Quatrième chapitre de notre série sur la concurrence. Outil de protection de l’industrie polynésienne et donc de milliers d’emplois, la taxe de développement local (TDL) apparaît comme un facteur de renchérissement du coût de la vie et d’appauvrissement de la concurrence, selon les conclusions de l’avis de l’Autorité polynésienne de la concurrence sur les mécanismes d’importation et de distribution rendu public vendredi dernier. Retour sur quelques idées reçues et les scénarios envisagés.
Introduite en 1998, la Taxe de développement local a pour objet de taxer des produits importés qui seraient directement concurrents de produits fabriqués localement. Une taxe, destinée à dissuader les importations ou les rendre moins compétitives, qui frappe par exemple des produits aussi divers que le papier hygiénique, les jus de fruits ou encore le punu pua’atoro avec des taux compris entre 9 et 82%.
Haro sur la TDL
Dans son avis, l’Autorité polynésienne de la concurrence développe longuement les effets néfastes de la controversée TDL, à savoir qu’une telle protection de quelques entreprises locales conduit entre autres à la constitution de « situations de rente locale », au « découragement des investissements », à l’absence d’incitation à l’amélioration de la performance et de l’innovation, ou encore à une hausse artificielle des prix de vente. Un constat qui n’est pas nouveau puisque déjà opéré dans une étude de 2009 commandée par le ministère de l’Économie de l’époque, et dans un rapport de l’APF de 2011 sur les prix et les marges.
Si l’APC reprend ces constats déjà connus, l’avis dévie par la suite sur les bénéfices qu’en tirent les grands groupes qui, « grâce aux marges générées par les produits protégés par la TDL (…) sont plus à même de développer de nouvelles activités » avec pourtant « une assise financière suffisante pour survivre à une ouverture relative des marchés à la concurrence étrangère ».Un discours qui semble viser sans la nommer le groupe Brasserie de Tahiti comme en témoigne un chapitre sur « une illustration des effets des protections : le marché de la bière ». Un tableau noirci encore plus par l’existence d’une procédure d’instauration de la TDL simplement basée sur la capacité des entreprises à faire valider le taux et les produits concernés auprès de la Direction générale des affaires économiques. Cette affirmation fait passer le service du Pays pour une simple chambre d’enregistrement, soumise au bon vouloir des entreprises à protéger, sans expliquer pourquoi elles ne sont alors pas plus nombreuses à solliciter ce service pour faire taxer les concurrents…
Néfaste ou inoffensive ?
Une taxe au mille maux donc, qui contribuerait au renchérissement de la vie, d’autant que « la sauvegarde de l’emploi local n’est pas démontrée ». Pourtant, selon l’autorité, le seul constat possible est que l’effet global sur les prix est « limité à moins de 1% », ceci étant « lié au fait que la TDL a pour effet de dissuader les importations ». Parallèlement, l’étude relève que « moins de 4% des positions douanières » sont concernées et que la TDL permet de protéger prés de « 5 % de l’emploi salarié en Polynésie française ». Des chiffres sur lesquels l’APC émet de sérieux doutes, les estimant tantôt surévalués, tantôt sous-évalués, et qui ne la dissuadent pas de proposer un ambitieux scénario alternatif de redéploiement de l’économie.
Pour un big bang économique
En effet, à partir du constat que « la protection est légitime et rationnelle si elle est, dès le départ, temporaire », l’argumentaire déployé par l’APC vise à supprimer un outil économique coupable de participer à l’augmentation du coût de la vie, et surtout à légitimer une réaffectation des emplois qui sont protégés dans des secteurs peu efficaces.
L’avis recommande donc un big bang de l’économie polynésienne. L’APC conclut en effet que « mettre fin à la protection pour ce type d’industrie créerait une situation transitoire où des activités et donc des emplois seraient détruits à court terme, (…) et, à moyen terme, permettrait une réallocation des ressources vers des emplois plus efficaces », citant ainsi les secteurs capables d’affronter la concurrence internationale à savoir « l’industrie touristique, la perle et produits dérivés du tiare Tahiti (mono’i), voire les produits culturels polynésiens, ainsi que les services à la personne ».
Pour l’APC, la Polynésie dispose d’un « avantage compétitif » indéniable sur ces secteurs. Les milliers d’emplois perdus dans l’industrie et l’artisanat (la TDL touche les pareu et autres tifaifai importés) à la suite de la suppression de la taxe seront ainsi recréés dans d’autres industries et services, pourtant en proie à quelques difficultés selon les chiffres de l’ISPF. Un pari osé, compte tenu de l’extrême fragilité et de la petitesse des secteurs concernés, les effets positifs mis en avant par l’autorité étant par ailleurs plus présumés que réellement quantifiés.
Pas de grande réforme à l’horizon pour le gouvernement
Cette révolution n’est semble-t-il pas à l’ordre du jour. Lors de son discours d’ouverture de la session budgétaire le 19 septembre dernier, soit la veille de la parution de l’avis, Édouard Fritch évoquait la réforme de la TDL comme un « vaste chantier », attendu qu’il est « impératif de préserver l’emploi local, et (…) il est fondamental d’améliorer le pouvoir d’achat des Polynésiens ». Mais le président du Pays n’évoquait alors que la suppression du champ de taxation de positions douanières pour lesquelles il n’existait plus de production locale et la simple révision de quelques taux appliqués dans le secteur des boissons et de l’emballage. Un vaste chantier qui n’est donc in fine qu’un toilettage partiel sans préoccupation de la concurrence. Concurrence, un mot qui n’a été prononcé qu’une fois au détour d’une phrase par le président dans son discours.