Alors que Nouméa connaissait une nuit de violences, les députés ont débattu, jusqu’après minuit, du projet de loi constitutionnelle prévoyant l’élargissement du corps électoral calédonien. Un texte qualifié « d’impératif démocratique » par le gouvernement central et soutenu par la majorité présidentielle, la droite et l’extrême-droite. L’opposition de gauche le voit en revanche comme un projet « incendiaire » et accusé Gérald Darmanin et Emmanuel Macron de « passer en force » au risque de mettre en péril quarante ans de paix sur le Caillou. À Tahiti, Moetai Brotherson a exprimé son soutien à tous les habitants du Caillou, engagé la représentation nationale à « bien mesurer » sa décision, et proposé sa médiation.
Tandis que les habitants de Nouméa se réveillaient dans les odeurs de brûlé – pour ceux qui ont pu dormir – l’Assemblée nationale débattait encore du texte qui a mis le feu aux poudres. Le projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral provincial a occupé les discussions jusqu’à minuit passé dans l’hémicycle du Palais Bourbon. Sans réellement faire bouger les divisions partisanes, connues d’avance. Pour le gouvernement central, soutenu par la droite et l’extrême-droite de l’Assemblée, ce texte, qui va ouvrir le droit de vote aux élections des assemblées de province et du Congrès aux résidents de plus de 10 ans, est un « impératif démocratique ».
« Il faut accepter que la démocratie s’exprime et pas les coups de haches ni les tirs à balles réelles »
« Il n’est pas seulement une volonté politique, c’est une obligation morale pour ceux qui croient en la démocratie », a insisté le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin à la tribune de l’Assemblée nationale. L’exécutif avait, depuis longtemps, annoncé qu’il prendrait les devants sur la question de l’élargissement du corps électoral – et de la fin du « gel » acté en 2007 – si aucun accord n’était trouvé entre les parties calédoniennes. Mais « ce texte n’empêche nullement la main tendue pour un accord politique plus large » a insisté le ministre, précisant que cet accord, s’il intervient avant novembre 2024, sera appliqué lors des élections provinciales programmées le 15 décembre. Et qui « ne seront plus décalées ».
Le dégel du corps électoral pour les seules élections provinciales en Nouvelle-Calédonie n’est pas seulement une volonté politique, c’est une obligation morale pour ceux qui croient en la démocratie. Ce texte n’empêche nullement la main tendue à toutes les parties pour un accord… pic.twitter.com/6C3D5HgRFs
— Gérald DARMANIN (@GDarmanin) May 13, 2024
Mais pourquoi discuter quand on a déjà obtenu gain de cause ? C’est en substance, la question posée par les députés d’opposition, qui notent que, loin de la culture du consensus qui domine depuis les accords de Matignon (1988) et de Nouméa (1998), le projet n’a avancé qu’avec le seul soutien des Loyalistes. Les élus pro-France, dont le rapporteur du texte Nicolas Metzdorf, avaient certes demandé une période d’intégration sur les listes provinciales plus courtes (3 ans de résidence dans certaines discussions), mais ils se satisfont largement de cette ouverture demandée depuis de longues années. Le député calédonien a été applaudi en début de séance quand il adressé son soutien « aux gendarmes et policiers » blessés pendant la nuit d’émeutes calédoniennes qui n’étaient alors pas encore finie, « à ceux qui résistent, qui ont passé la nuit enfermés chez eux, à qui on a demandé de ne pas réagir », aux « entrepreneurs qui ont tout perdu cette nuit », ou encore « au peuple indépendantiste kanak qui malgré son opposition à ce texte n’a pas souhaité la violence. »
Les partis indépendantistes, eux, n’ont jamais réellement accepté le principe de l’intégration des non-natifs. C’était d’ailleurs le message du vote, par la maigre majorité indépendantiste du Congrès calédonien ce weekend, d’une résolution demandant son retrait. D’après un rapport du Sénat le projet devrait intégrer sur les listes plus de 12 000 natifs et plus de 13 000 non-natifs de Calédonie, soit un apport de plus de 14% d’électeurs aux prochaines provinciales qui confèreront sans doute une majorité confortable aux loyalistes. Mais sans ce dégel, pointe Gérald Darmanin, le corps électoral, qui n’accepte que les citoyens inscrits avant 1998, n’aurait fait que fondre. « Peut-être que c’est ce que veut la France insoumise, une élection sans électeurs, a ironisé le ministre. Il faut accepter que la démocratie s’exprime et pas les coups de haches ni les tirs à balles réelles. »
Projet « incendiaire » dénoncé à gauche
La réflexion, en tout début de séance, a sans surprise échauffé les esprits au Palais Bourbon. La députée LFI Mathilde Panot a accusé le ministre de l’Intérieur en retour de n’avoir que faire du maintien de la paix civile « précieuse et fragile » en Nouvelle-Calédonie. Elle estime que le « passage en force » de Paris sur le troisième référendum de 2021 a abouti à son boycott par le FLNKS, à la rupture des discussions sur l’avenir institutionnel, et aux tensions actuelles. Et que le camp d’Emmanuel Macron continuait dans une voie qui ne peut mener qu’à des évènements dramatiques. « Vous manquez au rôle d’impartialité de l’État qui commande à minima de ne pas prendre parti pour un camp. Le principe d’impartialité commande à l’Etat de créer les conditions du dialogue et du consensus, pas de passer en force constamment. » Dans la soirée, le chef de file des Insoumis Jean-Luc Mélenchon, qui n’est pas député, a accusé le gouvernement de ne pas comprendre « l’histoire des peuples de la Grande Terre et des îles Loyauté », de jouer « avec les allumettes en méprisant les Kanaks et l’esprit des accords de Nouméa ». « La Calédonie Kanaky est en feu. L’œuvre de Tjibaou et Lafleur et 30 ans de paix civile ne doivent pas être ruinées. La solution ce n’est pas les renforts de troupes. C’est l’abandon du projet incendiaire et le retour à la patience du dialogue. »
Monsieur le Ministre de l’Intérieur, vous êtes un provocateur.
Ce projet de loi menace la paix civile en Nouvelle-Calédonie 🇳🇨
Cette paix est précieuse et fragile et il est de notre responsabilité de la préserver. pic.twitter.com/7mwzp94mSZ
— Mathilde Panot (@MathildePanot) May 13, 2024
Les groupes de gauche, ainsi que le groupe centriste LIOT, se sont ainsi rassemblés pour voter une motion préalable de rejet du texte présentée par le PS. Sans succès, face au centre et la droite de l’hémicycle. Parmi les opposants à la loi constitutionnelle, on retrouve aussi le groupe GDR, où siègent les trois députés polynésiens. Et Tematai Le Gayic a plusieurs fois pris la parole pendant cette séance. À l’entendre, cet « accord unilatéral » ne répond en rien aux demandes et aspirations de « cette moitié de la population qui sont nés pour être libres et indépendants », qui sont « fiers d’être Kanak ». Le jeune parlementaire indépendantiste s’est plus tard inquiété du fait que beaucoup de députés, « qui devront bientôt s’exprimer sur l’avenir de mon pays », ne jugent pas les « peuples premiers et les peuples autochtones légitimes » dans ce débat.
Un discours aussi relayé par le député guyanais Davy Rimane pour l’ensemble du groupe GDR.
Plus de 220 amendements ayant été déposés sur le texte – tous ceux qui ont été étudiés ont été systématiquement rejetés – les débats n’ont pas pu aboutir dans la nuit et devraient reprendre mardi soir à Paris. Après le vote solennel de l’Assemblée, le Sénat est normalement saisi du texte qu’il doit voter dans les mêmes termes pour faire avancer la réforme constitutionnelle. Un parcours législatif qui pourrait toutefois être suspendu si les partis indépendantistes Kanak accepte l’appel au retour à la table des négociations lancé par Emmanuel Macron.
Les loyalistes calédoniens condamnent les violences, par Les Nouvelles Calédoniennes
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Moetai Brotherson propose sa médiation
À Tahiti, le président du Pays a enregistré une séquence de quelques minutes sur sa page Facebook à l’attention de « nos frères de Kanaky Nouvelle-Calédonie » après avoir visionné les « terribles images » des troubles sur place. Il a tenu à les assurer de son « soutien moral » face aux événements « malheureusement prévisibles », mais « qui auraient pu être évités ». Il a engagé la représentation nationale à faire preuve de « sagesse » et à « bien mesurer » ce qu’elle va décider. Sans le nommer, il souligne la responsabilité de Gérald Darmanin et se demande si le pilotage de ce dossier ne devrait pas revenir à Matignon, comme ce fut le cas de Michel Rocard à Édouard Philippe. Enfin, si besoin, il propose sa médiation pour aider à la reprise du dialogue. |