INTERVIEW E1 – Europe 1 a interrogé Nicolas Vilas, auteur de « Dieu football club », sorti cette semaine chez Hugo Sport.
« Quand je me suis lancé dans ce livre sur la religion et le football, des journalistes, des amis et d’anciens joueurs m’ont dit ‘tu vas galérer. C’est un sujet sensible’. Mais, je pense qu’il faut arrêter de tout vouloir rendre sensible, et notamment la religion. » Journaliste multi-cartes, présentateur notamment de l’émission Tribune foot sur Ma chaîne sport, Nicolas Vilas publie cette semaine « Dieu football club »*, un ouvrage qui se veut objectif et didactique. Après avoir planté le décor (le rappel historique sur la dimension religieuse des clubs est salutaire), l’auteur donne la parole aux acteurs du football, joueurs, entraîneurs, dirigeants, arbitres, sur leur expérience personnelle de la religion dans le football. Europe 1 a interrogé Nicolas Vilas sur ce qu’il retient de cette centaine d’entretiens qui nourrissent un livre passionnant.
« On voit de plus en plus de joueurs manifester leur foi sur les terrains. Est-ce que, selon vous, le fait religieux a gagné du terrain dans le monde du football ?
Aujourd’hui, il n’y a pas plus de religion dans le football qu’il n’y en avait à l’origine. Les premiers jeux de football étaient liés à des pratiques religieuses. La création de nombreux grands clubs de football (comme l’AJ Auxerre en France, par exemple, ndlr) et même de la Fédération française de football (les créateurs de la FFF sont passés par l’Etoile des Deux Lacs, prolongement d’un patronage d’église, ndlr) découle de l’implication d’organisations religieuses. Quant à l’aspect ostentatoire des manifestations religieuses sur les terrains, prières ou célébrations, ça a toujours existé. Mais aujourd’hui, on va davantage remarquer un joueur qui va se prosterner et se tourner vers la Mecque qu’un joueur qui va faire son signe de croix. Peut-être parce que l’aspect multi-religieux de nos sociétés n’a pas encore été intégré par tout le monde, notamment en France.
« Beaucoup de joueurs parlent d' »effet de mode ». Est-ce qu’il existe ?
Il y a plusieurs facteurs qui expliquent pourquoi les joueurs se tournent vers la religion : l’influence de l’environnement, une blessure, la perte d’un proche, un mariage avec une personne d’une autre confession. Il y a plein de phénomènes explicatifs mais bien sûr que l’environnement, quel que soit le secteur d’activité d’ailleurs, influe. Il peut influer sur la pratique religieuse de l’individu mais il peut y avoir aussi le phénomène inverse. Je cite l’exemple de Mohamed Regragui (formé à l’INF Clairefontaine, il a connu une carrière atypique, ndlr), musulman pratiquant qui s’est retrouvé aux Açores, au Portugal, sans mosquée à proximité et sans boucherie halal. Il a arrêté de pratiquer son islam comme il le faisait avant.
En dehors des terrains, les joueurs évoquent de plus en plus leur foi sur les réseaux sociaux, sur Twitter notamment. Quelle est la part de prosélytisme là-dedans ?
On ne peut pas généraliser mais certains courants religieux, comme les évangéliques, assument le prosélytisme comme une mission. C’est assumé également dans certains courants musulmans, mais pas tous. Il y a des joueurs qui vont parler de leur foi avec leurs coéquipiers ou avec d’autres personnes, mais ce ne sont pas forcément des actes prosélytes, assumés comme tels. Souvent, c’est juste de l’échange, tout simplement. Le joueur est pris par sa foi et il a le besoin plus ou moins conscient de vouloir la partager avec les gens autour de lui.
Le Parisien Lucas évoque souvent la religion, notamment sur son compte Instagram :
Une photo publiée par Lucas Moura (@lucas_oficial) le
Le défenseur marseillais Benjamin Mendy a mis une photo de La Mecque sur son Twitter :
Le PSG compte de nombreux joueurs évangéliques convaincus (Thiago Silva, Marquinhos, Lucas), qui donnent une partie de leur (gros) salaire à des Eglises…
Des joueurs évangéliques qui jouent au PSG, propriété du Qatar, et qui reversent 10% de leur salaire : on va donc en conclure que le Qatar finance des Eglises évangéliques. C’est un peu tiré par les cheveux, mais de façon indirecte, c’est vrai. Il y a toujours des personnes qui vont chercher à dénicher une déviance mercantile dans les engagements religieux. Mais ceux qui versent cette dîme ne le perçoivent pas comme tel. Pour eux, c’est une mission, ça fait partie du bon exercice de leur pratique religieuse.
Vous écrivez : « le football, bulle merveilleuse, est un monde d’excès. La foi devient un bouclier pour s’en protéger, ou une arme pour rester sain. » Est-ce que les footballeurs se servent de la religion comme d’une protection contre les excès du monde du football ?
Il y a certains joueurs pour qui, en effet, le fait de plonger dans la religion va être une façon de se protéger de certains excès auxquels ils peuvent être confrontés en tant que footballeurs professionnels (sorties, alcool, argent, etc.). Il y en a auxquels la religion va fournir un cadre mais d’autres croyants n’ont pas forcément besoin de ça. la religion peut être importante également lorsque le joueur met fin à sa carrière. La foi leur évite de se sentir mourir, parce qu’ils peuvent s’accrocher à Dieu. C’est vrai chez les footballeurs, mais c’est aussi valable pour d’autres personnes, la religion peut être une bouée, une délivrance, une protection…
On a le sentiment que la France a mis plus de temps que ses voisins à intégrer le fait religieux ? Que ce soit pour la proposition de viande halal, l’approche du ramadan, etc.
Il y a pas mal de joueurs, et je pense notamment aux musulmans Franck Ribéry, Abou Diaby ou Frédéric Kanouté (photo), qui disent que, quand ils se sont retrouvés à l’étranger (respectivement en Allemagne, en Angleterre et en Espagne, ndlr), les clubs avaient le réflexe, et même la logique, de mettre leurs joueurs dans les meilleures dispositions. Ils savent déjà qui ils recrutent, ils demandent les besoins et ils s’adaptent. Ça ne suscite pas de débat. En France, c’est assez curieux : nous sommes dans une société où l’islam a une part importante car beaucoup de Français aujourd’hui sont musulmans. Mais plus que la laïcité, c’est le laïcisme qui prédomine. Plus que d’affirmer le fait qu’on n’ait pas religion d’Etat, on veut interdire la pratique religieuse dans l’espace public. Ces débats-là sont déjà résolus à l’étranger.
A la lecture des différents témoignages, les différences religieuses ne semblent pas créer de clans ou de tensions particulières au sein des clubs. Est-ce que les vestiaires de football auraient réussi là où la société aurait échoué ?
Même si les clubs français ont effectivement un petit peu de retard par rapport aux clubs européens, le football a finalement beaucoup d’avance sur la société. Les clubs se sont adaptés par rapport au ramadan, aux prières de leurs joueurs, au casher, à la fête juive du Kippour. Il y a une cohabitation entre sport et religion, une mise en place de la pratique religieuse tout en respectant la vie de groupe. Et s’il y a des incidents, comme l’affaire entre Alain Perrin et Rafik Saïfi (l’entraîneur troyen et son joueur s’étaient affrontés sur la question du jeûne en 2000, ndlr), ils amènent le plus souvent à une prise de conscience. Dans les divisions inférieures, il arrive que les joueurs fassent leur prière dans le vestiaire, parfois que les deux équipes la fassent ensemble, que le coup d’envoi de la seconde période soit décalé, mais ça se fait le plus souvent dans un bon état d’esprit. Les incidents sont médiatisés mais on ne parle pas de ce qui se passe bien ni des initiatives locales qui vont dans le sens d’une compréhension entre les religions.
Quel était votre objectif avec ce livre ?
Je n’ai pas la prétention d’apporter des solutions mais des pistes de réflexion, qui ne sont pas suggérées par moi d’ailleurs, mais par les personnes qui témoignent. On est dans l’anticipation, qui est aussi le rôle des politiques. Il y a des questions abordées dans ce livre : le halal, dont on parle aujourd’hui beaucoup pour l’instauration dans les cantines, le casher, le Kippour, le ramadan, mais aussi le port du voile. Ce sont des débats qui sont très prenants et intéressants. Par exemple, sur le port du voile, l’idée était de recueillir l’avis de plusieurs personnes : la FFF, qui est contre et qui entend organiser la Coupe du monde féminine 2019, les joueuses, les éducateurs… Il est important d’avoir un vaste débat sur ces questions, un débat qui dépasse les polémiques.
* »Dieu football club », Nicolas Vilas, Hugo Sport, 208 pages, 16,50 euros.