Ce mardi s’est tenue la première journée du procès de Wilfrid Atapo alias DJ Fred. Agé de 34 ans l’homme est accusé de corruption sur mineurs et d’enregistrement d’images à caractère pornographique. Il aurait fait près de 80 victimes en Polynésie. Cette première journée a été l’occasion de rappeler les faits qui lui sont reprochés et de saisir la personnalité de l’accusé. Un « pervers narcissique » comme le qualifiera un expert.
« C’est un dossier spécifique, non pas par la notoriété du prévenu, ni par les faits qui lui sont reprochés. Ce n’est pas pour cela que ce dossier est hors du commun, mais par le fait qu’il s’agisse de corruption de mineurs par le biais d’Internet et des réseaux sociaux. Cela doit nous interpeller, nous parents, sur notre pratique des réseaux sociaux et du contrôle que l’on doit exercer sur nos enfants. », attaque en préambule le juge Bonifassi.
Et des réseaux sociaux, il va en être question tout au long de cette journée de mardi. C’est en s’initiant à des techniques de phishing (hameçonnage) sur Youtube et sur le dark web que l’accusé âgé de 34 ans s’est infiltré dans des comptes Facebook de mineurs qu’il utilisait pour rentrer en contact avec d’autres mineurs.
Des photos dénudées mises en scène sur commande
Une fois le contact établi, il leur soutirait des photos ou vidéos intimes et les faisait ensuite chanter en leur demandant d’autres photos et vidéos dénudées. 77 mineurs âgées de neuf à seize ans ont été victimes de ses agissements et parmi celles-ci certaines lui ont envoyé entre 10 et 500 photos, ainsi que des vidéos. Toutes suivant les indications qu’il leur donnait sur leur tenue, parfois nues ou maquillées, et les positions lascives et suggestives à adopter.
C’est un ancien militaire, habitué des rencontres sur le web, qui est à l’origine de la mise au jour de cette affaire, en 2016. Un jour, une de ses correspondantes lui envoie un lien vers un site intitulé groupeponadetahiti. Il se connecte et se rend vite compte que ce site contient des images à caractère pédopornographique classées par rubrique en fonction de l’âge des mineurs. Aussitôt il se rend à la gendarmerie pour les informer du contenu du site.
L’enquête des informaticiens de la gendarmerie leur permettent de remonter jusqu’à DJ Fred. C’était lui qui, sous pseudo, avait aiguillé l’ancien militaire vers ce site. Il était connu des services de police car condamné en 2015 à deux mois de prison pour le même type de faits sur une mineure et placé sous contrôle judiciaire.
Tantôt menaçant, tantôt amical avec ses victimes
Dans le box des accusés, arborant une queue de cheval et une fine moustache, il écoute les noms de ses victimes et les faits qui lui sont reprochés. Il ne bronche pas. Mains croisées sur la rambarde du box, il a le menton levé et le regard hautain, impression renforcée par un léger strabisme et des paupières tombantes. « Je reconnais les faits » se borne-t-il à dire. Si tout au long de cette matinée, il se rappelle quasiment de toutes ses victimes, il a du mal à se souvenir de la méthode employée pour parvenir à ses fins. Chantage, douceur ou menaces, il consent du bout des lèvres, qu’il a « peut-être fait ça. (…) je ne me rappelle pas avoir exercé du chantage…»
Il utilisait parfois la méthode du « bon flic, méchant flic » : sur un des profils qu’il utilisait, il se montrait menaçant et sur un autre, doucereux, séducteur et compréhensif. Dans un cas comme dans l’autre, il arrivait à ses fins. Il ira même jusqu’à faire du chantage au suicide à l’une des mineures si elle n’accédait pas à ses demandes, prétextant qu’il était tombé amoureux d’elle.
Comme seule explication à ses agissements, il avance que certaines de ses victimes avaient déjà fait ce type de photos avec d’autres personnes : « d’autres l’ont déjà fait avant moi et je me suis dit pourquoi pas moi. » Quant à la durée des faits qui se sont étalés sur trois ans, « Je suis tombé dans mon propre piège. Je pouvais avoir accès à ce que je voulais et c’est devenu une addiction. » Les tentatives du juge Bonifassi pour lui extirper quelques regrets restent sans effet : « Vous en pensez quoi de tout cela ? », « Ben ….. ». Essayant une autre approche : « Que diriez-vous si vos enfants étaient victimes de ce type d’agissements ? » Réponse abrupte, « Mes enfants savent que sur Internet on ne fait pas n’importe quoi ! »
À l’évocation d’une tentative de suicide et de l’automutilation de l’une de ses proies, il consent toutefois à se montrer compatissant, « Je ne pensais pas que ça pouvait aller aussi loin. Je suis désolé. »Et comme si ce premier petit pas vers des regrets avait ouvert la vanne d’un semblant de repentir, « je vois les choses autrement aujourd’hui. Avec le recul, je vois que les choses que j’ai faites, ce n’est pas que ce n’est pas bien, mais j’ai pris conscience des choses que j’ai faites. »
À cette heure de la matinée, avant la suspension de séance, les parties civiles devront se contenter de ça. L’homme ne s’est pas départi de sa froideur, minimisant les faits qui lui sont reprochés et ne voyant pas le mal qu’il a causé à ses jeunes victimes.
L’armure se fissure
En début d’après-midi, le juge s’est attaché à dresser le portrait qu’un expert a fait de l’accusé. Un portrait à charge : « Il semble se présenter comme étant supérieur aux autres. Il est sur de lui. (…) Il aborde les faits qui lui sont reprochés et en retire une certaine fierté. Et cela le pousse à une certaine transgression, comme aller au-dessus des lois». Interruption de l’accusé, « Oui, car ce n’est pas donné à tout le monde de faire cela en informatique. J’ai tout appris sur Internet et j’ai évolué en même temps qu’Internet. »
Le juge poursuit, « Il considère l’autre comme un objet, il a un profil narcissique et un manque d’empathie. (…) Il a un sens grandiose de sa propre importance et pense être spécial et unique et que tout lui est dû. Il utilise la violence et le chantage pour assouvir ses besoins. Il est arrogant et hautain. » En conclusion, « Il n’a pas de pathologie psychiatrique, toutefois il a un problème narcissique et pervers de sa personnalité. Il y a un risque de récidive car il ne prend pas conscience des faits qu’il a commis»
Levant le nez du rapport de l’expert, le juge l’interroge. « Est-ce que vous seriez tenté de recommencer ? » Si il avoue avoir craint de se livrer de nouveau à ces faits, il explique qu’après son séjour à l’hôpital et être tombé dans le coma, il s’est rendu compte de ce qu’il avait fait. Il s’est vu mourir et, « si quelqu’un comme moi s’en prend à ma fille, je ne serais pas là pour la protéger. » et il éclate en sanglots. Évoquant sa maladie – il souffre d’une tumeur et d’une maladie neuromusculaire – il se remet à pleurer, « Je me voyais handicapé. »
Le magistrat, avec ses questions, l’a mené là où il voulait. Il assène : « Vous avez montré par deux fois vos émotions. La première fois à l’évocation de vos enfants et la deuxième à l’évocation de votre maladie. » Et de poursuivre, « Vous avez ouvert la boite de Pandore, diffusé des images pornographiques de mineures sur Internet, et cela ne vous touche pas. On n’a pas senti la même émotion à l’évocation de vos actes. » Et l’accusé d’avouer en pleurs « C’est à midi que j’ai réfléchi. J’étais seul. Je ne pouvais plus être comme ce matin. Fier. J’ai craqué. Ce n’est pas le DJ qui a fait une connerie. C’est moi. L’être humain. »
Le juge Bonifassi a percé l’armure. Demain ce sera au tour des avocats de s’exprimer et au procureur de livrer son réquisitoire avant que le tribunal ne rende sa décision.