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La « sextape » d’un proxénète fait tomber un mutoi ripou

Un homme de 39 ans a été condamné à 15 mois de prison, dont 9 ferme, pour proxénétisme aggravé, violences conjugales et consommation de stupéfiants. Il profitait des charmes de sa compagne, addict et sous emprise, qui se prostituait pour obtenir leurs doses d’ice. L’enquête sur ce couple amateur de « chemsex » à plusieurs et de « sextapes » a aussi permis de mettre en lumière le trafic de paka auquel se livrait un mutoi de la côte Ouest, qui profitait d’un marginal. 

À la barre du tribunal correctionnel ce lundi, une jeune femme de 28 ans fait face aux juges pour la seconde fois en deux semaines. Elle comparait libre, sous contrôle judiciaire, à la fois victime et prévenue, dans une affaire qui mêle sexe, trafics de drogue et violences conjugales, sur fond de toxicité amoureuse.

Lors de la première audience, le 26 août, elle s’était présentée assistée du même conseil que son compagnon, Kenny O. extrait de sa détention provisoire à Nuutania. Ce cas déontologique avait suscité le débat et entrainé le renvoi de l’affaire. Cette fois, elle est venue sans robe noire à ses côtés. Lui, comparaît assisté d’un nouveau conseil. Le procureur aussi a changé, comme les assesseurs du tribunal. Dans le box, Kenny O. se tient aux côtés de deux autres prévenus également incarcérés, Anapa P. et Jean-Marc D. Un curieux trio, entre un ancien champion d’arts martiaux connu pour des délits routiers et des faits de violence, un mutoi et son ami d’enfance en difficulté, réunis au même endroit par le croisement de plusieurs dossiers. « Une affaire patchwork », résume le procureur Michel Mazars, où se croisent trois hommes qui ont la particularité commune d’avoir subi des drames familiaux : deux d’entre eux ont perdu un enfant, le troisième se bat pour sauver la vie du sien.

Son état se dégrade, sa famille tire la sonnette d’alarme

L’affaire avait atterri sur le bureau des gendarmes de Papara le 26 juin dernier, apportée par une famille inquiète. La sœur, la mère et le père de la jeune femme avaient décrit avec anxiété la descente aux enfers de celle-ci, depuis qu’elle s’est remise à fréquenter un ancien compagnon, Kenny O. La famille soupçonnait des violences conjugales régulières, expliquant avoir déjà dû intervenir, une addiction à l’ice mais aussi des faits de prostitution pour financer cette consommation. Des allégations motivées par une perte d’emploi soudaine, des traces de violences physiques régulièrement visibles, et par la réception d’une photo envoyée par Kenny O. à la famille, présentant leur fille en plein ébat avec deux hommes. Toutes les déclarations de la famille concordent : « on ne la reconnaît plus », « elle porte souvent des lunettes de soleil », « elle nous a dit être frappée et droguée pour être donnée à des hommes ».

Les gendarmes avaient alors auditionné la jeune femme, qui avait reconnu être violentée et se prostituer pour obtenir de l’ice, pour sa consommation et celle de son compagnon. Des passes effectuées au centre de Papeete, uniquement pour des clients capables de payer directement en métamphétamines. Les forces de l’ordre avaient alors perquisitionné le domicile de Kenny O., découvrant un sachet d’ice, 40 pieds de paka, et plusieurs vidéos personnelles mettant en scène le couple.

« Pas un maquereau », mais un « tyran domestique »

Sommée de s’expliquer la première, la jeune femme, mise en cause pour sa consommation d’ice dans les vidéos, et convoquée comme victime de proxénétisme et de la diffusion de la photo intime, irrite particulièrement le tribunal. Et pour cause, en quatre interrogatoires, auditions comprises, elle a livré quatre versions différentes. Prête à tout pour sauver son compagnon, décrite comme en situation de dépendance affective par les médecins, elle minimise les violences. La capture d’écran intime envoyée par ses parents ? « Je n’étais pas d’accord mais je savais que c’était filmé, on aime bien faire ça quand on est sous ice et sous alcool », dit-elle sans sembler en tenir rigueur à son compagnon. Lui, évoque une vengeance après une dispute : « je voulais montrer à sa famille comment elle était vraiment ». « Il a voulu casser mon image de petite fille », explique-t-elle encore. « On se pose vraiment des questions, vous semblez essayer de le disculper », s’agace la présidente.

Une remarque sans effet, puisque la jeune femme poursuit ses déclarations contradictoires, niant cette fois les faits de prostitution en centre-ville. Elle explique avoir bénéficié de tarifs avantageux auprès d’un « baron de l’ice », avec qui elle a fricoté pendant quelques semaines. « J’ai tiré profit de cette relation, Kenny payait pour nous deux, mais il n’était pas au courant » de la raison desdits tarifs. « C’est sa mère qui a inventé cette histoire de prostitution », ajoute Kenny O, qui reconnaît simplement « avoir profité ensemble de ces prix, 50 000 le demi-gramme ». Pas de doute pour le procureur, s’il ne s’agit « pas d’un maquereau », ces faits sont qualifiables de proxénétisme. « À mon sens, elle est avant tout une victime, mais lui est un tyran domestique, qui profitait du prix de ses passes », juge-t-il.

Le tribunal a finalement reconnu coupable Kenny O. pour les faits de violences, transmissions des images à caractère sexuel, proxénétisme aggravé et consommation de stupéfiants. Il a écopé de 15 mois de prison, dont 6 avec sursis probatoire, une obligation de divers soins et l’interdiction d’entrer en contact avec sa compagne. Celle-ci a été condamnée à 3 mois avec sursis probatoire de 18 mois, avec une obligation de soins, pour les faits de détention de stupéfiants pour consommation personnelle.

Un plan à trois avec un mutoi révèle un juteux trafic

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Lors de la perquisition effectuée chez Kenny O. suite à la plainte de la famille de sa compagne, les gendarmes avaient trouvé plusieurs vidéos à caractère sexuel dans son téléphone. L’une d’elles, un « plan à trois », avait attiré l’attention des enquêteurs, puisque le couple se filmait en plein « chemsex », avec de l’ice à foison et un autre homme, Anapa P., mutoi de son état.

En poussant leurs investigations, les gendarmes avaient fini par découvrir la face cachée de ce policier municipal, père de famille. Il était en réalité le principal bénéficiaire d’une importante culture de paka, dans une cabane familiale perdue sur les hauteurs de Pirae, qu’il prêtait à un ami d’enfance Jean-Marc D., en galère de logement, sans véhicule ni emploi. Connu dans son ancien quartier pour être très habile de ses mains, ce quinquagénaire retombé dans la drogue après une opération consécutive à une tumeur, cultivait pas moins de 221 pieds, à un rythme effréné. La majeure partie du bénéfice arrivait dans les poches du propriétaire des lieux, pourtant loin d’être en difficulté financière.

Lors de son interrogatoire, Anapa P. raconte curieusement être tombé dans l’ice pour donner le change à sa femme, qu’il décrit comme alcoolique. « Je voulais aussi fumer pour faire sortir le mal que j’avais en moi », lié à sa déprime sentimentale. Il assure n’être que consommateur occasionnel et nie totalement les faits de trafic de cannabis. Pourtant mis au pied du mur par les relevés téléphoniques et les déclarations de Jean-Marc D., il jure ne pas être au courant de l’existence de la plantation sur son terrain de Pirae. « Je voulais aider un ami en l’hébergeant mais je n’ai pas pensé qu’il allait planter quoi que ce soit ».

De son côté, le cultivateur assure qu’il reversait 50 000 francs par semaine au mutoi. Pour le procureur, ces pieds « ont bien été produits sur instruction d’un policier municipal, qui a bafoué la confiance que les citoyens placent envers les forces de l’ordre ». Reconnu coupable de trafic, Anapa P. reste en prison : il a été condamné à 12 mois dont six avec sursis simple, à une amende de 300 000 francs et à une interdiction d’exercer dans la fonction publique pendant trois ans. Jean-Marc D. est de son côté libre, puisqu’il a été condamné à 12 mois de prison avec sursis simple.