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La difficulté d’être un père en détention

Ce jeudi le tribunal a eu affaire à un dossier banal au premier abord mais qui, par la personnalité borderline du prévenu et la détresse dans laquelle il se trouvait, a mis en avant une épineuse question. Comment nouer des relations avec son enfant lorsque l’on a été un père plus absent que présent, errant entre prison et domicile familial ?

On parle souvent de la difficulté pour un détenu de se réinsérer dans la vie active et dans la société. Mais il est un autre aspect autrement plus délicat. Comment un père de famille qui a jonglé continuellement entre de longues périodes d’emprisonnement et de courts moments de liberté peut regagner la confiance de son enfant et jouer pleinement son rôle de père. Un père qui n’en a que le nom. Un étranger pour son propre fils.

« Tu n’es pas mon papa »

Les faits sont simples. Une tante donne à son neveu, 5 ans au moment des faits, un plat de poisson en lui disant de le mettre au frigo. Il rentre dans la chambre parentale et balance le poisson sur le lit où se trouvent ses parents. Le père se lève et lui donne une tape sur l’épaule en le réprimandant. « Tu n’es pas mon papa » répond le garçon. Sa compagne se met soudainement à injurier le père, le frapper au visage et, de rage, se taper la tête contre les murs. C’est ce qu’elle dit dans sa déposition, précisant que lui n’a jamais levé la main sur elle et l’enfant depuis qu’ils sont ensemble.

Emmenée en pleine crise de nerf au CHPF par les pompiers, à l’arrivée aux urgences elle refuse que l’enfant reste avec son père et veut le confier à sa famille. Le père ne veut pas et le ton monte au point que les gendarmes interviennent. Ils embarquent l’homme et trouveront sur lui deux sticks de paka. C’est pour cela qu’il est à présent dans le box des accusés. Il a été extrait de prison où il purge une peine pour l’une de ses nombreuses affaires de vols, de violences et de stupéfiants. Son casier judiciaire en est rempli.

La violence à fleur de peau

La quarantaine, il a le physique de celui qui a passé une bonne partie de sa vie à arpenter les salles de musculation des centres de détention. Petit, puissamment bâti, il a le visage taillé à la serpe semblable à celui des amérindiens des westerns de l’âge d’or hollywoodien. Il émane de sa personne une violence et une force physique contre lesquelles l’escorte de gendarmerie et le box des accusés semblent des protections illusoires. Mais plus que tout c’est son regard qui impressionne. On est loin des yeux revolver et du regard qui tue, plus proche de celui qui « explose et éparpille façon puzzle ».

Il trépigne, il fixe du regard sa femme et sa respiration saccadée et amplifiée par la sono le fait ressembler à un taureau prêt à charger. Soudain il explose et ne maîtrise plus rien. Il crie : « Tout ça c’est à cause de la drogue qui circule dans le quartier, m’sieur le juge. Avant c’était moi le boss et y avait que du paka, maintenant ils vendent de l’ice au bord de la route (…) Mon beau-père vend de l’ice et mon fils en voit toute la journée à la maison. »

Sa déclaration devient incompréhensible. Il passe de la lamentation au désespoir, puis à la colère. La haine lui déforme le visage. Il se tord les mains, ferme les poings, empoigne le col de son t-shirt, le tire, il s’agite à tel point que les gendarmes l’entourent et précautionneusement, comme des démineurs devant un paquet de TNT instable, tentent de le ramener à la raison. Ils y arrivent. Soulagement dans la salle.

Le juge reprend la parole : « qui contrôle votre quartier et la vente d’ice maintenant ? » « Son père » dit-il en pointant du doigt sa femme.

Pour la procureure, si l’homme est un voleur, un vendeur de paka, c’est aussi « un homme très malheureux. On peut le comprendre, mais une telle colère ! » Elle demande trois mois ferme. A noter qu’il purge plusieurs peines de prison. Il n’en sortira pas avant trois ans.

« Vous êtes un étranger pour votre fils. »

Le juge le condamnera à deux mois ferme, mais avant que l’accusé ne reparte entre les gendarmes il tient à lui parler. « Vous savez, si vous êtes un père absent c’est avant tout de votre faute (….) La difficulté avec votre fils je la comprends, mais mettez-vous à sa place. Vous êtes un étranger pour lui. Il ne vous voit jamais et quand il vous voit vous êtes dans le lit de sa mère. » L’homme accuse le coup, le juge poursuit : « Écrivez-lui car vous savez, quand il sera ado ce sera encore plus dur. Vous savez, on éduque les enfants par l’exemple, pour lui vous vous devez d’être un père propre. » Et de conclure, « je vous condamne pour le paka, pas pour la tape. »

 

 

 

 

 

 

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