent aussi à rénover des monuments historiques, comme la citadelle Vauban de Besançon ou le château de Chantilly, ou pour la construction navale en bois, comme celle de la réplique de l’Hermione, la frégate qui emmena La Fayette en Amérique. 

Depuis son classement en tant qu' »Entreprise du patrimoine vivant » en 2007, la clouterie s’est ouverte aux visiteurs. Portée par l’essor du tourisme industriel et la vogue du « made in France », elle en accueille aujourd’hui 5.000 par an.

En plus d’une reconnaissance externe du savoir-faire de l’entreprise, l’admiration des visiteurs est aussi « valorisante » pour ses 18 salariés, dont la moyenne d’âge tourne autour de 53-54 ans, selon M. Kemp. 

Un patrimoine qui commence aussi à attirer des tournages pour la télévision et le cinéma: une séquence du film « Les Anarchistes » d’Elie Wajeman, sorti en 2015, a été tournée sur place.

Dans l'Oise, l'entreprise Rivierre - dernière clouterie de France - résiste au temps en misant sur le haut de gamme. © AFP

© AFP Martin BUREAU
Dans l’Oise, l’entreprise Rivierre – dernière clouterie de France – résiste au temps en misant sur le haut de gamme

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