L’assemblée de la Polynésie française a voté ce mardi matin la suppression de la Contribution pour la solidarité au 1er octobre. Une décision de « justice sociale » et une promesse de campagne remplie pour le gouvernement et le Tavini. Une mesure « démagogique » mal préparée pour le Tapura, qui regrette le manque de réponse du gouvernement sur la baisse des prix envisagée et sur les nouvelles recettes à trouver pour sauvegarder la protection sociale.
La présidence l’avait annoncé, Tarahoi l’a fait. L’assemblée a voté ce matin le retrait de la Contribution pour la solidarité (CPS, dite aussi « TVA sociale ») le 1er octobre prochain, un peu plus d’un an et demi après son entrée en vigueur. Une suppression qui ne s’est toutefois pas faite sans débat et sans questions. L’opposition Tapura, qui s’est abstenue sur le texte, s’est à plusieurs reprises interrogée sur l’objectif réel de ce retrait. L’exposé des motifs de la loi du Pays est clair : « Dans un contexte mondial marqué par une forte inflation, le prix des biens et des prestations de services a considérablement augmenté en Polynésie française, impactant le pouvoir d’achat des ménages polynésiens, y lit-on. L’application de la CPS à chaque stade des opérations, associée à son absence de déductibilité par les acteurs économiques, participe à cette augmentation des prix ». La désarmer, ce serait donc rendre du pouvoir d’achat, une mesure de « justice sociale » et « d’équité fiscale » saluée par la majorité Tavini au travers du député Tematai Le Gayic. Et pourtant, personne, du côté des élus bleu ciel ou de l’exécutif, ne semble vouloir s’aventurer à garantir – et encore moins à chiffrer – la baisse de prix découlant de cette suppression prévue pour dans deux mois.
Baisse des prix : « Je ne suis pas Madame Soleil »
Comme le pointe le Tapura, les acteurs économiques sont eux-mêmes restés très prudents sur ces des baisses de prix ces dernières semaines. Et le ministre des Finances, Tevaiti Pomare, avait lui-même émis des doutes sur la question en commission. « Oui, ça aura un impact, a assuré ce matin Moetai Brotherson. Mais vous dire aujourd’hui si ça baissera de 15% ou de X% le coût du panier de la ménagère, je ne suis pas Madame Soleil non plus ». Le président du Pays assure vouloir « faire confiance » au « patriotisme économique » des entreprises, industriels et autres acteurs économiques pour répercuter ce désarmement sur les tickets de caisse. Et pour ne pas en profiter pour gonfler – ou reconstituer – leurs marges, ce que rien, dans la loi, ne leur interdit.
Édouard Fritch, lui, doute à haute voix. L’ancien président ne regrette « absolument pas » la mise en place de la taxe qui selon lui a sauvé les régimes sociaux de la cessation de paiement et donc le pays « d’un désastre social ». Une affirmation difficile à tenir vu les résultats fiscaux de 2022, certes peu prévisibles en début d’année dernière. Le chef de file autonomiste assure quoiqu’il en soit que la suppression de la « CPS » n’aura pas d’autres conséquences pour les consommateurs que de « voir une ligne disparaitre sur leur ticket de caisse ». Et une ligne « qui peut valoir zéro » pointe-t-il, égrainant une liste de courses composée uniquement de PPN, produits non assujettis à la TVA sociale. Ce retrait, plus rapide que ce qu’avait conseillé, pendant la campagne, Tony Géros, ou que ce qu’avait été un temps envisagé Moetai Brotherson, serait donc « plutôt brusque, pour ne pas dire précipité, plus démagogique que réaliste, limite imprudent », juge Tepuaraurii Teriitahi. Mais l’ex-présidente de groupe Tapura interpelle surtout sur une autre question : celle des recettes de remplacement. « 2023, on tape dans le budget, mais 2024, 2025 et autre… Comment on va compenser le déficit de la CPS ? » s’interroge la représentante.
« Écouter le peuple » et réformer la PSG en 2024
La suppression de la taxe représenterait un manque à gagner de 2,56 milliards de francs entre octobre et décembre 2023. De ce côté là, c’est le budget du Pays, largement excédentaire l’année dernière grâce aux recettes fiscales gonflées par l’inflation, qui alimentera le fonds dédié à la PSG créé en même temps que la TVA sociale. Moetai Brotherson a laissé entendre que le même mécanisme serait mis en place en 2024, cette fois pour environ 8 milliards de francs de recettes perdues. Le temps pour le gouvernement de tenir le « débat de fond », et de mener les réformes « qui n’ont été terminées par aucun autre » exécutif : celles du financement de la PSG et de la fiscalité polynésienne. « Aucune création ou suppression de taxe ne règlera le problème », insiste l’élu Tavini, qui, pour autant interroge : « Faut-il se priver d’une mesure qui répond à l’aspiration de la population et à une logique économique ? ». Car pour le chef du gouvernement, le retrait de la TVA sociale répond avant tout à un impératif démocratique : « À un moment donné, quand on gouverne, je crois qu’il faut écouter son peuple, c’est assez simple à vrai dire, pointe Moetai Brotherson. Et le peuple, dans sa très grande majorité, dès le départ, n’a pas voulu de cette taxe. Et par le biais de ses représentants autrefois dans l’opposition, a essayé de vous faire entendre sa voix. Mais vous n’avez pas voulu écouter le peuple, et aujourd’hui, vous êtes dans la minorité ».
« Pas de remplacement dans l’immédiat », donc, et peu d’indications sur les futures réformes fiscales, liées à la réforme de la PSG. Le président attend pour ça les missions des inspections générales de l’administration, des services et des affaires sociales, commandées à Paris, et qui devraient être menées d’ici la fin de l’année. De quoi « aiguiller » des choix déjà largement étudiés sous l’ancienne mandature. Moetai Brotherson se réfère aussi à son programme de campagne : la CST doit être révisée, avec de possibles déplafonnements, des révisions de taux, et une augmentation globale de la contribution des revenus supérieurs à 600 000 francs. Le cap : « Faire payer plus à ceux qui le peuvent et préserver ceux qui ne peuvent pas payer ». Du côté du Tapura, on a fait ses calculs : pour compenser la TVA sociale, il faudrait au moins doubler les recettes de la CST.
Lagarde, Colbert… et Facebook
Dans son intervention au nom du Tapura, et pour justifier l’attachement du groupe à la Contribution pour la solidarité, Tepuaraurii Teriitahi a invoqué Christine Lagarde. « Les impôts à assiette large et taux faible sont jugés plus efficaces économiquement que des impôts a assiette étroite et taux élevé », aurait écrit, en 2008, l’ancienne ministre de l’Économie, passée par la présidence du FMI et aujourd’hui à la tête de la Banque centrale européenne. La citation, en fait issue d’un document d’orientation sur la politique fiscale française réalisée sous la responsabilité de l’ex-ministre, n’a pas manqué de faire réagir sur les bancs du Tavini. Tematai Le Gayic a associé cette référence aux tendances « libérales », ou « macronistes » du Tapura. Moetai Brotherson, l’a lui comparé à une autre citation, « dans la même veine », attribuée à Colbert. « Sire, taxons les pauvres, ils sont tellement plus nombreux », aurait conseillé le « ministre des Finances » de Louis XIV à son roi vers la fin du XVIIe siècle. « Sauf qu’ici aujourd’hui, c’est pas Colbert, c’est Pomare et c’est pas Louis XIV, c’est Brotherson », sourit le président du Pays, en insistant sur la nécessité « d’écouter son peuple ». Une leçon de démocratie basée sur une fausse citation, rendue populaire par de nombreuses publications virales sur Facebook ces dix dernières années. Comme l’avaient déjà noté Le Monde, Le Figaro ou même l‘AFP, cette phrase, transformée de « post » en « post », a une quinzaine d’années et pas 350. Elle est issue d’une pièce de théâtre écrite en 2008, Le Diable rouge, mettant en scène une discussion entre Jean-Baptiste Colbert et le cardinal Mazarin. « Il y a quantité de gens qui sont (…) ni pauvres, ni riches…(…) C’est ceux-là que nous devons taxer, encore plus, toujours plus ! Ceux-là… plus tu leur prends, plus ils travaillent pour compenser ; c’est un réservoir inépuisable » faisait dire l’auteur, Antoine Rault, au célèbre contrôleur général des Finances. Devant le succès – et l’utilisation politique répétée – de son texte, le dramaturge avait plusieurs fois pris la parole pour expliquer qu’il s’agissait d’un dialogue de « pure fiction ». Et ce même si les publications Facebook en question, qui ont visiblement retenu l’attention de Moetai Brotherson, se finissent généralement par : « Vous pouvez relire et vérifier… tout est exact au mot près !« . |