Les promoteurs et financeurs réunis vendredi et samedi au Salon de l’immobilier et de l’investissement qui se tenait à l’hôtel Hilton oscillent entre confiance et inquiétude. Lenteurs administratives et incertitude fiscale, mais aussi indivision qui limite la disponibilité du foncier, coûts de financement et de réalisation en hausse, ont en réalité à peine diminué l’appétit des Polynésiens pour la pierre, qui reste la valeur refuge de référence.
Par besoin de se loger ou de placer son épargne, il y a en Polynésie française une demande globale de l’ordre de 15 000 logements par an, et chaque année 1 000 nouvelles demandes s’y rajoutent. Des demandes que le secteur peine à satisfaire pour différentes raisons.
Jean-Luc Cholet, dirigeant de Demeures de Tahiti qui développe des programmes principalement à Papeete, Arue et Punaauia, estime que le frein majeur est la très lente délivrance des permis de construire. La Direction de la construction et de l’aménagement ne parvient pas à faire face à l’afflux de dossiers.
« C’est compréhensible, reprend-il, puisqu’il n’y a pas si longtemps les taux d’intérêt étaient bas, les gens voulaient investir dans une valeur refuge qui est la pierre, et ils se sont mis à acheter des terrains et des appartements à un rythme beaucoup plus soutenu. Après la crise Covid on pensait que ça allait redescendre, mais au contraire les gens ont de plus en plus investi dans l’immobilier. Donc nous, on a augmenté les cadences, mais ça n’a pas suivi au niveau de l’administration. »
Lenteur de l’administration : « Un immeuble va mettre quatre, cinq ans à sortir »
« Oui, c’est dramatique, renchérit Me Jean-Philippe Pinna, président de la chambre des notaires. S’il y a bien un endroit où le Pays doit mettre des agents, c’est au service de l’urbanisme. Je crois qu’ils sont vraiment en souffrance, ils ne sont pas assez nombreux. Ça veut dire qu’un immeuble va mettre quatre, cinq ans à sortir. »
Une lenteur qui s’ajoute à la rareté du foncier. « C’est encore une fois lié à l’administration, pas de façon forcément volontaire, dit un promoteur. Le meilleur exemple c’est un terrain à Papeete, classiquement il y a 5-6 ans on était sur 100 000 Francs du mètre carré pour des immeubles de 5 ou 6 étages. Le prix a été multiplié par un et demi, voire deux, pour le même nombre d’étages. » La possibilité d’ériger des immeubles de grande hauteur figure à présent, jusqu’à R+8, dans le code de l’aménagement, « mais il faut que la mairie intègre cette autorisation dans son Plan général d’aménagement, dit le professionnel qui estime qu’il faudrait pouvoir construire jusqu’à R+12 pour réellement commencer à résorber la demande de foncier insatisfaite, tout en répondant également à la problématique du stationnement, et il faut aussi que les pompiers puissent intervenir. » Ce qui suppose l’acquisition de matériel de secours plus performant.
« Les indivisaires manquent de sagesse »
Autre facteur à l’œuvre, l’indivision. C’est notamment le cas, dit Jean-Luc Cholet, dans le centre-ville où l’on compte de nombreux immeubles insalubres voire abandonnés. « Il faut savoir que la plupart sont en indivision, c’est très compliqué de racheter ces friches parce que les indivisaires n’arrivent pas à s’entendre sur le prix. On voit dans la pratique que les indivisaires manquent de sagesse. » Les promoteurs se dirigent alors vers des terrains parfois beaucoup plus chers, mais sans indivision, parce que « c’est plus simple ».
Et faute d’entente, ces terrains sont transmis à la génération suivante, et ainsi de suite, rendant encore plus difficile la résolution.
Autre frein, la défiscalisation qui permettrait aux promoteurs de proposer davantage de logements intermédiaires aux primo-acquéreurs. Déjà insuffisants sous l’ancienne mandature, les crédits d’impôt autorisés par le nouveau budget sont en baisse. « On va réessayer cette année, mais clairement, c’est dans ce segment que le manque est le plus important », dit encore le patron de Demeures de Tahiti. Les opérateurs de logements sociaux privés agréés qui devaient faire du logement intermédiaire ont été dépassés par la demande, et les acheteurs sont en fait des personnes qui se constituent un patrimoine.
La spéculation, tractée avant tout par la demande locale
Car c’est bien la demande intérieure qui fait grimper les prix. « Dans la majorité des cas, pour ne pas dire à 100%, les gens qui achètent un appartement pour le mettre en location sont des locaux qui ont reçu de l’argent de leurs parents (…), qui se constituent un patrimoine », dit un autre promoteur. Mais il trouve « inéquitables » les mesures fiscales envisagées par le gouvernement (comme la contribution de solidarité sur le patrimoine immobilier qui doit concerner tout propriétaire de biens d’une valeur vénale de plus de 50 millions de Francs), parce qu’elles reposent uniquement sur les propriétaires et pas sur les locataires.
« Je pense que tout le monde a été traumatisé par cette loi, dit Jean-Philippe Pinna, qui a été faite sans aucune concertation et rééllement en dépit du bon sens. Il faut de la concertation, parce que les solutions existent », notamment l’instauration de prêts à taux zéro, dit-il. Il regrette « la déconnexion par rapport à la réalité » du nouveau gouvernement.
Une nouveauté, le financement participatif
Ces investisseurs locaux limités par une offre insuffisante sont donc tentés de placer leur argent à l’étranger. On voit ainsi des agences locales proposer de l’immobilier à vocation locative à Dubai, ou aux États-Unis où le ticket d’entrée est deux fois moins élevé qu’au fenua, et qui promettent des rendements pouvant atteindre 13%.
Pour pouvoir à la fois continuer de monter des projets en Polynésie et permettre aux petits épargnants de placer leur argent, une nouveauté est apparue : le financement participatif, proposé par exemple par Invest in Pacific, pour constituer les apports en fonds propres que réclament les banques aux promoteurs. Les investisseurs sont rémunérés jusqu’à 8% par an pendant deux ans minimum, à l’issue desquels ils peuvent soit reprendre leur capital et ses intérêts, soit se servir de ces sommes comme apport dans un projet qu’ils auront contribué à financer. « Il n’y a pas de frais d’entrée, les frais sont supportés par le porteur de projet, dit Éric Fagon de Fenua Financement. L’idée c’est de pouvoir participer au développement économique. On n’a pas vocation à financer la totalité du projet, donc on va ensuite travailler avec les banques, en apportant les fonds propres que la banque demande au porteur du projet. Le rendement peut varier, entre 6 et 10%. »
« Ça permet de retenir l’argent dans l’économie locale », dit un promoteur, qui souligne tout de même que malgré la remontée des taux d’intérêt qui a dissuadé une petite partie des investisseurs, les banques locales « jouent le jeu » et soutiennent toujours les programmes élaborés par des « promoteurs expérimentés ».